Santé: des pistes pour un “big bang” des tarifs médicaux

Payer les médecins et hôpitaux autrement pourrait-il améliorer la qualité et la pertinence des soins ? La “task force”, constituée pour réfléchir à la réforme du financement du système de santé dans le cadre de la stratégie lancée en février 2018 par le gouvernement, a rendu sa copie. Son rapport de 48 pages a été remis à la ministre de la Santé ce mardi matin par Jean-Marc Aubert, le directeur de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) et responsable de la mission. Ce chantier, a rappelé Agnès Buzyn, répond à une ambition plus large d’une “prise en charge des patients globale et mieux coordonnée”. L’an dernier, la ministre avait estimé que 30% des dépenses de l’Assurance maladie n’étaient “pas pertinentes”. Un gâchis qu’elle s’est promis de traquer. 

“La qualité de la prise en charge de chaque patient est encore à parfaire”, a reconnu en préambule Jean-Marc Aubert. En ligne de mire, la tarification à l’activité (“T2A”) qui occupe encore actuellement une part prépondérante de la rémunération des soins de ville et des soins hospitaliers. Ce modèle qui repose sur la quantité des soins produits a mené à une “course aux actes”, maintes fois épinglée, notamment par la Cour des comptes fin 2017. Si bien qu’Emmanuel Macron a fixé l’objectif de rabaisser le plafond de la tarification à l’acte à 50% des modes de financement d’ici à 2022, contre 90% en moyenne pour la médecine de ville et 63% pour les hôpitaux.

La «task force» a mis sur la table cinq modes de paiement des soins qui, selon elle, doivent être «combinés». Paiement à la qualité, paiement groupé pour un parcours de soins, dépoussiérage du paiement à l’acte, structuration des soins de ville, et financement pour les missions d’intérêt général… L’objectif de ce chantier complexe et technique : sortir d’une logique de productivité des acteurs de la santé pour mieux répondre aux besoins à long terme des patients. Ce seront 15 milliards d’euros qui devraient être ainsi réalloués à ces nouveaux modes de tarification.

La satisfaction des patients prise en compte dans la rémunération

Le paiement «à la qualité et à la pertinence», tout d’abord, doit prendre en compte la satisfaction des patients, concernant non seulement les soins mais aussi les résultats d’une opération ou d’un traitement. De nouveaux indicateurs de qualité et de résultats doivent être progressivement développés et intégrés au système de santé. À l’instar du système en place depuis 2003 au Royaume-Uni, le rapport Aubert estime que ces indicateurs doivent être diffusés publiquement pour plus de transparence.

Autre préoccupation de la «task force», la prise en charge des maladies chroniques (diabète, insuffisance rénale, maladie cardio-vasculaire…). «Ces pathologies concernent un tiers des personnes assurées et pèsent pour près des deux tiers des dépenses d’assurance maladie», a rappelé le professeur Cyrille Colin, responsable du service d’Evaluation économique en santé au sein du Pôle de santé publique des Hospices civils de Lyon, membre de la mission Aubert. «Leur prise en charge nécessite l’intervention de plusieurs professionnels de santé et médico-sociaux travaillant ensemble au long cours.» D’où l’idée, pour mieux coordonner leurs efforts, de la création de «forfaits de prise en charge de situation chronique». En clair, le professionnel de santé ne sera plus payé à chaque rendez-vous avec son patient, mais recevra un paiement global pour sa prise en charge. Ce système existe déjà en Allemagne, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni. Selon le rapport, il peut améliorer non seulement le suivi du patient mais aussi la prévention.

Un avis que ne partage pas la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), alors que les pathologies chroniques constituent l’essentiel de l’activité de nombreux médecins généralistes et spécialistes, a réagi son président Jean-Paul Ortiz, auprès de Reuters. “Jusqu’à présent, quand il y a une rémunération au forfait, les revalorisations tarifaires sont très difficiles à obtenir”, souligne-t-il. “Nous restons très attachés à un paiement à l’acte”, dit Jean-Paul Ortiz.

Système de paiement groupé

La coordination des acteurs de la santé, cheval de bataille d’Agnès Buzyn, pourrait être par ailleurs motivée par la mise en place d’un système de paiement groupé, appelé «bundled payment» par les Anglo-Saxons. L’idée est de verser une rémunération globale à un groupe de professionnels de santé sollicités au cours de l’épisode de soins considéré. A leur charge ensuite de se mettre d’accord sur le partage de cette rémunération entre eux. «Nous souhaitons créer ainsi des filières de prise en charge dans des activités prescrites à la suite d’une première hospitalisation», a expliqué Sandrine Billet, adjointe à la sous-direction de la régulation de l’offre de soins au ministère de la Santé.

Le rapport propose enfin de réviser totalement les nomenclatures des actes médicaux (qui comptent 8.500 références). Leurs tarifs seraient fixés de trois à cinq ans à l’avance pour donner «une vision pluriannuelle» aux acteurs.

Agnès Buzyn a fixé la prochaine étape du chantier de la «task force», à qui elle a demandé d’ouvrir «dès la semaine prochaine» une phase de consultation de toutes les parties prenantes, qui devrait s’achever en mars et à l’issue de laquelle la ministre donnera ses «orientations» sur la définition d’un nouveau schéma de financement du système de santé. Son objectif est d’inscrire des «mesures de transformation» dans le budget de 2020 de la Sécurité sociale. Une partie des dispositions figurera également dans la loi “Ma santé 2022” qui sera présentée le 13 février en conseil des ministres.

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