Activité partielle longue durée: que prévoit le nouveau dispositif?

Promis pour le 1er juillet, il aura finalement fallu attendre le 31 juillet pour voir entrer en vigueur le nouveau dispositif d’activité partielle longue durée (APLD), précisé par une FAQ du ministère du Travail, le 5 août dernier. Ce nouveau dispositif permet à une entreprise confrontée à une réduction durable de son activité, de diminuer le temps de travail de ses salariés, et de se faire rembourser en partie par l’Etat les heures non travaillées.

Alors que l’économie pourrait mettre au moins deux ans à retrouver son niveau pré-coronavirus d’après la Banque de France, l’activité partielle va devenir « un sujet majeur de discussion dans les entreprises en difficulté dans les 15 prochains jours », anticipe déjà Yvan Ricordeau, secrétaire national de la CFDT.

  • Qu’est ce ça change par rapport à l’activité partielle ordinaire?

La durée et l’indemnisation. « L’activité partielle ‘normale’, ou chômage technique, existe depuis assez longtemps maintenant, ce qui change ici c’est surtout la longue durée », note Diane Reboursier, avocate en droit social au sein du cabinet August Debouzy. Le dispositif traditionnel est limité à six mois, et surtout mobilisé en cas de catastrophe, comme l’incendie d’une usine, très rarement en cas de réduction de l’activité, et les indemnisations de l’entreprise étaient aussi assez faibles, plafonnées à 7 ou 8 euros de l’heure. »

Présentée comme un véritable « bouclier anti-licenciements » par le gouvernement, la nouvelle activité partielle longue durée (APLD) permet donc aux entreprises confrontées à une réduction durable de leur activité de diminuer le temps de travail de ses salariés, de 40% maximum sur 2 ans (d’affilée ou non), sur une période de 3 ans maximum. « De quoi permettre aux entreprises de passer la vague, et de garder les emplois et les compétences pour pouvoir repartir », souligne l’avocate.

Le salarié placé en activité partielle reçoit alors une indemnité horaire, versée par son entreprise, de 70% de son salaire brut, dans la limite de 4,5 smic, avec un plancher de 8,03 euros de l’heure; il ne pourra donc pas toucher moins que le smic horaire. Un employé avec une réduction de 40% de son temps de travail aura ainsi une rémunération totale (heures travaillées plus indemnités) de 93% de son salaire brut normal.

Du côté de l’employeur, celui-ci reçoit une allocation de l’Etat pour une partie de la rémunération brute du salarié, pour ses heures non travaillées. Jusqu’au 1er octobre, cette allocation est de 60% du salaire brut, dans la limite de 4,5 smic. Pour les accords d’activité partielle longue durée transmis à l’administration à compter du 1er octobre 2020, cette allocation sera abaissée à 56% du salaire horaire brute.

  • Qui est concerné?

Potentiellement toutes les entreprises. L’APLD est mobilisable par des entreprises confrontées à une réduction durable de leur activité, quels que soient leur taille et leur secteur. Poussée par le secteur de la métallurgie, le premier à avoir signé un accord de branche à ce sujet, l’APLD pourrait s’adapter aussi bien à l’industrie qu’à d’autres secteurs en forte baisse d’activité comme l’hôtellerie, l’édition ou encore le bâtiment.

Contrairement au dispositif « normal » d’activité partielle, l’entreprise qui souhaite un accord d’APLD n’a pas à prouver X% de réduction de son carnet de commande à l’instant T. En revanche, elle doit fournir un diagnostic de la situation économique et ses perspectives d’activité. « L’idée est de pouvoir s’adapter au carnet de commande. Il y a quand même des éléments à démontrer sur la réduction d’activité, contrôlés par la Direccte, avec une réévaluation de la situation tous les six mois », détaille Diane Reboursier.

Mais cette définition floue des « difficultés » de l’entreprise, chargée elle-même de son diagnostic, constitue un premier point de blocage pour la CGT. « L’APLD peut s’appliquer à toutes les entreprises avec une réduction d’activité, même si la pérennité de l’entreprise n’est pas compromise », regrette Véronique Martin, dirigeante confédérale de la CGT.

