Total abandonnerait sa prospection au large de Chypre et d’Israël, freiné par la Turquie ?

Tout semble vouloir se percuter ces temps-ci . Après l’attentat perpétré dans les locaux de Charlie Hebdo, les mouvements anti-France à travers le monde, lesquels pourraient bien impacter des géants français comme Areva au Niger, c’est au tour de Total de s’éloigner d’une manne qui s’annonçait pourtant prometteuse.

Alors que les ressources en hydrocarbures situées au large de Chypre et d’Israël pourraient être un des enjeux de tout premier ordre dans la guerre du pétrole et du gaz à laquelle se livrent actuellement les grandes puissances le géant énergétique français Total devrait abandonner ses travaux de prospection de gaz et de pétrole au large de Chypre. 
C’est en effet ce que vient d’annoncer récemment le ministre chypriote de l’Energie, George Lakkotrypis.

Raisons invoquées : le groupe français n’aurait pas trouvé de cible importante pour entreprendre des forages d’essai. Tout de même surprenant avouez-le …. a moins que la France ait perdu quelques pions dans une sombre bataille …. Bataille dont les protagonistes n’appartiennent pas à des nations les plus paisibles ces temps derniers, telles que Israël, Liban, Turquie, Chypre, Égypte et Etats-Unis …

« Total n’a pas trouvé de structure ou cible géologique pour poursuivre ses obligations », a précisé quant à lui le ministre à la radio publique chypriote. Ajoutant qu’une décision définitive serait prise dans les jours prochains, en raison d’obligations contractuelles.

Réagissant à ces propos, Total a confirmé avoir « récemment achevé les sondages géologiques, géochimiques et géophysiques des blocs 10 et 11, sans avoir pu identifier de cibles de forage potentielles. » Ajoutant que le groupe français était actuellement en discussion avec les autorités locales sur un potentiel programme de travaux d’exploration additionnels dans la zone.

Merci de bien vouloir le croire … même s’il s’avère étrange qu’il soit besoin de le préciser …

Selon le ministre chypriote de l’Energie, la décision de Total et avant tout liée à une volonté de « réduire ses pertes », motivée par des considérations de viabilité commerciale et « non par les tentatives d’Ankara d’empêcher l’exploration d’hydrocarbures au large de l’île » dont une partie est occupée par la Turquie.

Précisons à cet égard que la Turquie pose comme préambule à l’exploitation de gisements d’hydrocarbures par le gouvernement chypriote-grec de la République de Chypre la signature d’un accord de paix, le but ultime étant que les Chypriotes et les Turcs bénéficient eux aussi de la manne pétrolière et gazière.

En octobre 2014, la Turquie avait affrété un bateau en vue de sonder les fonds marins dans la zone économique exclusive (ZEE) de la République de Chypre, à proximité d’un secteur où Nicosie a autorisé le consortium italo-coréen Eni-Kogas  à mener des explorations. En guise de réaction, Nicosie avait suspendu les négociations de paix, relancées huit mois plus tôt sous l’égide de l’ONU.

Rappelons qu’en  décembre 2010 un accord a été signé entre Israël et Chypre en vue de faciliter et de poursuivre les recherches off-shore d’hydrocarbures – de part et d’autre – dans la partie orientale de la Méditerranée … de gigantesques réserves de gaz ayant été alors découvertes dans la zone. Selon les contrôles de la commission gouvernementale israélienne mise en place pour gérer un fonds d’exploitation des ventes, les recettes prévues des gisements « Léviathan », « Tamar » et « Dalit » se monteraient à 100 voire à 130 milliards de dollars jusqu’en 2040.
Le groupe américain Noble Energy, alors principal opérateur du site indiquait alors pour sa part que  les réserves du gisement offshore de gaz naturel au large d’Israël baptisé Léviathan  étaient estimées à 450 milliards de m3.
« Cette découverte fait potentiellement d’Israël un pays exportateur de gaz naturel », avait alors souligné David Stover, haut dirigeant de Noble Energy, société basé à Houston, Texas. Confirmant ainsi les propos du le ministre israélien des Infrastructures nationales Uzi Landau. Lequel avait affirmé qu’ Israël pourrait devenir un exportateur de gaz … vers l’Europe … au grand dam de la Russie.  « Nous sommes d’ailleurs prêts à collaborer à un tel projet avec des investisseurs étrangers, mais aussi avec la Grèce  et Chypre« , avait-t-il même précisé.

