Analyse et Stratégie : Trump, élections, Covid-19 : la Bourse face au « brouillard d'automne »

Il y a énormément d’attentisme en Bourse. « Les décisions d’investissement ont été prises au printemps, encore à la rentrée, et maintenant elles sont difficiles à prendre à cause de Trump, des élections, du Covid-19 », déroule Frédéric Rollin, le conseiller en stratégie d’investissement du gérant d’actifs Pictet AM. Nous voilà dans le « brouillard d’automne », poétise Christian Keller, chef de la recherche économique chez Barclays. « Après la forte reprise de l’activité au cours du troisième trimestre, les perspectives à court terme sont devenues plus floues en raison de nouvelles infections par le Covid-19 et d’incertitudes politiques prolongées. »

La crainte de troubles civils aux Etats-Unis

« Les volumes d’échanges [en Bourse] se sont considérablement réduits au quatrième trimestre », observe Benjamin Goy, chef de la recherche actions chez Deutsche Bank, pour qui cette chute s’explique par la crainte d’un retour de la volatilité avec, en toile de fond, la deuxième vague de coronavirus qui frappe les Etats-Unis et l’Europe et l’approche du scrutin présidentiel américain du 3 novembre aux Etats-Unis.

Les investisseurs craignent par-dessus tout que des troubles civils éclatent dans la première économie mondiale. « Le président Trump a déjà fait savoir qu’il n’acceptera pas le résultat de l’élection s’il montre qu’il a perdu parce que – prétend-il – il reposera sur des votes truqués, en particulier les bulletins par correspondance », rappelle Erik Nielsen, le chef économiste de la banque UniCredit. « Trump semble de plus en plus désespéré alors qu’il risque de perdre les élections. » A mesure que son déficit dans les sondages d’opinion se creuse, l’actuel locataire de la Maison-Blanche a un comportement de plus en plus « impétueux » et ses déclarations sont de plus en plus « bizarres ».

« La tension autour des élections américaines se ressent, confirme Ambroise Lion, directeur général du courtier IG France. « Les professionnels font de la gestion indicielle ». Par exemple, « pour profiter de la volatilité », ils font des allers-retours sur l’indice Dow Jones, sur lequel sont cotées les actions des grandes entreprises industrielles, très cycliques. La durée de détention sur les indices est courte, « de l’ordre d’un jour à une semaine. » En revanche, les investisseurs vendent l’indice Nasdaq. « La tendance qui pèse sur les valeurs des nouvelles technologies est négative. »

La charge des démocrates contre les Gafa

Une vague bleue (en plus de la présidence, les démocrates pourraient également remporter la majorité des sièges à la Chambre des représentants et au Sénat) fait craindre un démantèlement des géants de la « tech » ou, au minimum, plus de régulation des Google, Apple, Facebook et Amazon, qui pèsent très lourd dans la cote mondiale. Les élus de l’opposition de la Chambre des représentants ont rendu, la semaine dernière, un rapport de 400 pages dans lequel ces mastodontes sont accusés d’empêcher la concurrence en l’avalant avec leur montagne de cash.

Les Gafa sont dans le viseur politique après avoir été parmi les « chouchous » des petits porteurs, des nouveaux en Bourse, des plus jeunes. « La moitié de nos nouveaux clients ont moins de 30 ans », indique Xavier Prin, directeur marketing de Boursorama Banque. Les ouvertures de comptes ont continué bon train en septembre, même si elles sont « loin des records historiques de mars-avril ». Le mois dernier, les volumes d’ordres étaient encore trois fois supérieurs à il y a un an. Les particuliers « vont vers les actions des entreprises qu’ils connaissent, vers les produits qu’ils consomment.»

Jusqu’à récemment, les entreprises américaines de la « tech » avaient les faveurs des investisseurs. Le confinement, le télétravail a fait exploser leurs ventes. Voyez Amazon, voyez Zoom, voyez Netflix. Elles, comme toutes les valeurs de croissance ont, en plus, profité des taux bas, explique Frédéric Rollin de chez Pictet AM. « Parce qu’elles s’achètent cher, il faut attendre plus longtemps pour qu’elles donnent leur plein potentiel. Mais,  avec les taux qui baissent, le coût d’attente est de moins en moins important. »

Un « attrait » pour la couverture

Pour autant, toutes les valeurs qui ont été portées par la crise cette année ne sont pas en proie à des dégagements bénéficiaires. La « tech » hors Gafa reste recherchée. Ambroise Lion, chez IG, constate toujours des prises de positions sur Tesla, sur les biotechs et « l’introduction en Bourse des activités américaines de TikTok est très attendue. » A côté, « les investisseurs achètent les valeurs cycliques en phase de rebond qu’ils vendent en haut de range. Sinon, en phase défensive, ils achètent les valeurs de rendement », observe Andrea Tueni de chez Saxo Banque. Chez les investisseurs de plus long terme, « la low vol fait son grand retour », remarque-t-on chez SPDR, l’émetteur d’ETFs de la banque américaine State Street qui pointe la surperformance de l’indice Stoxx Global Low Risk Weighted Diversified 200 sur lequel sont cotées beaucoup d’entreprises de l’agroalimentaire (Campbell Soup, Danone), de la distribution (Amazon, CostCo, Walmart, de la santé (Johnson & Johnson, Merck & Co, Novartis, Sanofi), des télécoms (AT&T et Verizon) ou des services aux collectivités (Endesa, Italgas) qui, récession ou pas, ont de l’activité. « Les énergies propres sont aussi une thématique porteuse, ajoute Frédéric Rollin de chez Pictet AM. Elles sont ciblées par les plans de relance et la crise sanitaire a modifié notre mode de vie. On se dit qu’il serait peut-être temps de lutter contre le changement climatique. »

Il y a aussi un « attrait » pour la couverture, note Frédéric Rollin. A ce titre, « en plus de mettre en place des stratégies de diversification géographique », les investisseurs privilégient les secteurs avec « une croissance structurelle plus forte, comme celui de la santé. Les entreprises de ce secteur apportent une solution au vieillissement de la population mondiale. Elles adressent les pays émergents où les cas de diabète augmentent. Leur profil novateur attire les investisseurs. » Géographiquement, il y a une appétence pour l’Asie, l’Inde, la Chine. La récente appréciation du yuan donne à voir de la force des flux de capitaux entrants dans l’Empire du Milieu. « Le pays est sorti de l’épidémie, il a des succès clairs dans la course technologique », met en avant le stratégiste pour qui, en outre, « les marchés peuvent penser à court terme qu’aller en Chine c’est parier sur une victoire de Joe Biden aux élections présidentielles américaines. » Mais, prévient-il, « la guerre commerciale ne va pas s’arrêter avec les démocrates. Les confrontations seront simplement moins chaotiques, plus organisées. »

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