Par la conclusion d’un accord avec les partenaires sociaux. L’APLD nécessite de signer un accord collectif au sein de l’établissement, de l’entreprise ou de la branche. Cet accord doit obligatoirement contenir le diagnostic de la situation économique de l’entreprise, la date de début et la durée d’application de l’ALPD, l’activité et les salariés concernés, la réduction maximale de la durée de travail, les engagements de l’entreprise en matière de maintien de l’emploi et de formation professionnelle, ainsi que les modalités d’information des syndicats et représentants du personnel.

Le décret d’application du 30 juillet permet aussi d’inclure de manière optionnelle dans l’accord les efforts qui peuvent être demandés aux dirigeants, mandataires et actionnaires, proportionnés à ceux demandés aux salariés, les conditions dans lesquelles les salariés prennent leurs congés payés et utilisent leur compte personnel de formation, et les moyens de suivi de l’accord par les organisations syndicales.

En outre, si un accord est conclu au niveau de la branche, l’employeur peut élaborer un document unilatéral conforme à cet accord de branche, sans passer par un accord collectif au niveau de l’entreprise. De quoi permettre aux TPE et PME sans représentants du personnel de bénéficier elles aussi d’un accord d’APLD. Si UNSA se félicite que l’APLD ne puisse être mise en place que par un accord négocié, Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO avertit: « Il faut que les accords de branche soient les plus cadrés possible, pour laisser peu de latitude à des décisions unilatérales des employeurs. »

  • Quelles sont les inquiétudes des syndicats?

Des contreparties et engagements insuffisants pour le maintien de l’emploi. Qu’ils soient favorables à l’APLD comme la CFDT, ou défavorables au dispositif, comme la CGT, les syndicats s’inquiètent du risque de cumul des différents accords et plans. Les textes ne définissent pas ce que doivent être les « engagements en matière de maintien de l’emploi » des entreprises, ceux-ci sont à négocier dans l’accord collectif. Or en théorie, rien n’interdit à un employeur de cumuler un accord d’activité partielle longue durée pour le siège, avec un accord de performance collective (APC) dans un autre service, une rupture conventionnelle collective (RCC) voire un plan social (PSE) sur un autre site. « Nous sommes favorables à tout ce qui peut maintenir l’emploi, la difficulté de l’APLD ce sont ses contours. Comment vont s’articuler APLD, avec les plans sociaux, les APC ou les ruptures conventionnelles », s’interroge Vanessa Jereb, secrétaire générale adjointe de l’UNSA. « C’est notre gros point de vigilance, renchérit Yvan Ricordeau de la CFDT. Les négociations d’APLD doivent se faire le plus en amont possible des difficultés, pour éviter qu’elles n’interviennent dans les entreprises où des suppressions d’emplois sont déjà prévues, et pour éviter le cumul des accords ».

Autre regret des syndicats, que les contreparties demandées aux dirigeants et actionnaires ne soient que facultatives. « L’accord d’APLD peut prévoir un effort proportionné des actionnaires. Il est hors de question que seuls les salariés supportent le poids de la baisse d’activité, tranche Yvan Ricordeau de la CFDT. Il est évident qu’il faut un effort de solidarité. Là où il y a des difficultés, l’heure n’est pas aux dividendes ». « Nous aurions voulu un cadre plus rigide de l’APDL. Il doit y avoir des contrôles et contreparties obligatoires à partir du moment où il y a de l’argent public », souffle aussi Michel Beaugas pour FO.

Finalement, l’efficacité du « bouclier anti-licenciements » dépendra surtout de la qualité du dialogue social. « Là où les syndicats sont bien implantés, nous pouvons espérer des accords d’activité partielle longue durée gagnants-gagnants, protecteurs en matière d’emplois, qui interdisent les PSE », souligne Michel Beaugas. « C’est tout l’enjeu du rapport de force, insiste Yvan Ricordeau. Le texte fait le pari de la négociation, il faut s’en saisir et que les directions soient au rendez-vous ».

D’autant que le temps est compté. La participation de l’Etat sera moindre pour tous les accords transmis à partir du 1er octobre. Dans chaque entreprise en difficulté, syndicats et employeurs ont donc moins de deux mois pour poser un diagnostic et conclure un accord, alors qu’une grande partie des acteurs sont encore en vacances. Mais « si le dialogue social est de qualité, le délai ne sera pas un obstacle à la signature des accords », estime finalement le représentant de la CFDT.

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