Non, la chasse aux paradis fiscaux n’est pas terminée

L’affaire Cahuzac l’a montré de façon magistrale: la croisade lancée par le G 20 et l’OCDE contre l’évasion et les paradis fiscaux a été inefficace. Les informations sur les comptes en Suisse de l’ex-ministre du Budget n’ont pas pu être obtenues grâce à l’accord signé en 2009 entre la France et la Suisse. Après la crise financière, les dirigeants du G 20 avaient annoncé la fin du secret bancaire grâce à ces accords d’échange d’informations. L’OCDE avait alors établi une liste noire de paradis fiscaux, puis exigé qu’ils signent avec douze Etats des conventions fiscales d’échange de renseignements. Les centres offshore ont obtempéré et signé 300 accords en 2009, ce qui les a fait sortir de la liste. Quel a été l’impact de cette opération de transparence sur les fonds captés par ces trous noirs de la finance? Avec mon collègue Niels Johannesen, nous avons utilisé les statistiques de la Banque des règlements internationaux sur les dépôts bancaires des treize principaux paradis fiscaux. Le résultat? Globalement, les paradis fiscaux ont été peu affectés: leurs dépôts sont restés stables, entre 2007 et 2011, à environ 2 700 milliards de dollars. Contrairement aux déclarations tonitruantes de l’OCDE, il n’y a eu aucun rapatriement massif des fortunes cachées. Plus inquiétant, l’opération G 20-OCDE a suscité une réallocation des fonds au sein des centres offshore, au profit des plus opaques et des moins coopératifs. Les pays qui ont accepté de nombreux accords d’échange d’informations ont vu leurs dépôts bancaires fortement diminuer entre 2007 et 2011, comme le Luxembourg (- 20 %) ou Jersey (- 60 %, voir graphique). A l’inverse, ceux qui ont signé un faible nombre de conventions fiscales ont capté des fonds d’évadés fiscaux cherchant à fuir l’opération de transparence. Ainsi, à Singapour et à Hongkong, les dépôts bancaires ont explosé respectivement de 21 et 50 %.

Même s’il effraie certains évadés fiscaux, cet échange d’informations reste inefficace, au vu des retours de demandes adressées aux administrations fiscales des paradis fiscaux. La France reçoit ainsi à peine quelques dizaines d’informations exploitables par an. Ce n’est pas avec cela que l’on peut espérer vaincre les paradis fiscaux.

Pourtant, cet échec ne doit pas décourager les gouvernants de la planète qui viennent de lancer une opération beaucoup plus pertinente: la mise en place d’un échange automatique d’informations portant sur tous les titulaires de comptes dans les centres offshore. S’ils arrivent à l’imposer aux principaux paradis fiscaux, alors ils auront vraiment gagné la bataille.


Challenges.fr – Toute l’actualité de l’économie en temps réel