Analyse et Stratégie : Frédéric Rollin : « Le marché n’a pas encore pris en compte la dégradation de l’emploi américain »

« Les données économiques sont plus troublantes que celles que l’on attendait, notamment concernant l’emploi américain », a lancé d’emblée Frédéric Rollin, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM, lors d’une conférence téléphonique vendredi 3 avril. « En 1990, 2000 et 2010, lorsque le marché de l’emploi américain s’est dégradé, le marché actions a chuté. Or, les derniers chiffres de l’emploi, comme ceux des inscriptions hebdomadaires au chômage, plaident pour un taux de chômage au niveau de 2008, soit de l’ordre de 10%, mais la Fed estime qu’il pourrait encore doubler à partir de ces niveaux-là. Selon nous, les marchés n’ont pas encore pris en compte la dégradation du marché de l’emploi, même si cette dernière sera de courte durée », alerte-t-il, ajoutant que les marchés financiers vont rester très volatils. « Nous aurons encore des révisions à la baisse. » Quant à la croissance nominale, elle restera faible et plaide, selon l’expert, pour des taux durablement bas. Il salue en revanche la reprise de la production en Chine. « S’il y a quelques doutes, il y a aussi un ensemble de données, dont les indices Caixin, qui militent pour la reprise. Reste à savoir si elle sera durable. »

Accumulation progressive des stocks de pétrole

Concernant l’évolution des cours du pétrole, il reste prudent. « Nous n’entrevoyons pas de retour rapide aux prix d’avant-crise. La demande devrait baisser de l’ordre de 20 à 25 millions de barils par jour en avril », souligne Frédéric Rollin. « Aujourd’hui, les niveaux sont encore corrects, car il existe encore une capacité à stocker, mais on observe des tensions et une accumulation progressive des stocks. D’ailleurs, si le Brent est plus cher que le WTI, c’est parce qu’il est plus facile à stocker car près de la mer, alors que le WTI est dans les terres. Un pétrole très spécifique, comme le pétrole canadien, a connu des prix négatifs car les producteurs voulaient se débarrasser des stocks. »

En termes d’allocations, « nous ne revenons pas sur les actions européennes, les marges des entreprises étant plus faibles que chez les américaines. Une baisse forte du chiffre d’affaires impactera plus significativement les marges. Nous restons en revanche à surpondérer sur les actions chinoises par rapport aux mesures développées », précise Frédéric Rollin.

Santé et numérique

D’un point de vue sectoriel, « la crise actuelle revalorise l’importance de la santé et de l’industrie pharmaceutique. Il y a plus d’attention portée à la santé, une accélération de la prévention de l’hygiène de vie (obésité, cigarette, pollution) et une volonté d’amélioration des systèmes de santé », souligne Pictet AM, qui privilégie les biotech bien installées. « Les jeunes biotechs en phase initiale pourraient avoir du mal à se refinancer. Les grosses biotechs vont avoir des opportunités d’achat sur les médicaments en phase de test. La santé est un secteur défensif à croissance visible. » Autre secteur en vue, celui du numérique. « Il va y avoir une accélération du taux de pénétration du commerce électronique, notamment parce qu’il y a un retour possible de l’épidémie. Le consommateur pourrait donc retarder son retour dans les grands magasins, ce qui va profiter à des valeurs comme Amazon ou Alibaba. Les logiciels en tant que service (Saas), les opérateurs de réseau, l’IA ou tout ce qui est lié au work form home (livraison de repas, téléconférence, jeux en ligne, paiement numérique, banque ou santé en ligne et cybersécurité). Ce sont autant de valeurs qui voient leur intérêt mis en exergue et qui pourraient connaître des croissances importantes. »


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