Pakistan et Iran souhaitent accélérer leur projet de gazoduc

Autre conséquence et non des moindres de la levée des sanctions prises contre Téhéran : le Pakistan et l’Iran veulent profiter du contexte pour accélérer la réalisation de leur projet de gazoduc, gelé depuis des années.

Lancé en 2010, ce projet – dont le coût de construction est évalué à 7,5 milliards de dollars – vise à relier sur 1.800 kilomètres les champs gaziers de South Pars en Iran, à Nawabshah, ville située près de Karachi, la métropole économique du Pakistan. Rappelons que cette dernière, peuplée de près de 200 millions d’habitants, est affectée par une crise énergétique qui freine sa croissance.

Si en 2013, l’Iran avait célébré la fin de la construction du pipeline de son côté de la frontière, le Pakistan avait affirmé ne pas pouvoir aller de l’avant avec ce projet, arguant des sanctions américaines et européennes imposées à Téhéran pour ce faire.

Or l’accord sur le nucléaire iranien conclu récemment prévoit la levée de ces sanctions « dès la mise en oeuvre » par Téhéran de ses engagements, attestée par un rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), lequel pourrait voir le jour au début de l’année 2016.

« Cet accord est une bonne nouvelle pour le Pakistan. L’Iran est un pays voisin et cela permettra d’accroître notre commerce. Plusieurs problèmes survenus au cours des dernières années seront résolus, en particulier ce gazoduc Iran-Pakistan », a ainsi déclaré à la mi-juillet le ministre pakistanais du Pétrole, Shahid Khaqan Abbasi.

« Nous avons l’obligation contractuelle d’acheter du gaz iranien, et ils ont une obligation de nous fournir un volume de gaz, mais notre projet a été affecté par les sanctions…. La levée des sanctions nous permettra de respecter nos engagements », avait alors ajouté le ministre.

Lors d’une rencontre à Islamabad, le chef de la diplomatie iranienne Mohammad Javad Zarif et son homologue pakistanais Sartaj Aziz, se sont parallèlement engagés cet été à accroître leur collaboration dans le secteur de l’énergie.

« Nous avons aussi mis l’accent sur l’impératif de réaliser des progrès dans la réalisation du gazoduc entre l’Iran et le Pakistan », a ainsi déclaré M. Aziz. « La levée à venir des sanctions permettra la réalisation rapide de ce gazoduc stratégique », a renchéri quant à lui M. Zarif.

– Le Pakistan, un pays stratégique pour d’autres projets de gazoduc

A noter également que dans le cadre du projet de corridor économique sino-pakistanais visant à relier l’ouest de la Chine au Moyen-Orient via le Pakistan, Pékin finance actuellement la construction d’un gazoduc reliant la ville de Nawabshah au port pakistanais en eaux profondes de Gwadar, situé sur la mer d’Arabie, près de l’Iran.

Une fois ce gazoduc achevé, le Pakistan « n’aura plus qu’à le prolonger sur 80 kilomètres » pour gagner l’Iran à l’ouest, et pourrait à plus long terme l’allonger au nord-est jusqu’à la Chine, a tenu récemment à préciser également à M. Abbasi. Faisant très certainement jouer la « concurrence » …

Rappelons que le Pakistan est engagé dans un autre ambitieux projet de gazoduc, le TAPI, lequel doit relier le Turkménistan à l’Inde. Après des années de tergiversations, une société d’Etat turkmène vient d’être désignée pour diriger ce projet de dix milliards de dollars. Un soudain empressement de la part Turkménistan directement lié à ses craintes de voir rapidement l’Iran approvisionner son gaz sur le sous-continent indien, si l’on en croit des sources proches du dossier.

– Gazoduc Iran-Pakistan : aussi une histoire de gros sous entre les deux pays

En octobre 2013, alors que des voix de plus en plus nombreuses laissaient entendre que le conflit en Syrie et le dégel des relations Etats-Unis/Iran  étaient fortement liés au gaz et au pétrole, et tout particulièrement aux pipelines oeuvrant pour leur transit, le Pakistan avait demandé à l’Iran 2 milliards USD en vue de financer sa propre portion d’un gazoduc on ne peut plus stratégique, faisant fi des sanctions américaines.

Le ministre pakistanais du pétrole, Shahid Khaqan Abbasi, avait alors indiqué que plan et tracé de la portion pakistanaise étaient d’ores et déjà élaborés … mais que le plus dur restait à faire, à savoir : le lancement – concret – des travaux sur le terrain, alors qu’en mars 2013, les présidents iranien et pakistanais avaient inauguré le chantier de la partie pakistanaise du pipeline.

En mars 2013, la chaîne publique iranienne Irib avait quant à elle indiqué que la construction des 900 km de la partie iranienne du gazoduc était achevée, ajoutant que les 780 km traversant le territoire pakistanais demeuraient à construire. A cette date, Téhéran avait accepté de prêter 500 millions de dollars à Islamabad, soit le tiers du coût estimé de la portion pakistanaise.

–  Un dossier stratégique soumis à de fortes pressions US

Reste que Washington voit la « chose » d’un très mauvais œil. Le projet, qui a vu le jour dans les années 1990, a longtemps été différé, du fait notamment des pressions exercées par les Etats-Unis sur le Pakistan et sur l’Inde, laquelle était initialement partie prenante au sein du projet IPI (Iran – Pakistan – Inde).

Depuis maintenant une décennie, les Etats-Unis ont tenté de lier le dossier aux sanctions prises contre le programme nucléaire controversé de l’Iran, mettant en garde contre les risques de même ordre que pourraient engendrer une éventuelle participation.

Face à de telles pressions, New Delhi s’est retiré du projet en 2009, faisant valoir des aspects financiers et des problèmes de sécurité. Après avoir préalablement signé un accord nucléaire avec Washington.

En juillet 2012, lors d’un entretien avec les médias pakistanais, l’ambassadeur américain à Islamabad, Cameron Munter, avait exprimé l’inquiétude de Washington de voir le projet du gazoduc transitant le gaz iranien vers l’Inde, via le  Pakistan, se réaliser. Proposant parallèlement au gouvernement pakistanais de s’associer avec le Turkménistan – et non plus avec l’Iran – au sein du projet de construction du pipeline TAPIO.

En mars 2013, Mahmoud Ahmadinejad, alors président iranien avait accusé des « éléments étrangers » de chercher à nuire aux relations de l’Iran avec le Pakistan. Ajoutant : « je veux dire à ces gens que le gazoduc n’a aucun lien avec le dossier nucléaire« . Et poursuivant : « on ne peut pas fabriquer des bombes atomiques avec du gaz naturel. C’est pourquoi ils ne devraient avoir aucune raison de s’opposer à ce gazoduc. »

La porte-parole du département américain avait quant à elle indiqué que si ce projet allait de l’avant, un déclenchement de sanctions serait fort probable. Tout de même …

Sources : AFP, Reuters, Presse pakistanaise

Elisabeth Studer – www.leblogfinance.com – 23 août 2015


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