Pourquoi le sucre est en crise

Le constat est amer dans la filière du sucre. Mercredi soir se tenait une réunion cruciale pour l’avenir des sucreries de Cagny (Calvados) et d’Eppeville (Somme). La CGB, le syndicat français des betteraviers, a présenté à Südzucker un plan de reprise pour permettre aux betteraviers français de reprendre sous forme de coopératives les deux sites que le groupe allemand compte fermer en France. L’offre de reprise écrite –avec une base de travail établi à 30 millions d’euros– doit être envoyé prochainement au groupe qui pourrait apporter une réponse d’ici trois semaines. « Même si la filière sucre traverse une crise profonde, nous croyons en l’avenir de la betterave et nous sommes en capacité de maintenir ces bassins de production » assure Franck Sander, le président de la CGB, alors que le syndicat espère une sortie de crise « par le haut ».

Mais rien n’est gagné au vu du son de cloche extrêmement différent émanant de VSZ, l’homologue allemand de la CGB actionnaire majoritaire de Südzucker: « Il serait irresponsable, pour Saint Louis Sucre [filiale française de Südzucker ; ndlr] de céder des sites » selon son président. Et VSZ de rappeler que le groupe Süzucker « est durement impacté par la crise du sucre » et que Saint Louis Sucre est « en perte depuis 5 années consécutives ». Le sort incertain des sites de Cagny et d’Eppeville –ce dernier était d’ailleurs paralysé par une grève ce jeudi– vient s’ajouter à celui des sucreries de Toury (Eure-et-Loire) et de Bourdon (Somme) que la coopérative Cristal Union projette de fermer. « Le groupe présente des résultats négatifs pour l’exercice clos le 31 janvier 2019 » précisait Cristal Union (marques Daddy et Erstein notamment) en avril lors de la présentation de son projet. Si Tereos, premier sucrier français avec des marques comme La Perruche et Béghin Say, n’a pas de fermetures prévues en France –comme le rappelait le directeur de son directoire au Monde–, le groupe coopératif est englué dans une crise de gouvernance et à une contestation de la part de coopérateurs. Les beaux jours semblent bien loin pour la filière betterave-sucre…

Fin des quotas sucriers

Comment en est-on arrivé là? Le 1er octobre 2017, les quotas européens sucriers ont été abolis. Une libéralisation vue alors comme une opportunité par agriculteurs et industriels. « La stratégie des entreprises sucrières européennes a été de dire ‘on va produire plus pour satisfaire le marché européen et gagner des parts de marché à l’exportation » indique François Thaury, spécialiste de la filière sucre au cabinet de conseil Agritel. Et effectivement, les surfaces betteravières en France ont augmenté de 20%. La production européenne de sucre a quant à elle bondi de 17,8 millions de tonnes à plus de 21 millions.

Mais si les limitations à la production et à l’exportation ont disparu avec la fin des quotas, les filets de sécurité qui assuraient une certaine stabilité aux acteurs ont également disparus. « Depuis la fin de quotas, les prix européens sont alignés sur les prix du marché mondial, soumis à sa volatilité car il n’y a plus de garde-fou », explique Elisabeth Lacoste, directrice de ma Confédération internationale des betteraviers européens, qui a rédigé le chapitre sur le sucre du très connu rapport CyclOpe sur les matières premières dévoilé mercredi. Hors le cours mondial s’est écroulé au même moment: début 2017, le cours était encore autour de 550 dollars la tonne quand aujourd’hui, il oscille autour de 330 dollars la tonne. Une dégringolade essentiellement liée à une forte surproduction du côté de l’Inde et de la Thaïlande. La production indienne a notamment grimpé de 13 millions de tonnes. Et l’année 2018 n’a pas vu de remontée des prix.

L’éthanol se développe

Un environnement compliqué, d’autant que l’embellie n’est pas forcément à chercher du côté de la consommation. Certes, la consommation de sucre progresse dans le monde mais moins vite qu’avant. Si elle progresse encore bien en Afrique et en Asie, elle ralentit dans les zones développées, voire baisse en Europe, note Elisabeth Lacoste. Les mesures telles que les taxes « soda » ou les recommandations pour limiter le sucre dans l’alimentation ajoutent encore à ce contexte morose.

Pour les planteurs de betteraves français, fragilisés par les prix bas et dont la dernière a souffert de mauvaises conditions climatiques, les projets de fermeture de sucreries pourraient avoir de lourdes conséquences pour les producteurs. Car « il faut cultiver de la betterave là où il y a des usines à proximité » rappelle François Thaury. « Fermer un site, c’est pratiquement irrémédiable: c’est une décision lourde de conséquences car cela va affaiblir le potentiel de la France sur le plan industriel et sur le plan agricole », ajoute-t-il.

« Nous croyons en l’avenir de la betterave » martelait le président de la CGB au lendemain de la présentation du plan de reprise à Südzucker. Le directeur général du syndicat, Pierre Rayé, rappelle d’ailleurs que l’on est face à « un marché cyclique » et pointe des éléments encourageants comme l’éthanol qui se développe et pourrait être un élément de stabilisation pour la filière. Mais la crise actuelle reste malgré tout un signal d’alarme, selon Elisabeth Lacoste: « quand la betterave rencontre des difficultés, c’est un mauvais signal pour l’agriculture en général. »

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