Total pris en otage par les paysans

Total ferme-t-il un site ? Les syndicats de ses raffineries réclament-ils des augmentations de salaires ? Un leader CGT a-t-il été licencié ? On s’interroge sur les raisons qui font que 17 dépôts de carburants de la major pétrolière sont bloqués depuis le 11 juin, et on apprend : 1) que Total investit 275 millions d’euros pour transformer le site de La Mède en une bio raffinerie ; 2) que 250 postes sont conservés sur 430 alors que l’unité perdait 100 millions par an ; 3) que ce projet permettra de réduire de presque la moitié les importations de biodiesel en France… Et surtout qu’il ne s’agit pas d’un conflit social qui a dérapé, mais d’un bras de fer entre les agriculteurs en colère et le gouvernement.

Total se retrouve ainsi pris en otage pour avoir voulu contribuer à améliorer le solde du commerce extérieur français tout en sauvant des emplois et en créant une nouvelle activité rentable de manière durable. L’objet du conflit est le recours à de l’huile de palme, sujet de préoccupation de nombres d’ONG. Leur importation parmi toutes les matières premières traitées à La Mède afin d’obtenir du biodiesel est un casus belli pour les paysans. Même si cela représente moins de la moitié de l’approvisionnement. Même si les huiles en question sont certifiées par tous les organismes européens experts en coup de tampons pour valider qu’elles sont bien issues de l’agriculture durable. Même si l’huile de palme, dont le rendement est quatre fois plus élevé que celui du colza au moment de sa transformation en biocarburant, la rend incontournable pour faire de La Mède un site rentable.

« Nous n’avons jamais eu de griefs contre Total », confie à Challenges.fr le numéro deux de la FNSEA, le principal syndicat paysan, dans un bel élan de sincérité. Le pétrolier, qui pensait plutôt bien faire, se retrouve donc instrumentalisé. Sans considération réelle pour l’objet initial du désaccord, il s’agit surtout d’aller plus loin, de pousser son avantage, de cibler le gouvernement et de chercher à obtenir le bannissement des importations qui concurrence le colza. Et voilà comment les tracteurs des agriculteurs cherchent à créer une pénurie de carburant.

C’est Ubu dans les campagnes, et l’expression d’une nouvelle forme de  » jusqu’auboutisme  » où il y a une dérive complète entre l’origine du conflit, les moyens employés pour faire pression et les risques de dérapage finaux. Mais après tout, puisque le chef d’Etat le plus puissant du monde peut, sous prétexte qu’il est irrité, défaire un accord sur le commerce mondial en deux tweets quelques heures après l’avoir signé, on aurait tort de se priver. Ainsi vont nos démocraties à l’âge du populisme. Et voir des syndicalistes, dont tous ne respirent pas la misère paysanne, cautionner ces menées, n’est pas de bon augure.

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