2014 s’annonce chaud pour les opérateurs des Télécoms

Jean-Ludovic Silicani n’est peut-être pas un grand orateur, mais il aime ménager ses effets. Pour ses derniers vœux comme président de l’Arcep, lundi 27 janvier, le haut fonctionnaire avait déniché un rapport de Bercy. Le message ? « Les télécoms sont à la fin d’un cycle de croissance exceptionnelle. » 

Devant lui, alignés sagement, Stéphane Richard, le PDG d’Orange, Eric Denoyer, celui de Numericable. Le fondateur de Free, Xavier Niel, s’est caché au fond, vers l’un des deux escaliers menant à ce grand salon d’apparat de la Sorbonne. Olivier Roussat, le PDG de Bouygues Telecom, se tient discrètement dans un coin de porte. Et il faut ruser pour apercevoir Jean-Yves Charlier, le nouveau patron de SFR. Mais ils sont tous venus.

Réunis, c’est un rituel, dans « ce lieu de mémoire et d’intelligence », comme se plaît à le souligner Jean-Ludovic Silicani. Tout un programme dans ce monde de brutes que constituent les télécoms. Deux ans après l’arrivée de Free dans le mobile, le secteur a détruit pas moins de 4 milliards d’euros de valeur…

« De la croissance cette année ? Impossible ! »

Alors un ange passe au moment où le président de l’Arcep sort son rapport de Bercy qui date, révèle-t-il, de 2001, « à l’aube d’une forte période de croissance ». Message réitéré dans un entretien accordé à Challenges.fr, à lire en cliquant ici.

Sur le visage de sphinx de Stéphane Richard, un léger rictus : « De la croissance cette année ? Impossible ! » L’an dernier, la guerre des prix dans le mobile a fait chuter de 13% la recette moyenne par abonné. En 2014, c’est une nouvelle marche de 7% qui est anticipée.

« Soyons plus ambitieux et plus lucides », rétorque le régulateur en guise de conclusion. Ben voyons ! Une dernière fois, il répète à quel point le retour de quatre à trois acteurs, auquel tout le monde pense en face de lui, serait catastrophique. « Cela conduirait à une hausse de prix rapide », juge-t-il, définitif.

Sourires de circonstance

Sous ses yeux, pour cette dernière devant le théâtre des télécoms, les couteaux sont rangés. Eric Denoyer, Jean-Yves Charlier et Pierre Louette, secrétaire général d’Orange et président de la Fédération française des télécoms, se retrouvent fugacement, le temps d’un sourire, d’un mot qui se veut aimable. Michel Combes, nouveau patron d’Alcatel-Lucent, serre à la ronde les mains de ses clients, auxquels le gouvernement a fermement conseillé de participer au sauvetage du groupe franco-américain. Et de fondre sur Bruno Lasserre, le président de l’Autorité de la concurrence, à qui il promet un déjeuner en tête à tête « pour refaire le monde ». Il faut dire que l’année 2014 s’annonce riche.

Derrière les masques, chacun cherche à percer les pensées profondes des autres. Stéphane Richard a perdu de sa jovialité passée. Pour lui, l’année 2013 a été terrible : sa mise en examen dans le cadre de l’affaire Tapie, l’aller-retour aux enfers de son cours de Bourse, les noms d’oiseaux échangés avec son premier client, Xavier Niel. Mais, il en est certain, le plus dur est passé. Prêt à penser à l’avenir, il a commencé l’année en galvanisant les troupes lors d’un séminaire en Espagne, quelques jours plus tôt: « Nous allons faire mordre la poussière à nos concurrents ! »

Le PDG d’Orange y croit

Son renouvellement à la tête de l’ancien opérateur historique devrait être acté par son conseil, le 26 mars. « Au sein des pouvoirs publics, je ne vois que de l’indifférence bienveillante. » Les relations avec Arnaud Montebourg se sont réchauffées. L’Elysée envoie des messages rassurants. Et les administrateurs indépendants lui sont acquis. Ne reste plus qu’à prier pour que l’affaire Tapie ne connaisse pas de rebondissement inopiné…

Bientôt le soulagement pour cet homme de 52 ans. Sera-t-il le premier PDG de France Télécom à être renouvelé ? Il doit cependant retrouver, pour Orange comme pour ses concurrents, le chemin de la croissance. « Cette année, notre combat, c’est la stabilisation des marges », précise-t-il. Grâce aux loyers payés par Free sur son réseau, dans le cadre de l’itinérance, il a gagné 718 millions d’euros l’an dernier.

Certes vendredi 31 janvier, Arnaud Montebourg, lors de sa propre cérémonie des voeux, a mis la pression sur Orange et Free: « 2014 doit être l’année de la négociation des modalités et du calendrier de sortie de l’itinérance » a-t-il prévenu avant d’ajouter que la « mise en sommeil » de l’accord n’interviendra « pas du jour au lendemain ». Mais cette menace arrange peut-être Stéphane Richard. 

Avec Xavier Niel, les relations se sont considérablement rafraîchies après l’interview de ce dernier dans Le Journal du dimanche, où le fondateur de Free jugeait Stéphane Richard « un peu jeune dans le métier« . On ne verra pas cette année les deux hommes s’offrir un aparté souriant sous les ors de la Sorbonne.

