Analyse et Stratégie : Un accord, quel accord ? Les stratégistes mettent en garde contre l’excès d’optimisme en Bourse

Les guillemets s’imposent. C’est l’« accord » commercial partiel entre les Etats-Unis – et non pas l’accord – qui a permis, hier, aux Bourses mondiales de visiter de nouveaux sommets. « Il y a eu plus de ‘booms’ que dans un film de gangsters, ce fut une journée marquée par de multiples plus hauts », commente Jim Reid, stratégiste chez Deutsche Bank, « avec même des actions européennes qui sont entrées dans la danse alors que le Stoxx 600 a atteint son premier record depuis avril 2015. » A Paris, le Cac 40 a franchi la barre des 6.000 points, une première depuis l’été 2007.

Devant tant d’euphorie, les stratégistes sortent du bois. Ils sont nombreux à mettre en garde contre l’excès d’optimisme actuel au regard d’un « deal », officialisé vendredi par les Etats-Unis, qui n’en est pas vraiment un. « Sort of », disent les Anglo-saxons. Rien n’a été signé, insiste Kristina Hooper, chef de la stratégie chez le gérant d’actifs Invesco, pour qui « les choses peuvent encore mal tourner. » Aucun détail chiffré n’est connu. Pour ce que l’on en sait, la Chine s’est engagée à acheter davantage de produits agricoles et manufacturiers aux Etats-Unis et, en échange, Donald Trump – et c’est un soulagement pour les boursiers – a renoncé à de nouvelles surtaxes douanières contre la Chine (sur les smartphones et les ordinateurs portables notamment). Washington a par ailleurs accepté de ramener de 15 à 7,5% les dernière surtaxes douanières, celles qui portent sur 120 milliards de dollars de marchandises chinoises (vêtements, chaussures, ustensiles de cuisine…) et qui sont entrées en vigueur en septembre.

Le même coup qu’en octobre ?

« On ne sait pas exactement dans quelle mesure la Chine s’est engagée à accroître ses achats de produits américains », s’inquiète-t-on chez Capital Economics. « Les négociateurs chinois ont confirmé que les deux parties s’étaient entendues sur le texte d’un accord mais ont refusé de confirmer des détails spécifiques. » La Maison-Blanche aurait-elle refait le coup de l’accord qui n’en pas un ? Comme en octobre, quand le président américain avait annoncé sur Twitter, « un accord très important de phase 1 » ?

Craig Botham, économiste pour le groupe de gestion Schroders, admet que « la réticence des autorités chinoises à confirmer les détails pourrait suggérer que les discussions ne sont pas complétement conclues. » Toutefois, le professionnel préfère supposer que « les informations fournies jusqu’à présent s’avèrent exactes. » Dans ce cas, avec « la première brique de l’accord commercial sino-américain », Schroders serait poussé à rehausser ses prévisions de croissance mondiale. La maison de gestion, qui explique que « les modalités connues à aujourd’hui semblent faire état d’un accord qui dépasserait nos attentes », a retenu le chiffre de 50 milliards de dollars comme le montant des engagements chinois en matière d’achats de produits agricoles, soit le chiffre communiqué vendredi par Donald Trump. Le même qui avait fuité plus tôt dans la presse. Si tel était le cas, cela signifierait que la Chine achèterait le double de ce qu’elle achetait avant le début de la guerre commerciale. Or, jusque-là, Pékin avait toujours défendu sa position qui est de ne pas acheter plus que ses réels besoins.

« Une première étape réaliste consisterait à rétablir les achats à leur niveau d’avant la guerre commerciale, estime Michael Pearce, économiste spécialiste des Etats-Unis chez Capital Economics. Depuis l’instauration des surtaxes douanières, les exportations américaines de produits agricoles vers la Chine sont tombées de 18 à 7 milliards de dollars, tandis que les exportations de pétrole et de gaz sont passées 10 à 3 milliards de dollars. « Le rétablissement des niveaux d’achats d’énergie et agricoles d’avant la guerre commerciale pourrait donc stimuler les exportations américaines vers la Chine à hauteur de près de 18 milliards de dollars. […] Toute relance à court terme de l’économie serait modeste étant donné que l’augmentation des achats chinois ne ferait qu’évincer les autres acheteurs. En outre, il est peu probable que les agriculteurs et les entreprises américaines du secteur de l’énergie augmentent leurs investissements et leur production tant qu’il n’y aura pas plus de certitude que les achats seront bien effectifs. »


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