L’événement : Le coronavirus balaie les illusions des marchés

par Patrick Vignal

PARIS, 28 février (Reuters) – Le coronavirus a eu raison en quelques jours du rêve des marchés financiers d’un environnement demeurant idéal pour les actifs risqués grâce au filet de sécurité tendu en permanence par les banques centrales.

Nombreux étaient les gérants et stratèges qui misaient pour ce début d’année sur un scénario « Boucles d’or », autrement dit une bouillie ni trop chaude, ni trop froide avec une croissance modérée, une inflation contenue et un endettement rendu soutenable par des taux historiquement bas.

Les plus prudents jugeaient cette hypothèse fragile et vulnérable à un choc externe, ce qui était le cas puisqu’il a suffi qu’une épidémie apparue en Chine prenne des allures de pandémie en se propageant dans une quarantaine de pays à travers le monde pour que le conte de fées soit réduit en lambeaux.

« Le marché s’était mis dans une situation dans laquelle il ignorait toutes les mauvaises nouvelles en misant sur le fait que les banques centrales allaient continuer pour toujours de baisser les taux et d’imprimer de l’argent si nécessaire », explique à Reuters Nick Clay, gérant actions mondiales chez Newton Investment Management (BNY Mellon IM).

« Il a longtemps considéré le coronavirus de cette manière jusqu’à ce qu’il se mette à se propager plus vite que prévu hors de Chine. »

Un vent de panique s’est alors mis à souffler sur les Bourses mondiales, entraînant les indices américains et européens en zone de correction, à savoir un repli supérieur à 10% par rapport à leurs récents plus hauts – souvent des records absolus.

La pire semaine sur les marchés d’actions depuis 2008, soit au coeur de la crise financière, a été marquée par le grand retour de la volatilité, étrangement absente depuis plus d’un an.

A Wall Street, l’indice mesurant la volatilité implicite du S&P-500, connu sous le nom d' »indice de la peur », a ainsi bondi pour renouer avec ses plus hauts de décembre 2018 et rien n’indique qu’il se calmera dans un avenir proche.

PANIQUE GÉNÉRALE

Après avoir fait preuve d’une certaine complaisance aux premiers temps de l’épidémie, les investisseurs ont brutalement intégré le risque réel qu’elle fait peser sur l’économie mondiale et sur les profits des entreprises, font valoir plusieurs intervenants de marché.

« Les niveaux records et les valorisations élevées des marchés boursiers rendent les marchés plus vulnérables aux chocs économiques et aux déceptions en matière de bénéfices », explique Ritu Vohora, directrice de l’équipe actions chez M&>. « Le virus pourrait retarder la progression des bénéfices des entreprises, en particulier en dehors des États-Unis. »

L’affolement est mondial puisque les marchés asiatiques sont également touchés, y compris les Bourses chinoises, qui avaient résisté jusqu’à présent à la panique.

Tous les compartiments boursiers ont plongé, avec un repli spectaculaire pour les plus exposés à la Chine et au risque sanitaire en général. L’action Air France-KLM, par exemple, a perdu plus de 20% en une semaine.

Les matières premières sont également en première ligne, notamment le pétrole, dont la Chine est le premier importateur mondial et dont les cours viennent d’aligner six séances de baisse pour tomber à un creux de deux ans et demi .

L’aversion pour le risque a entraîné un repli massif des investisseurs vers les valeurs refuges, dette souveraine en tête, ce qui a précipité le rendement des Treasuries à 10 ans vers un nouveau plus bas historique en dessous de 1,2%.

« Les nouvelles semblent créer cette hystérie collective partout, une panique de fin du monde, alors les gens se mettent à l’abri des risques et mettent leurs investissements dans des actifs refuges, et le plus important d’entre eux, ce sont les bons du Trésor à 10 ans », commente Stuart Oakley chez Nomura.

LA FED SOUS PRESSION

Seule une action des banques centrales pourrait peut-être ramener le calme, estiment les analystes de Saxo Banque.

La pression est notamment forte pour que la Réserve Fédérale baisse son taux directeur lors de sa réunion du mois prochain, un scénario encore considéré comme marginal sur le marché il y a quelques semaines, soulignent-ils.

La probabilité d’une baisse de taux à l’issue de la réunion monétaire de la Fed des 18 et 19 mars a en effet grimpé en quelques jours de 33% à plus de 85%, indique le baromètre FedWatch de CME Group, les intervenants de marché misant désormais sur trois baisses en tout cette année, comme l’an dernier.

Le marché se trompe cependant s’il continue de penser que les largesses des banques centrales n’ont d’autre but que de soutenir la valorisation des actifs risqués, estime Nick Clay (Newton IM).

Il va lui falloir, selon lui, s’habituer au fait que la fiscalité sur les entreprises va augmenter, de même que le coût de leur dette, et que la politique monétaire servira en priorité à financer les dépenses budgétaires des gouvernements.

VERS UN MARCHÉ BAISSIER ?

En attendant de mesurer l’efficacité des mesures que ne manqueront pas de prendre les banques centrales, les investisseurs s’inquiètent pour l’avenir immédiat, la perspective de l’avènement d’un marché baissier, avec un recul des indices supérieurs à 20% par rapport aux plus hauts récents, n’ayant plus rien de surréaliste.

« À ce stade, un marché baissier durable ne semble pas probable mais restons attentifs à la volatilité des prochains mois », recommande Ritu Vohora (M&>).

Dans le pire des cas, à savoir une pandémie mondiale, la croissance et les marchés seraient touchés beaucoup plus durement que ne peuvent le prévoir les investisseurs, ajoute-t-elle toutefois.

Il est déjà clair qu’il y aura un impact fort sur la croissance de la Chine au premier trimestre et sur l’activité du secteur manufacturier chinois, avec une propagation probable aux autres économies en raison notamment du dérèglement des chaînes d’approvisionnement mondiales lié à la fermeture d’usines en Chine, estime pour sa part Mike Biggs, stratégiste macro et gérant spécialisé dans la dette émergente chez GAM.

« Il faut s’attendre à des mauvais chiffres pendant au minimum deux mois », dit-il. « Pour la suite, tout dépendra de l’ampleur de la propagation et de la durée de l’épidémie. Si c’est juste l’histoire du premier trimestre, ce ne sera pas la fin du monde. »

(édité par Blandine Hénault)


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