L’Ukraine refuse la hausse du prix du gaz imposée par la Russie, nouvelle étape dans la guerre du gaz

L’Union européenne au pied du mur … alors que les dirigeants européens clamaient haut et fort que le chantage russe lié au transit et à l’approvisionnement en gaz ne les impressionnait pas, ils risquent désormais d’être directement confrontés au problème. Kiev a en effet rejeté samedi la hausse de 80% du prix du gaz imposée par Moscou.

Une véritable guerre du gaz pouvant s’instaurer désormais. A moins que cela ne soit déjà le cas, le pétrole et plus largement les ressources en hydrocarbures pouvant être fortement liés aux événements actuels et à l’annexion de la Crimée, la zone étant dotée  de matières premières prometteuses.

« La Russie a échoué à s’emparer de l’Ukraine par l’agression armée. Elle lance maintenant le plan pour s’emparer de l’Ukraine par l’agression gazière et économique », s’est quant à lui exclamé le Premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, en conseil des ministres, pour qui « la pression politique est inacceptable. » Ajoutant que son pays n’acceptait pas le prix de 500 dollars fixé par la partie russe.

Rappelons que ces derniers jours, la Russie a mis fin aux deux rabais accordés à l’Ukraine sur ses livraisons en gaz. En l’espace de 72 heures le prix est ainsi passé de 268 à 485 dollars les 1.000 mètres cubes, un des plus élevés en Europe.

Samedi, le président de Gazprom, Alexeï Miller, a accentué la pression sur l’Ukraine, indiquant que Kiev devrait rembourser 11,4 milliards de dollars, correspondant aux quatre années de rabais annulées.

En retour, M. Iatseniouk a affirmé s’attendre à ce que la Russie restreigne ou stoppe les livraisons à l’Ukraine. Une décision qui pourrait nuire grandement à l’économie russe … tout en permettant au passage aux Etats-Unis de trouver de nouveaux clients pour « écouler » son gaz de schiste. Notons ainsi au passage que vendredi, le vice-président américain Joe Biden a dénoncé l’utilisation de l’énergie comme arme politique, promettant à Kiev le soutien américain.

Le ministre ukrainien de l’Energie, Iouri Prodan, a pour sa part promis samedi que son pays assurerait le transit gazier vers l’Europe quoi qu’il arrive. Il a par ailleurs menacé, faute d’accord avec Gazprom, de saisir une cour d’arbitrage, comme stipulé dans les contrats.

– Vers une rétrocession du gaz vendu à Slovaquie, Pologne, Hongrie ?

M. Iatseniouk a également évoqué la possibilité de négociations, notamment mardi à Bruxelles, avec des partenaires européens – Slovaquie, Pologne, Hongrie – afin que ces derniers rétrocèdent à l’Ukraine une partie du gaz qu’ils achètent à la Russie à des tarifs moindres que ceux qui leur sont désormais pratiqués.

En réponse à de tels propos, le patron de Gazprom a par avance averti les pays tentés d’agir de la sorte qu’ils risquaient d’enfreindre la légalité.

En janvier 2009, le vice-président du géant gazier russe Gazprom, Alexandre Medvedev, avait demandé à Berlin aux Etats européens d’agir en justice contre l’Ukraine, arguant que Kiev violerait un traité européen sur le transit des produits énergétiques. Gazprom avait préalablement annoncé qu’il allait déposer plainte auprès du tribunal d’arbitrage de Stockholm pour obliger la compagnie ukrainienne Naftogaz « à assurer un transit sans entrave du gaz russe vers l’Europe à travers le territoire de l’Ukraine ».

Le dirigeant de Gazprom affirmait alors que les baisses de livraisons de gaz signalées en Pologne, en Hongrie et en Roumanie étaient dues au fait que l’Ukraine ponctionne du gaz transitant sur son territoire et dans des stocks en Ukraine appartenant à la société RosUkrEnergo.

Il avait alors invité les pays signataires de la Charte de l’énergie, un traité international adopté par 49 Etats, dont l’Ukraine – mais sans la Russie – à utiliser ce texte pour agir en justice contre Kiev. Le traité interdit notamment d’interrompre ou de réduire le transit de matières énergétiques en cas de litige sur les modalités de transit. Adopté en 1991, à la sortie de la guerre froide en vue de faciliter la coopération dans le domaine de l’énergie avec les pays d’Europe de l’Est et de l’ex-URSS, il vise tout particulièrement à améliorer la sécurité des approvisionnements énergétiques et à optimiser la production, le transport et la distribution de l’énergie.

« Il est temps de faire pression sur l’Ukraine en utilisant les instruments légaux créés par la Charte de l’énergie », avait ainsi déclaré M. Medvedev.

Joli pied de nez tout de même alors que la Russie se faisait alors prier pour ratifier ce dit traité ! En octobre 2007, le commissaire européen à l’énergie, Andris Piebalgs, avait insisté sur la nécessité de « convaincre » la Russie de ratifier la Charte de l’énergie en raison du fait que la moitié du gaz exporté par la Russie est destinée à l’UE et que cette quantité couvre un quart de ses besoins.

– L’UE fortement dépendante de ses approvisionnements en gaz russe, mais les Etats-Unis en embuscade ?

Selon des statistiques publiées récemment, la part du gaz russe dans la consommation des 28 pays de l’Union européenne a atteint 27% en 2013 – contre 23% en 2012. Fin mars, le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a annoncé quant à lui que l’Union européenne allait élaborer pour le mois de juin un plan d’action destiné à réduire sa dépendance énergétique, en particulier vis-à-vis de la Russie. Mais cela pourrait s’avérer être une mission impossible … A moins que Washington n’ait une solution …

Les Etats-Unis pourraient en effet bénéficier des relations on ne peut plus tendus entre Russie, Ukraine et UE … pour offrir ses services – financiers – voire même profiter de l’occasion pour progresser sur le marché européen du gaz via la sulfureuse société Goldman Sachs. Un arrêté en date du 19 janvier 2010 autorisant notamment la société à exercer l’activité de fourniture de gaz sur le territoire français pour approvisionner les fournisseurs de gaz naturel.

La prise de participation de Goldman Sachs au sein du groupe énergétique espagnol Endesa pouvant également permettre à la « pieuvre » anglo-saxonne  d’avancer ses pions. Un élément à surveiller de très, très près, alors que la péninsule ibérique constitue une passerelle entre le gaz algérien et les consommateurs du Vieux Continent … détournant à sa manière le client final de la suprématie russe en la matière ….  avais-je indiqué ici-même sur leblogfinance.com en octobre 2012. Fin janvier, c’est une part de Dong, l’entreprise publique d’énergie du Danemark qui a été cédée à la banque d’investissement américaine.

Au final, la situation pourrait rapidement placer le marché du gaz en Europe dans une position ubuesque voire inextricable, l’Union européenne étant largement dépendante de ses approvisionnements en gaz russe, lequel transite majoritairement via l’Ukraine. Difficile dans un tel contexte de fermer les robinets tant en amont que tout au long des différents points de passage … Les menaces de sanctions économiques pouvant très rapidement conduire au final à des ruptures de transit. Et donc à des pénuries de gaz, ressource indispensable pour faire marcher la « machine » européenne.

Mais c’est en s’affichant quelque part comme représentant d’une puissance étrangère non directement impliquée dans l’affaire, que le secrétaire d’Etat américain John Kerry est arrivé début mars à Kiev. Promettant au nouveau gouvernement ukrainien une série de mesures d’aide économique et technique. Affaire à suivre …

Elisabeth Studer – 06 avril 2014 – www.leblogfinance.com

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