Vers une pénurie de gaz cet hiver faute de réforme politiquement incorrecte ?

Pénurie de gaz à prévoir en France l’hiver prochain ? C’est en tout cas ce que redoute l’opérateur de stockage Storengy, filiale d’Engie spécialisée dans le stockage souterrain du gaz. Exhortant à réformer d’urgence une réforme le système actuel, il prévient d’ores et déjà que les stocks des fournisseurs sont insuffisants pour couvrir la demande en cas de pointe de froid.

Lors d’une conférence de presse, la directrice générale de Storengy, Cécile Prévieu, a indiqué qu’il n’a été souscrit que 42,7 térawattheures (TWh) auprès de la société sur 102 TWh, soit moins de la moitié (42%). Un niveau très faible, selon elle et qui ne devrait pas permettre d’assurer la continuité de fourniture en France, y compris pour les particuliers, compte-tenu des volumes stockés à l’heure actuelle.

La dirigeante prévient également qu’en cas de commandes complémentaires trop tardives, les stockages ne pourraient plus être physiquement remplis pour le début de l’hiver, ces opérations pouvant nécessiter plusieurs mois.

Pour rappel, en vue d’assurer la sécurité d’approvisionnement de l’Hexagone, les fournisseurs ont l’obligation de stocker avant le 1er novembre des volumes de gaz suffisants pour être à même répondre à la demande hivernale des clients connectés au réseau de distribution (grands groupes industriels non inclus). Ces règles ont été notamment édictées en vue de permettre de faire face à une éventuelle de vague de froid, alors que la France est essentiellement importatrice de cette ressource. Cécile Prévieu est catégorique : « si avant l’été, on n’a pas de souscription complémentaire, le gaz ne sera pas là pour le début de l’hiver », met-elle en garde.

Malgré des baisses de prix consenties par Storengy sur les tarifs du stockage, ces deniers demeurent néanmoins plus élevés que les prix du marché. Depuis quelques années il n’est donc plus rentable pour les fournisseurs de constituer des stocks. Si auparavant ils profitaient des prix bas enregistrés durant l’été pour acquérir du gaz en vue de le stocker pour le revendre à un prix supérieur durant l’hiver, tel n’est plus le cas désormais. L’écart de prix entre saison de forte demande et la saison estivale s’est en effet fortement réduit et ne permet plus de couvrir les coûts de stockage. Un tel constat n’incite pas les fournisseurs à jouer le jeu, et à se conformer à leur obligation.

Face à une telle situation, Storengy demande au ministère de l’Energie de faire respecter la législation en vigueur et de remettre d’urgence à l’ordre du jour la réforme du stockage abandonnée à l’été 2016, afin que le nouveau système puisse entrer en vigueur début 2018. Reste que d’ici là, deux élections majeures auront lieu en France. Un contexte politique peu propice à une telle réforme.

La loi de transition énergétique d’août 2015 autorisait la modification par ordonnance, dans un délai de 12 mois, des modalités d’accès au stockage souterrain.Lequel est constitué d’une quinzaine de sites d’une capacité totale équivalente à près de 150 TWh, soit environ un tiers de la consommation annuelle française de gaz. Ces sites fournissent jusqu’à 60% du gaz consommé en période de grand froid, alimentent les centrales thermiques en cas de pic de consommation électrique ou de risque de rupture de charge et absorbent l’excès d’offre de gaz en été.

Mais le conseil d’Etat a retoqué l’ordonnance qui devait être promulguée en août 2016. si les fournisseurs et les entités de stockage avaient anticipé la réforme pour préparer leur campagne 2017-2018, ils sonnaient d’ores et déjà l’alarme. « Pour l’hiver qui vient, les capacités de stockage sont vendues. En revanche, on ne sait pas ce qui va se passer pour l’hiver 2017-2018″, expliquait en novembre dernier une porte-parole de l’Association française du gaz (AFG). « Le système est à bout de souffle. Il y a donc aussi un vrai risque sur sa stabilité », avait déjà alerté de son côté Cécile Prévieu.

« A partir du moment où il n’était plus rentable de stocker du gaz, les souscriptions de capacités de stockage ont beaucoup diminué », expliquait quant à lui Fabien Choné, président de l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode).

La réforme envisagée devait remédier à cette situation, tout en garantissant aux stockeurs un revenu couvrant leurs coûts, sous le contrôle de la Commission de régulation de l’énergie. Le projet d’ordonnance instaurait un système d’enchères pour attribuer les capacités de stockage à des prix compatibles avec ceux du marché et prévoyait de compenser le delta avec les prix non margés des stockeurs. Cette différence – évaluée entre 400 et 500 millions d’euros – soit environ la moitié de leur chiffre d’affaires, devait être prise en charge par les gestionnaires de réseaux de transport de gaz et intégrée à la facture des utilisateurs finaux. Mesures pas très politiquement correctes – voire acceptables – en période électorale, vous en conviendrez. Le conseil d’Etat avait d’ailleurs estimé qu’un tel fonctionnement s’approchait de la mise en œuvre d’une taxe, imposant de ce fait de passer par la voie législative.

« Il a été décidé de se donner un peu plus de temps pour élaborer une réforme qui tienne la route. Le travail est en cours », indiquait -on alors dans l’entourage de la ministre Ségolène Royal. Laissant aux successeurs le soin de mettre en place de telles mesures pouvant vites s’avérer impopulaires.

Devant les commissions du développement durable et des affaires économiques de l’Assemblée nationale, la ministre de l’Environnement s’était même montrée plus directe, estimant que la balle était dans le camp des opérateurs. « Je ne vois pas pourquoi on payerait forcément des factures disproportionnées, surtout si elles retombent sur le consommateur », avait-elle déclaré.

Une interprétation qu’avaient alors récusée les opérateurs. Selon eux, cette compensation serait neutre pour la facture du consommateur, car annulée par une baisse équivalente de la partie hors taxe. Et ce, que la mesure soit financée par une augmentation du transport ou de la taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN). « Cette réforme n’implique aucune variation sur la facture finale du consommateur. Elle aura même tendance à diminuer », assurait même alors même Céline Prévieu.

Le député socialiste Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable avait oser dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas, à savoir que « annoncer une augmentation de taxe de 400 ou 500 millions d’euros, même neutre pour les consommateurs, ne passera pas inaperçu ».

« Nous ne pourrons pas continuer indéfiniment, sans visibilité, à soutenir la sécurité du système en remplissant 15 à 20% de nos sites en achetant à la place des fournisseurs le gaz que nous devons ensuite stocker en perdant de l’argent » avait quant à elle prévenu Cécile Prévieu. Alarmant tant sur les risques de pénurie mais également sur la mise en péril d’un outil industriel employant un millier de salariés.

Sources : AFP, Reuters, Les Echos

Elisabeth Studer – 12 avril 2017 – www.leblogfinance.com

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