Ariel, Pampers, Oral B et Mr. Propre : 4 marques qui font briller P&G

Qui parle de morosité des consommateurs et de déflation des grandes surfaces ? Depuis trois ans, Procter & Gamble (P&G) ne cesse d’augmenter ses ventes et de gagner des parts de marché en France. Jamais cette filiale, née il y a soixante ans, n’avait eu de telles performances ! Même sur des marchés en net recul, comme l’entretien ménager, son chiffre d’affaires progresse pour atteindre 2,3 milliards d’euros dans l’Hexagone. Ariel, Pampers, Oral-B et Mr. Propre mordent sur leurs concurrents et jugulent les marques des distributeurs. Seul le Japon fait aussi bien. « La France est agile et rapide comme un guépard », dit Loïc Tassel, le président de la filiale, auquel on a aussi confié, l’an dernier, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Belgique. La recette tient en quatre mots : innovation, segmentation, communication, premiumisation. Et la grande distribution adore.

1. Mr. Propre, un concentré de succès

C’est connu, le célèbre « homme de ménage » de Procter, né en 1958, aime rouler des mécaniques. Et quand Mr. Propre montre ses muscles sur un marché des nettoyants ménagers en recul de 3%, ça secoue dans ce rayon où il est déjà leader. L’an dernier, P&G a lancé une version concentrée du nettoyant ménager. « Une innovation phare pour nous, dit Loïc Tassel. Et une révolution pour le segment des nettoyants. » Plus petit mais plus efficace, ce gel liquide concentré présente trois nouveautés : une formule deux fois et demie plus puissante que le produit classique, une texture liquide nouvelle pour différents usages ménagers, et un bouchon doseur avec un « auto-stop » breveté pour ne pas dépasser la dose nécessaire. « D’ici à cinq ans, ce nouveau marché des concentrés pourrait devenir le deuxième segment des nettoyants ménagers derrière les lingettes, expliquait en septembre Sébastien Ravel-Chapuis, responsable marketing de ce marché chez P&G. Et à plus long terme, faire disparaître définitivement les dilués des linéaires. »

Six mois après le lancement, les ventes de Mr. Propre s’envolent de… 32%. L’explication ? Outre l’attrait de la nouveauté, le gel concentré, décliné en cinq références et deux formats, est vendu à un prix supérieur de 30%, à utilisation équivalente : 3,22 euros le flacon de gel concentré de 400 millilitres – l’équivalent d’un litre, donc – contre 2,84 euros le bidon d’1,25 litre dilué (sur Carrefour.fr). « Lorsque le consommateur achète plus petit, il paie plus cher, résume Jacques Dupré, directeur d’Insights IRI, expert des produits de grande consommation. Et comme il met du temps à changer ses dosages, l’industriel gagne sur les deux tableaux : volume et valeur. » Cependant, chacun a le sentiment de participer à la lutte antigaspillage.

Procter & Gamble lui-même progresse dans ses objectifs environnementaux. Car cette formule au flacon plus compact coûte moins cher à fabriquer et à transporter. « En jouant sur la réduction, le multiusage et le juste dosage, ce produit nécessite 60% moins d’eau que Mr. Propre classique, expliquait lors du lancement Dolores Risse, en charge de la communication scientifique. Il est efficace à l’eau froide, et son packaging, réduit de 45%, nous permet d’économiser sur le stockage et le transport. » Une opération gagnante sur toute la ligne pour P&G : la marque est plus visible dans son rayon grâce aux deux formules, son prix de vente moyen remonte et les magasins en redemandent.

2. Pampers, champion sans rival

Les équipes de Pampers ont fêté l’événement au champagne : fin 2012, Huggies a jeté l’éponge, en dépit de ses 12% du marché des couches-culottes. KO, Kimberly-Clark, le grand rival américain de P&G, a décidé d’abandonner la France, laissant à Pampers un champ totalement libre, à côté des marques de distributeurs, dans ce rayon qui pèse 800 millions d’euros. Une défaite par capitulation au terme d’une guerre lancée en 2009 avec Pampers Simply Dry. Cette couche promet aux parents la même absorption à un prix moins élevé de 35% qu’Active Fit, l’offre premium de Pampers. C’est une révolution pour la multinationale américaine, qui s’est toujours positionnée sur le moyen et haut de gamme. « P&G a l’objectif de toucher un plus grand nombre de consommateurs, explique Loïc Tassel. Pampers est déjà la plus grosse marque du groupe avec 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Pour poursuivre la croissance, il fallait élargir l’offre. » A Cincinnati, on appelle cela l’innovation verticale…

