Airbus: l'A380 proche du crash définitif

Requiem pour l’A380? L’avenir du super jumbo d’Airbus ne tient en tout cas plus qu’à un fil. Selon les agences Reuters et Bloomberg, Emirates est entré en négociations avec Airbus pour convertir sa dernière commande d’A380 (36 appareils) en biréacteurs A350. Cette opération, si elle se confirme, marquerait très probablement la fin du programme A380. Emirates est de loin le premier client du plus gros appareil commercial du monde, avec plus de la moitié des commandes (162 sur 321). A la fin décembre 2018, il ne restait que 87 A380 à livrer, dont 53 au seul Emirates. Un retrait de ce dernier rendrait l’équation économique du programme intenable: Airbus a déjà réduit au strict minimum sa production de super jumbos, avec une cadence prévue de 8 A380 cette année. Il ne peut plus guère aller plus bas, sauf à arrêter définitivement la production de l’avion. L’ancien super-vendeur d’Airbus, l’américain John Leahy, avertissait en janvier 2018 que « si nous n’arrivons pas à un accord avec Emirates, il n’y aura pas d’autre choix que d’arrêter le programme ».

Ce qui était impensable ne l’est désormais plus totalement. Emirates semble avoir perdu patience: en échange de sa dernière commande d’A380 (20 appareils, plus 16 en option), il voulait des efforts sur la performance et le prix des réacteurs. Rolls-Royce, pour lequel Emirates avait quitté son motoriste traditionnel Engine Alliance (GE-Pratt&Whitney), ne semble n’avoir pas convaincu la compagnie de Dubaï, qui considère son moteur comme trop cher et pas assez performant. Emirates a ressayé de revenir vers Engine Alliance, mais le motoriste a « montré peu d’enthousiasme », selon Bloomberg. Il faut dire que les volumes limités des réacteurs destinés à l’A380 n’incitent pas les motoristes à des efforts démesurés: l’essentiel de leur production de moteurs de long-courriers se fait sur le segment des biréacteurs (A350, A330neo, 777, 787), beaucoup plus dynamique.

Fragile équilibre

Si la commande d’A380 s’envole, c’est tout le plan de sauvetage d’Airbus pour son avion géant qui s’effondre. L’avionneur européen avait décidé de réduire sa production de super jumbo au strict minimum (8 avions en 2019), pour ne pas brûler trop vite son maigre carnet de commandes. L’idée était de se donner du temps pour convaincre de nouveaux clients, notamment les compagnies chinoises, de choisir l’appareil. Un renoncement d’Emirates détruirait ce fragile équilibre, et pourrait mener à la fermeture de la ligne d’assemblage Jean-Luc Lagardère de Toulouse, où est produit l’A380. Une bonne partie de ce bâtiment géant est d’ailleurs déjà utilisée pour assembler l’A350, qui est, lui, un vrai bestseller.

Au-delà d’Emirates, les autres compagnies clientes de l’A380 ne semblent pas pressées de repasser commande. Air France a répété qu’elle ne prévoyait pas de commandes supplémentaires, et devait faire passer sa flotte de très gros porteurs de 10 à 5 appareils. Interrogé à un événement de l’alliance OneWorld à Londres, Willie Walsh, patron d’IAG, la maison-mère de British Airways, indique quant à lui qu’il est très satisfait de l’avion, mais qu’il faudrait des baisses de pris « très agressives » pour le convaincre de ressortir le carnet de chèques.

Pilier de la flotte Emirates

Emirates va-t-il mettre ses menaces à exécution? A priori, la compagnie n’a pas vraiment intérêt à un arrêt du programme A380. L’appareil est un pilier de sa flotte, dans lequel elle a énormément investi, et qui compte beaucoup pour son image. Il est particulièrement adapté pour nourrir la croissance du hub d’Emirates, avec des configurations entre 489 et 615 sièges. En précipitant la fin de l’A380, la compagnie plomberait aussi la valeur résiduelle de ses avions, qui n’en ont pas besoin, vu le caractère extrêmement limité du marché des A380 d’occasion.

L’alternative, pour Emirates, serait de se rabattre sur des biréacteurs à forte capacité, comme l’A350 (335 à 366 sièges en configuration classique) ou le futur 777X (350 à 400 sièges). Ils n’atteignent pas la capacité de l’A380, mais ils ont l’avantage d’être plus faciles à remplir, plus récents, et plus sobres en carburant. Ils permettraient aussi à Emirates d’avoir une meilleure visibilité sur l’avenir de ses avions. Ils seraient aussi mieux adaptés à un ralentissement, voire un retournement du trafic aérien au Moyen-Orient, prédit par certains.

La fin de l’A380 serait le triste épilogue d’un programme qui a multiplié les coups durs. Problèmes de câblages, incidents sur des moteurs d’avions de Qantas et Air France, retards énormes et surcoûts gargantuesque : malgré sa popularité auprès des passagers, malgré l’exploit technique d’avoir réussi à développer un avion de cette taille, l’A380 risque de rester comme le plus gros échec commercial et financier de l’histoire d’Airbus. 

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