Xavier Niel se crispe

De son côté, Xavier Niel savoure encore son bon coup de décembre. Il a jeté un gros pavé dans la mare de ses concurrents en offrant la 4G sans surcoût dans ses forfaits – mais en couvrant seulement 20% de la population. Sa plus grande satisfaction ? Avoir rendu ses concurrents hystériques en jouant sur la surprise. S’il est un sujet qui le rend fou, lui, ce sont bien les accusations sur son absence de réels investissements dans son réseau.

Jean-Ludovic Silicani a rappelé, durant son discours, que, « chronologiquement, la prochaine échéance concerne le déploiement de la 3G de Free Mobile, en janvier 2015 ». Le visage de Xavier Niel, aux yeux habituellement plissés dans un sourire, se transforme en un masque de colère rien qu’à penser à ce sujet. « J’investis partout où je le peux. Si je pouvais tout faire en une nuit, je le ferais ! » Et il dégaine son iPhone pour montrer qu’on capte la 4G de Free à la Sorbonne.

Qui veut rivaliser avec lui pour comparer la rapidité de son réseau à capter YouTube ? Le patron des télécoms devenu mogul des médias ne se presse pas pour quitter cette salle où les journalistes viennent l’apostropher. Une trop belle occasion de pratiquer son sport préféré : l’ironie teintée de provocation.

Le patron de SFR s’éclipse

Au moment où les serveurs s’agitent pour garnir les tables de cocktail, Jean-Yves Charlier s’est déjà éclipsé. Son service de communication a réussi à l’exfiltrer. Le PDG de SFR depuis plus de six mois maintient un silence obstiné. Sa partie, il va bientôt la jouer devant les analystes et les banquiers. Si tout se passe comme prévu, il mettra en Bourse le deuxième opérateur français le 24 juin. Pour y parvenir, il va falloir être capable de raconter une histoire au marché, comme le disent les financiers. « SFR doit être une société du xxie siècle », expliquait-il mi-décembre en présentant le nouveau siège du groupe à Saint-Denis.

Paradoxalement, le premier signe de modernité, aux yeux des analystes financiers, devrait être la signature de l’accord de mutualisation avec Bouygues Telecom, dont les négociations durent depuis l’été dernier : elle doit avoir lieu vendredi 31 janvier, selon Les Echos. Juste avant les vœux de la Fédération française des télécoms. Comme un pied de nez à Jean-Ludovic Silicani… Charlier, toujours tiré à quatre épingles, policé et souriant, est encore l’inconnu du petit monde français des télécoms. Même Vincent Bolloré, premier actionnaire de Vivendi, la maison mère de SFR, se demande encore s’il n’est pas sous-dimensionné pour le poste. Le boss doit donc préparer minutieusement son introduction.

Olivier Roussat sait lui aussi que cette année sera cruciale, que l’heure est à la conquête et que le temps presse : « Nous devons continuer à profiter de notre avance dans la 4G mobile. » Elle durera quelques mois encore, pas plus. Pour se projeter au-delà, Martin Bouygues a tout simplement déclaré « la guerre dans le fixe » le 20 décembre dans les colonnes du Figaro, en promettant une baisse de 150 euros par an aux consommateurs. « La priorité numéro un cette année est de concrétiser les annonces de Martin », confirme le patron opérationnel de Bouygues Telecom.

Numericable en piste pour reprendre SFR

Son actionnaire entend décocher une flèche mortelle dans le cœur du système Free, en l’attaquant là où le trublion réalise ses profits. L’annonce a pris de court les équipes de Bouygues Telecom, et laisse sceptiques ses concurrents. « Si je comprends bien, cela va lui coûter tout le cash qu’il lui reste », souffle Stéphane Richard en quittant le salon de la Sorbonne. Serait-ce le dernier coup de poker du milliardaire pour reprendre la main dans les télécoms, l’activité qu’il a créée ? Lourde responsabilité pour Roussat. Sans doute est-ce pour cela que le PDG de l’opérateur tempère l’importance de l’accord de mutualisation avec SFR : il avertit que « la concrétisation sera plus tardive, en 2015 ».

Le moins connu de tous ces patrons se nomme Eric Denoyer, à la tête de Numericable. « C’est ma première année à la tête d’un groupe coté ! » savoure-t-il en songeant à la progression de son action. Son actionnaire le plus actif est le grand absent de cette soirée. Patrick Drahi, peu habitué à ce genre de manifestation, prépare l’arrivée, le 31 janvier, de sa société, Altice, à la Bourse d’Amsterdam. A Eric Denoyer, il a confié une mission très simple : mettre la main sur SFR. Dégainera-t-il avant ou après la mise sur le marché de la filiale de Vivendi ? Les rumeurs les plus contradictoires circulent au moment où le gratin du secteur joue des coudes pour attraper une coupe de champagne.

Un des meilleurs observateurs de ce marigot, Geoffroy Roux de Bézieux, actionnaire de Virgin Mobile, est un peu plus détaché que les autres depuis qu’il est vice-président du Medef. « Aujourd’hui, Patrick Drahi marche sur l’eau avec sa mise en Bourse. Il doit maintenant se faire accepter par l’establishment français s’il veut fusionner Numericable et


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