La « monnaie hélicoptère », dernière arme pour la croissance?

Et si la Banque centrale européenne (BCE) créditait tous les comptes des citoyens de la zone euro de quelques centaines d’euros ? Ce concept qui peut paraître hautement farfelu et porte le nom de « monnaie hélicoptère » a été jugé « intéressant » le 10 mars dernier par le président de la BCE, Mario Draghi. Si l’italien a précisé que ses services n’avaient pas encore étudié la question, son commentaire n’est pas passé inaperçu. La BCE déversera-t-elle un jour directement une pluie de billets sur tous les citoyens de la zone euro ?

L’idée de la « monnaie hélicoptère » est simple. Elle repose sur la distribution directe d’argent par les banques centrales aux ménages. Cela aurait pour but de doper la consommation et de favoriser l’inflation – la zone euro connaît actuellement un taux d’inflation de -0,2%, très loin des 2% que vise la BCE. Le premier à avoir mentionné cette idée est l’économiste Milton Friedman qui a profondément influencé les mouvements libertariens américains. Il voulait ainsi démontrer dans les années 60 qu’il est possible d’agir efficacement pour ranimer l’inflation. Le concept a aussi été repris ces derniers mois au Royaume-Uni par Jeremy Corbyn, le nouveau leader du Parti travailliste. L’idée a ensuite été promue par le mouvement Quantitative Easing for People (« l’assouplissement quantitatif pour le peuple ») lancé par des économistes européens. 

Le but est d’esquiver les banques

Ces derniers soutiennent pour appuyer leur idée que le « Quantitative Easing » mené par la BCE depuis mars 2015 n’a pas produit les effets escomptés. Les mesures d’assouplissement de l’institution de Francfort, qui rachète tous les mois 60 milliards d’euros de dettes publiques sur les marchés et vient de ramener son taux central à zéro pour la première fois de son histoire, n’ont toujours permis de relancer l’inflation et la croissance. « Le Quantitative Easing n’a fait que provoquer une remontée de la Bourse et une dévaluation de l’euro, indique à Challenges, François Chevallier, responsable de la stratégie à la Banque Leonardo. Au niveau du crédit, il ne s’est rien passé, les banques n’ont pas prêté davantage de liquidités ». Et avec la « monnaie hélicoptère », le but est justement d’esquiver les banques, accusées de ne plus jouer leur rôle de courroie de transmission entre la BCE et l’économie réelle, en donnant directement de l’argent aux ménages.

Quelle forme pourrait prendre cet hélicoptère ? Rien n’est encore véritablement défini mais on peut imaginer que la BCE crédite directement les comptes des ménages et des entreprises. Une autre solution pourrait consister à ce que les gouvernements distribuent de l’argent via des crédits d’impôts. Pour financer cela, les États emprunteraient auprès de la BCE, qui annulerait aussitôt cette dette. En Suisse, un économiste propose aussi d’utiliser le canal de l’assurance maladie. Mais ces solutions posent un certain nombre de difficultés.

« Cela risquerait de ne pas être très efficace »

« Il y aurait un problème de mandat pour la BCE car elle ne peut créer de la liquidité que pour les banques, prévient Dominique Plihon, Professeur d’économie à Paris XIII, spécialiste des questions monétaires et membre du collectif antilibéral des économistes atterrés. Le crédit d’impôt serait problématique car cela ne concernerait que les personnes qui paient l’impôt. Quand à créditer les comptes des gens, cela risquerait de ne pas être très efficace. Nous sommes dans une période où les gens n’ont pas confiance en l’avenir, on peut penser qu’ils favoriseront l’épargne plutôt que la consommation. La bonne mesure serait plutôt d’augmenter les prestations sociales des ménages les plus défavorisés car on sait qu’ils dépenseront rapidement cet argent. C’est plus efficace que déverser de l’argent à l’aveugle sans aucune garantie ».

Autre difficulté: pour appliquer cette « monnaie hélicoptère », il faudrait convaincre les 19 Etats membres de la zone euro. Et notamment les Allemands, très hostiles à faire tourner la planche à billets par crainte que cela n’entraîne de l’hyperinflation. 

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