Visa pour l’Image : le monde de la finance pourrait sonner le glas du photo-journalisme

« Les financiers sont en train d’enterrer ce métier. » C’est le cri d’alarme que lance en préambule Jean-Paul Griolet, Président de l’Association Visa pour l’Image qui présente, du 30 août au 14 septembre 2014, le 26ème festival international du photo journalisme à Perpignan.
Tout est dit : la finance tente de maîtriser – voire maîtrise d’ores et déjà – le monde des médias et tout particulièrement le secteur de la photo. Le danger pouvant être – si nous n’y prenons garde – d’aboutir à une information absente de tout pluralisme … voire à une dictature de l’information ?

Car petit à petit, la pieuvre financière a mis son dévolu sur un média qui permet de façonner une image du monde qui sert ses intérêts
Le froid glace d’autant plus le sang si l’on rappelle qu’en septembre 2009, se passait un événement information passement totalement inaperçue ou presque … et pourtant, d’une importance majeure.

A l’heure ou photos et vidéos peuvent changer tant la face du monde que la conception que nous en avons … « on pourrait même s’effrayer de savoir que la très célèbre agence Getty Images est désormais tombée dans le giron de Carlyle », le trop célèbre fonds d’investissement lié notamment  à Ben Laden Group et à Oliver Jean Sarkozy, m’étais-je alarmée à cette date ….

Quand on sait que Carlyle détient aussi une part non négligeable dans l’opérateur télécoms historique français mais également planétaire … à savoir Orange – France Telecom … on peut imaginer avec effroi ce que l’alliance – plus ou moins volontaire – des trois pourrait engendrer … avais-je alors ajouté.

Le spécialiste de l’image photo et vidéo Getty Images venait alors d’être racheté à la société d’investissement Hellman & Friedman pour 3,3 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros) par ses fondateurs et dirigeants, lesquels sont associés au fonds Carlyle pour l’opération. La nouvelle a été officialisée le 15 août 2009 par un communiqué commun … en plein congés d’été, ce n’est pas un hasard

L’accord prévoyait notamment la participation du président et cofondateur de Getty, Mark Getty, ainsi que de la famille Getty et d’autres membres de l’encadrement du groupe, dont le directeur général et cofondateur Jonathan Klein.

« Nous exploiterons les ressources financières de Carlyle et son réseau mondial pour aider Getty Images à franchir une nouvelle étape dans l’innovation en termes de produits et à croître au niveau mondial », promet Eliot Merrill, directeur de Carlyle, cité dans le communiqué. De quoi glacer le dos …
« Nous sommes ravis de collaborer avec Carlyle (…) et d’amener notre entreprise vers une nouvelle étape de développement et de croissance », s’était félicité de son côté Jonathan Klein. « En 17 ans, nous avons bâti une entreprise qui a révolutionné son secteur, avec l’innovation comme moteur. J’ai confiance dans le fait que le partenariat entre Getty Images et le groupe Carlyle permettra à l’entreprise de continuer à être couronnée de succès », avait quant lui déclaré Mark Getty.

En mai 2009, le Financial Times avait laissé entendre pour sa part que Hellman & Friedman avait fait appel à différentes banques en vue de piloter une éventuelle vente ou introduction en Bourse du fonds photographique Getty Images.

Désormais, la part du fonds Carlyle dans la société dépasse légèrement les 50%, ce qui lui donne le contrôle de Getty Images.…

Un revirement de stratégie, alors qu’en 2008, la société d’investissement avait payé 2,4 milliards de dollars pour cette fois-ci retirer de la cote le spécialiste de l’image photo et vidéo.
Depuis sa fondation en 1995 à Seattle (Etat de Washington, nord-ouest des Etats-Unis), Getty Images s’est imposé comme la première agence photographique ciblant prioritairement des clients non-médias. Mais elle a acquis ces dernières années ses lettres de noblesse sur le marché de l’information de presse. La société compte l’Agence France-Presse parmi ses partenaires.
« George Bush père et fils, Frank Carlucci, l’ex-directeur adjoint de la CIA, John Major, l’ex-premier ministre britannique, George Soros, Olivier Sarkozy et tous leurs semblables se frottent les mains : le fonds d’investissement américain Carlyle, connu comme étant lié au complexe militaro-industriel américain, continue à étendre son empire » s’alarmait quant à lui le SNJ-CGT (Acrimed).

Ce dernier rappelant que depuis 2002, Getty et l’AFP étaient alors partenaires suite à un accord de délégation de couverture dans le cadre d’un contrat signé « sous l’ère Eveno.
De son côté, Carlyle gère les placements de 1400 investisseurs par le biais de 99 fonds d’investissement et de 63 fonds dites « véhicules » : fondé en 1987 avec 5 milliards de dollars, il avoue en gérer aujourd’hui 156 ; et il investit dans tous les secteurs, notamment celui de la défense.

Le SNJ-CGT (Acrimed) rappelait par ailleurs qu’en juin 1999, le groupe Carlyle avait injecté 26,5 millions dans le Figaro. Il s’était également fait connaitre du grand public en en 2002 avec le scandale de l’Imprimerie nationale, achetée 85 millions en 2003 à l’Etat et revendue quatre ans plus tard 376,5 millions (après des travaux pour un montant de 120 millions). Autre belle opération pour Carlyle souligne encore le SNJ-CGT : « le rachat de la presse professionnelle de Vivendi en 2002 et la revente à la découpe (le groupe Moniteur à Sagard en 2004, La France agricole en 2005, le groupe GISI à ETAI ainsi que le groupe Tests à Nextradio en 2007) ».

Toujours selon le syndicat des journalistes, Getty Images a « réussi à complètement déréguler le marché de la photographie de presse, notamment en commercialisant des photos libres de droits (photos d’amateurs), se spécialisant dans la photo dite d’illustration et de magazine et en cassant les statuts sociaux ».
Au final, souligne le SNJ-CGT, les « salariés de Getty et les reporters-photographes ont raison d’avoir toutes les craintes pour leur avenir et celui de leur profession ».

Pour le SNJ-CGT, « il serait temps pour l’AFP de rompre son accord avec Getty Images et son nouveau propriétaire à l’éthique et aux principes peu scrupuleux ».
Prévenant que sans cela, les « les dérives déontologiques » et de choix de « couverture », dénoncés régulièrement par les photojournalistes, « risquent de s’accentuer ». « Au détriment d’une information complète et sourcée auquel a droit chaque citoyen » prévenait au final le syndicat.

Aujourd’hui c’est Jean-Paul Griolet qui lui emboîte le pas …. et qui enfonce le clou … Estimant qu’  »à travers ses reportages, le photojournaliste doit éveiller notre conscience ; promouvoir la tolérance, le respect d’autrui, les beautés du monde ; condamner les barbaries, tous les racismes, les fanatismes, les dégradations de cette planète que nous allons léguer à nos enfants… » Ajoutant avoir besoin des photojournalistes, qui ont « fait le choix de cet idéal » et ont en fait leur métier , en y ajoutant leur vision et leur talent.

Mais pour lui, il « devient crucial que tous les acteurs de la presse, qui vivent grâce à leur talent et leur courage, cessent de les sacrifier sur l’autel du seul profit financier.

Adressant au final une véritable « supplique » aux gouvernants et politiques : « il faut agir vite pour sauver le photojournalisme. ».

Elisabeth Studerwww.leblogfinance.com – 05 septembre 2014

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