–  Une usine de liquéfaction pour le moins stratégique

Mais si Charles Ellinas, PDG de la Compagnie nationale d’hydrocarbures chypriote,  affirme  que la situation économique de Chypre « n’affecte pas le développement » du champ gazier, les sources d’approvisionnement de l’usine de liquéfaction qui serait construite à terme  sur le territoire chypriote pourraient bien changer la donne. Constituant même un enjeu de taille dans la bataille que mènent actuellement majors pétrolières russes, européennes et américaines pour  tenter de rafler un maximum de licences d’explorations dans les gisements off-shores fort prometteurs situés au large de Chypre.

Car, si jusqu’à présent Nicosie tablait  sur l’apport des ressources de gaz  israéliennes pour rentabiliser la construction de cette usine, Israël aurait changé son fusil d’épaule. L’Etat hébreu envisagerait ainsi  de construire  sa propre usine de liquéfaction, voire de faire transiter son gaz  via pipeline  à travers la Turquie.

Qui dit absence des apports gaziers d’Israël pour alimenter l’usine, signifie pour Chypre une forte dépendance à de nouvelles confirmations de réserves d’hydrocarbures dans la zone en vue d’espérer rentabiliser l’investissement. Or, l’Etat chypriote a un besoin urgent de ressources financières …
Alors que le territoire turc représentait d’ores et déjà  un point  de transit énergétique important pour le pétrole de la Caspienne et d’Irak,  Ankara a récemment consolidé sa position grâce à des accords pétroliers avec le Gouvernement Régional du Kurdistan. Au final, la Turquie représente ainsi un élément fondamental pour Israël en vue de déterminer la route la plus rentable pour exporter son gaz.
Une situation certes complexe qui  donne donc à la Turquie  une position on ne peut plus stratégique entre Chypre et Israël.  Pouvant pousser quelques puissances hégémoniques à vouloir influer sur sa politique en déstabilisant le pays …

– Quand la Turquie s’opposait à Chypre sur l‘épineux dossier du gaz de Leviathan

Rappelons à toutes fins utiles qu’en septembre 2010, le Premier ministre turc déclarait à Al Jazzera, que la Turquie ne laisserait pas Israël jouir seule du gaz exploité dans les eaux chypriotes. Ce dernier jugeant « provocatrice » l’exploration au voisinage du gisement très prometteur de Léviathan.
Parallèlement le Premier ministre Recep Erdogan menaçait d’envoyer sa flotte au voisinage du site aux frontières controversées, annonçant qu’il pourrait fournir une escorte navale à ses propres bâtiments d’exploration en Méditerranée chargés d’effectuer des forages sur des gisements d’hydrocarbures au large de la côte nord de Chypre.

Quelques jours auparavant, lors d’une conférence de presse, le Premier ministre turc avait réitéré l’opposition de son pays aux zones économiques exclusives fixées en 2010 dans le cadre d’un accord entre Chypre et Israël.

«Nous avons des approches différentes en matière de zones économiques exclusives dans la région telles qu’elles ont été annoncées. Sur ce point, et s’agissant de l’armée, nous surveillerons cette région avec l’aide d’avions, de frégates et de vedettes lance-torpilles» avait-il prévenu.
Le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, réagissait ainsi aux propos du président chypriote Demetris Christofias, lequel venait d’annoncer que les forages débuteraient prochainement au large des côtes sud-est de Chypre.

Le gouvernement chypriote grec, seul à ce jour à être reconnu par la communauté internationale, avait alors débuté des travaux d’exploration sur le fabuleux gisement de Leviathan, situé au large de Chypre, avec la compagnie – américaine – Noble Energy, et ce, dans le cadre d’un accord avec Israël. Rappelons à cet égard que la partie turque, située dans le nord de l’île est uniquement reconnue par Ankara.

La Turquie avait également exhorté le gouvernement chypriote grec à cesser immédiatement ses explorations de gaz et prévenu que ses propres navires d’exploration en Méditerranée pourraient être accompagnés d’escortes militaires.

» La compagnie pétrolière turque TPAO va se déployer dans les eaux au nord de Chypre en raison d’un accord entre Ankara et la partie pro-turque de Chypre sur le tracé des frontières maritimes » avait parallèlement déclaré le ministre turc de l’Energie, Taner Yildiz.

Au final, Ankara demandait alors aux responsables chypriotes de favoriser la collaboration de la Turquie, dans les projets énergétiques de Chypre.

Elisabeth Studer – 28 janvier 2015 – www.leblogfinance.com


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