Rémunération de Carlos Tavares: l’Etat schizophrène

Quel tollé! L’annonce, vendredi dernier, d’un doublement de la rémunération de Carlos Tavares a obligé Michel Sapin à monter personnellement au créneau. Le ministre des Finances a ainsi qualifié ce mardi de « dommageable » cette forte hausse des émoluments du président de PSA Peugeot Citroën, soulignant que l’Etat, qui détient 14% du constructeur automobile, avait « voté contre« , confirmant ainsi une information du journal Les Echos.  Carlos Tavares a gagné 5,24 millions d’euros au titre de 2015,  contre 2,75 millions l’année précédente.  

Une envolée due essentiellement à la part variable du salaire indexée sur l’évolution des résultats. Il est vrai que PSA a connu une excellente année 2015, bouclant en avance son plan de reconstruction « Back in the Race«   avec deux ans d’avance. C’est d’ailleurs ce qui a amené Louis Gallois, président du conseil de surveillance de l’entreprise, à justifier ce doublement. « Beaucoup plus rapide qu’escompté« , le redressement est dû « largement à l’action de Carlos Tavares et il est tout à fait normal que sa rémunération en bénéficie« ,  a en effet précisé ce mardi cet ancien dirigeant d’entreprise publique (Snecma, Aérospatiale, SNCF), très sensible à ces sujets et réputé proche de l’Etat. C’est d’ailleurs ce qui apparaît quelque peu paradoxal chez ce patron de gauche, qui confiait à Challenges en 2012 qu’on  « peut quand même vivre avec 600.000 euros »!

C’est bien là toute l’ambiguïté de l’Etat lui-même. « L’Etat est un peu schizophrène. Il est reconnaissant à Carlos Tavares du redressement, souligne Loïc Dessaint, directeur général du cabinet de conseil aux actionnaires Proxinvest. Mais il est vigilant sur la paix sociale. Et là, l’annonce de la rémunération le met mal à l’aise »Le gouvernement fait « preuve d’hypocrisie. Ses déclarations publiques ne mangent pas de pain et sont destinées à la seule opinion publique« , renchérit un consultant international. Les syndicats de PSA se sont en effet aussitôt insurgés. Jean-Pierre Mercier (CGT) s’est dit notamment « révolté et écoeuré » par un président qui a touché « 14.500 euros par jour, samedi et dimanche compris, alors que les salariés, eux, ont obtenu une augmentation générale des salaires de 8 euros nets par mois » pour 2016.

Limitation des rémunérations

L’Etat français, appelé à la rescousse de PSA en quasi-banqueroute début 2014,  s’est à plusieurs reprises emporté contre les rémunérations jugées excessives des patrons de plusieurs grands groupes dont il est actionnaire, dont Safran, Thales et… Renault. Dans les premiers mois de son quinquennat, François Hollande avait fait passer un décret pour limiter à 450.000 euros brut le salaire des patrons, mais il ne concernait que les seules entreprises publiques détenues à plus de 50% par l’Etat,  telles EDF – dont Jean-Bernard Lévy est le PDG – ou Aéroports de Paris, dirigé par Augustin de Romanet.

Dans certaines sociétés, où l’Etat est actionnaire minoritaire, les rémunérations ont certes été quelque peu limitées. Philippe Crouzet, le très chahuté président de Vallourec en grandes difficultés – qui vient d’être renouvelé – , a vu sa rémunération chuter de 1,5 million à 800.000 euros en 2015. Il a renoncé aux options de souscription d’actions ainsi qu’aux actions de performance. Et Antoine Frérot, le PDG de Veolia, a vu sa rémunération progresser de 200.000 euros seulement à 2,3 millions l’an dernier. Malgré un redressement mené à bien.  

En 2014 (dernière année connue), Alexandre de Juniac, PDG d’Air France-KLM, avait  pour sa part touché 645.000 euros (contre 750.000 l’année précédente). Et, en tant que patron d’Orange, Stéphane Richard avait  gagné 1,32 million en 2014, en légère augmentation. Le dirigeant s’était notamment distingué en 2013 quand il avait proposé à ses pairs de réduire leurs salaires de 30%…. Ce que leur demande l’Etat depuis 2014. Ces 30% correspondent… à la réduction de salaire que s’étaient imposés le président de la République et le gouvernement en 2012.

Carlos Tavares… pas si bien payé

Il n’empêche. Malgré les coups de menton, le conseil de surveillance de PSA n’a pas suivi les recommandations gouvernementales. Telles sont les limites du pouvoir de l’Etat actionnaire. Et il le sait. Il est vrai que le débat est quelque peu faussé. Car, le président du directoire de PSA ne touchera en fait que 3,2 millions d’euros immédiatement. Les deux millions restants, Carlos Tavares ne pourra les recevoir qu’en exerçant ses actions dites de performance. Et pas avant 2019. Même doublée, la rémunération de Carlos Tavares reste d’ailleurs largement en-deçà de celle de ses collègues de l’automobile.

Le patron de PSA gagne environ moitié moins que Sergio Marchionne, patron de FCA (Fiat Chrysler) ou Dieter Zetsche, PDG de Daimler, trois fois moins que Martin Winterkorn (ex-président de Volkswagen) ou Mark Fields, PDG de Ford. Il y a un an, la hausse brutale (+170%) de la rémunération de Carlos Ghosn avait également créé la polémique. Et ce, d’autant plus que les sommes en jeu étaient encore plus importantes. Au titre de 2015, le PDG a eu droit à 7,25 millions, quasi-stables par rapport à 2014. Carlos Ghosn, qui est aussi le patron de Nissan, devrait également recevoir une somme équivalente de la part du constructeur nippon – 8,2 millions pour l’année  fiscale 2014-2015.

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