Les lingots du Brexit: la ruée vers l'or des Nord-Irlandais

Dans un sous-sol de Dublin, les réserves d’or s’accumulent à mesure que la date du Brexit approche. Leurs propriétaires? Beaucoup d’investisseurs nord-irlandais inquiets d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord.

« Ils craignent une dévaluation importante de la livre sterling en cas de Brexit dur », explique Seamus Fahy, co-fondateur de Merrion Vaults, société de courtage qui propose aussi une salle des coffres où stocker le précieux métal jaune, dans le centre de la capitale irlandaise.

En 2018, quand le spectre d’un retrait du Royaume-Uni de l’UE sans accord a pris consistance, il a observé un bond de 70% de sa clientèle en provenance de la province britannique d’Irlande du Nord voisine où il n’existe aucun service similaire.

Des exemples de l'or confié à Merrion Vaults à Dublin, le 7 janvier 2019 (AFP - PAUL FAITH)

Des exemples de l’or confié à Merrion Vaults à Dublin, le 7 janvier 2019 (AFP – PAUL FAITH)

« Les clients retirent de l’argent des banques et ils achètent des lingots d’or par notre intermédiaire pour les stocker », ajoute M. Fahy.

C’est en quelque sorte le prix de la tranquillité d’esprit, à une heure de trajet environ de la frontière séparant les deux Irlande.

– Lingotins ou pièces –

Installé dans le sous-sol d’un immeuble de bureaux gris et sans prétention, Merrion Vaults n’affiche sa présence aux passants que par le biais d’une plaque évasive indiquant seulement « Merrion Private ».

Pas moins de 3.000 coffres s’y alignent, accessibles après avoir passé un sas de sécurité gardé, scanné ses empreintes et poussé une lourde porte métallique. Leur contenu n’est connu que des clients, mais Seamus Fahy assure que beaucoup renferment de l’or.

De nombreux clients ont dépensé plus de 500.000 livres (560.000 euros) pour constituer leur précieux bas de laine. Les produits les plus populaires sont les lingotins ou pièces d’une once (environ 31 grammes): Krugerrand sud-africain, Maple Leaf canadien ou Britannia britannique, valant chacun dans les environs de 1.100 livres (1.230 euros).

Seamus Fahy, co-fondteur de Merrion Vaults, dans les locaux de son entreprise à Dublin, le 7 janvier 2019 (AFP - PAUL FAITH)

Seamus Fahy, co-fondteur de Merrion Vaults, dans les locaux de son entreprise à Dublin, le 7 janvier 2019 (AFP – PAUL FAITH)

Leur valeur a pris quelque 10% au cours des six derniers mois, selon Merrion Vaults.

Après le référendum de juin 2016 consacrant la victoire du Brexit, la livre sterling avait plongé à son plus bas depuis 1985 face au dollar, tandis que les cours de l’or étaient partis à la hausse – avec un gain historique de 22% de la valeur du précieux métal exprimée dans la devise britannique.

En décembre dernier, quand la Première ministre britannique a reporté en dernière minute le vote de la Chambre des communes sur l’accord de Brexit négocié avec Bruxelles, afin d’échapper à une défaite annoncée, Seamus Fahy a constaté « une forte hausse » de la demande, la perspective d’une baisse de la livre rendant les investisseurs nerveux.

– « Fuite vers la sécurité » –

« En temps de crise, on constate toujours ce qu’on appelle une « fuite vers la sécurité » (« flight to safety » en anglais). Les gens se tournent ainsi vers les obligations américaines, les lingots d’or, le franc suisse, etc », explique-t-il.

Seamus Fahy, co-fondateur de Merrion Vaults montre une pièce d'or Brittania, à Dublin le 7 janvier 2019 (AFP - PAUL FAITH)

Seamus Fahy, co-fondateur de Merrion Vaults montre une pièce d’or Brittania, à Dublin le 7 janvier 2019 (AFP – PAUL FAITH)

Le futur statut de l’Irlande du Nord, avec le « filet de sécurité » (ou « backstop ») prévu dans l’accord de divorce pour éviter le rétablissement d’une frontière dure en Irlande, est au coeur du casse-tête du Brexit et a amplifié l’inquiétude sur l’île.

« Souvent, des événements locaux alimentent la demande locale », constate Alistair Hewitt, un responsable du Conseil mondial de l’or.

Mais dans le reste du Royaume-Uni, il estime que la ruée vers l’or liée au Brexit pourrait bien avoir déjà connu un pic. « Au cours des deux dernières années, cela s’est probablement un peu essoufflé. Je pense que de nombreux investisseurs souffrent probablement un peu d’une lassitude du Brexit ».

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