Ariane Next, future arme de l'Europe pour contrer Elon Musk ?

Certes, ceux qui attendaient un grand soir du spatial européen pour répondre aux lanceurs réutilisables d’Elon Musk en seront pour leur frais. Mais c’est un plan de vol précis, et finalement assez ambitieux, qu’a détaillé le 31 mai Jean-Marc Astorg, directeur des lanceurs du CNES, devant l’Académie de l’air et de l’espace. La situation actuelle est connue: avec son lanceur réutilisable Falcon 9, SpaceX a pris une avance technologique énorme sur la concurrence, notamment une fusée européenne Ariane 5 non réutilisable. Et cette avance ne risque pas de se résorber de sitôt : la future Ariane 6, dont le premier tir est prévu en juillet 2020, sera deux fois moins chère qu’Ariane 5, mais ne sera pas non plus réutilisable.

Le spatial européen est-il condamné ? Jean-Marc Astorg répond résolument par la négative. Un, Ariane 6, assure-t-il, reste la meilleure solution à court terme pour répondre à SpaceX, même si elle sera non réutilisable. « Il faut absolument disposer de ce lanceur dès 2020, martèle le directeur des lanceurs du CNES. Il permettra un coût du kilo mis sur orbite deux fois plus bas, 10.000 dollars par kilo contre 20.000 dollars pour Ariane 5. » Deux, le réutilisable, pour prometteur qu’il soit, n’est pas la seule solution pour baisser le coût d’accès à l’espace. « A un horizon de quinze ans, on peut imaginer un marché avec 50% de lanceurs réutilisables et 50% de lanceurs consommables, à l’image de l’équilibre qu’on constate aujourd’hui entre satellites à propulsion électrique et propulsion chimique », estime Jean-Marc Astorg.

Moteur réutilisable cinq fois

Pour autant, l’Europe doit absolument rattraper son retard sur les technologies du réutilisable, qui pourraient permettre une économie de 30% par rapport aux coûts de lancement actuels, estime Jean-Marc Astorg. La feuille de route européenne, sur laquelle travaillent l’agence spatiale européenne, ArianeGroup, et les agences nationales comme le CNES, permettrait de développer une Ariane Next réutilisable à l’horizon 2028-2030, qui permettrait de diviser encore par deux le prix du kilo en orbite par rapport à Ariane 6 : 5.000 dollars le kilo au lieu de 10.000. Ce coût, quatre fois moindre que celui de l’Ariane 5 actuelle, serait obtenu grâce à la réutilisation et une architecture à 14 moteurs identiques, qui permettrait de gros effets de série.

Mais à la différence d’Elon Musk, le CNES n’estime pas le réutilisable pertinent sur toutes les missions. « L’idée est de se concentrer sur les missions en orbite basse (LEO, LOW Earth Orbit, soit 300 à 1.000 km d’altitude), souligne le directeur des lanceurs du CNES. On utiliserait jusqu’à quatre fois le premier étage pour ces missions LEO, sur lesquelles les étages sont plus faciles à récupérer. Puis on l’utiliserait une dernière fois pour une mission en orbite plus haute, durant laquelle il ne sera pas récupéré. » Pour limiter les coûts au maximum, la remise en état de vol (refurbishment) des étages utilisés se ferait directement au Centre spatial Guyanais, ce qui suppose de se contenter de travaux limités.

Reste à développer le fameux lanceur. Le CNES envisage un plan en trois étapes. D’abord, le développement d’un moteur réutilisable, Prometheus, sur lequel l’agence travaille avec l’industriel ArianeGroup, maître d’œuvre d’Ariane 6. Avec ce moteur oxygène-méthane en partie imprimé en 3D, le CNES vise un coût divisé par dix par rapport au Vulcain actuel (un million d’euros contre 10 millions). « Nous allons construire deux prototypes, les premiers essais en Allemagne sont prévus en 2021 », indique Jean-Marc Astorg. Prometheus serait réutilisable jusqu’à 5 fois, et sa poussée pourrait être modulée (30 à 100%) comme celle du moteur Merlin de Falcon 9, ce qui permettra de faire atterrir les lanceurs en position verticale.

Une Ariane Next en 2028 ?

La deuxième étape sera le développement d’un premier prototype de lanceur réutilisable, Callisto. Celui-ci, haut de 13,5m et d’un poids de 3,4 tonnes, est actuellement développé en partenariat avec l’Allemagne et le Japon. Il devrait être testé à Kourou en 2020-2021, avec 3 à 5 lancements à 35km d’altitude, à l’issue desquels il serait récupéré sur un site encore à définir, entre le pas de tir Ariane 5 et celui de Soyouz. Le CNES a fait la choix du mode de récupération dit « toss back », avec un lanceur revenant se poser à la verticale comme Falcon 9. Troisième étape : un démonstrateur dix fois plus lourd que Callisto, baptisé Themis. Celui-ci serait testé entre 2023 et 2025. Il embarquerait entre un et sept moteurs Prometheus, et pourrait préfigurer un micro-lanceur ou les étages des futurs lanceurs Ariane.

Ce plan de vol aboutirait, à la fin des années 2020, à deux options possibles : une simple évolution d’Ariane 6, Ariane Evolution, dotée d’un ou deux moteurs Prometheus ; ou une nouvelle Ariane réutilisable, Ariane Next, envisageable à l’horizon 2028-2030. Une version possible de ce nouveau lanceur intégrerait sept moteurs Prometheus sur l’étage principal, un sur le second étage, et trois sur chacun des deux « boosters » latéraux. Soit 14 moteurs par lanceur, ce qui permettrait un effet de série importante sur les coûts de production. En ajoutant l’impact de la réutilisation, Ariane Next pourrait proposer des tarifs deux fois moindres que ceux d’Ariane 6 à l’horizon 2028-2030.

Reste à savoir où sera SpaceX à ce moment-là. Le groupe américain travaille déjà sur son futur lanceur géant BFR, capable à la fois de missions vers Mars, de lancements de satellites, et de liaisons ultra-rapides entre les grandes villes du monde. Pour donner corps au projet Ariane Next, l’Europe spatiale devra aussi se mettre d’accord sur les modalités de lancement du programme. L’exemple des chamailleries actuelles autour d’Ariane 6 n’incite pas forcément à l’optimisme : les Etats européens ne sont toujours pas parvenus à se mettre d’accord sur la signature des premiers contrats du futur lanceur. Or ArianeGroup a besoin d’un accord avant fin juin, faute de quoi l’industriel pourrait avoir à arrêter ses usines.

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