Bilan de l’opération, Pampers capte près des deux tiers des ventes de couches-culottes dans la grande distribution. Son entrée de gamme, Simply Dry, ne pèse que 4% des ventes alors que l’essentiel de la croissance a profité à son milieu de gamme, Baby-Dry, et surtout à Active Fit, le top pour les bébés, beaucoup plus cher. « Malgré la crise, jamais les Français n’ont autant acheté nos couches haut de gamme », se réjouit Loïc Tassel.

Evidemment, pour éviter un glissement des ventes vers le bas, Pampers a poursuivi, et renforcé, son travail d’évangélisation sur le terrain. Non seulement la marque a sorti des modèles pour les nouveau-nés prématurés, « afin de définir le standard de performance », mais ses produits sont présents dans 90% des maternités françaises. Quant aux marques de distributeurs, leur part de marché est cantonnée à un tiers des ventes. Ce qui n’est pas pour leur déplaire. « Les grandes marques sont les bienvenues, explique ainsi Michel-Edouard Leclerc. Quand elles créent de la valeur avec de nouveaux produits et qu’elles font croître les ventes du rayon. »

3. Oral-B, la fée électricité

Dans un rayon où Signal (Unilever) domine depuis des décennies, P&G vient de commettre un hold-up. Début 2014, la multinationale, qui possède les marques Fluocaril et Oral-B, a chipé à son concurrent la première place du marché de l’hygiène bucco-dentaire. Un rayon qui pèse, tous circuits confondus, 1,2 milliard d’euros ! Un des rares à progresser fortement dans les supermarchés. La conquête s’est faite en deux temps : « Nous voulions d’abord convertir les Français à l’usage des brosses à dents électriques », explique Loïc Tassel. Grâce à un marketing innovant, qui a consisté notamment à installer ses produits au rayon des dentifrices, et non pas à l’électroménager, le taux de pénétration a progressé de 10 à 17% en cinq ans. Un marché des brosses à dents électriques où Oral-B est ultramajoritaire.

Puis, l’an dernier, est arrivé le dentifrice d’Oral-B Pro-Expert. Le plus grand lancement de P&G en France depuis une décennie, selon son directeur général, avec d’énormes dépenses marketing. Outre une vague massive d’échantillonnage et une grosse campagne publicitaire, la marque a réalisé des vidéos de près d’une minute, très pédagogiques, diffusées sur Internet, avec l’animateur à lunettes de l’émission E = M6, Mac Lesggy, pour accréditer le discours scientifique.

Dans le camp d’en face, Signal (Unilever) réplique coup pour coup avec une gamme de dentifrices baptisée Signal Expert Protection « aux microgranules de silice » et une brosse à dents électrique Signal Sonic, « à mouvement vertical ». Les promotions s’envolent avec profusion de coupons de réduction et d’offres « satisfait ou remboursé ». Pourtant, un an après son lancement, Oral-B a déjà conquis 8% des ventes. Et voilà que la firme de Cincinnati lance en ce début 2014 une version de son dentifrice Oral-B 3D White, avec la chanteuse Shakira comme « ambassadrice mondiale ». Une version glamour pour ceux qui sont prêts à croire et à payer pour « un dentifrice blancheur tridimensionnel ».

4. Ariel, leader du 3 en 1

« C’est l’équivalent de Nespresso et ses dosettes de café, explique Loïc Tassel, qui rêve d’un même succès planétaire. Un produit dans l’air du temps. » Ou comment redynamiser un marché de l’entretien en recul de 3% en valeur l’an dernier. Dans ce rayon très disputé des lessives où l’intensité promotionnelle, comme disent les commerciaux, atteint des sommets, P&G France a lancé au printemps 2013 Ariel Pods 3en1, des dosettes avec trois compartiments. Une avant-première mondiale réservée à la France, qui a aussi obtenu de produire pour l’Europe ces écodoses (dans son usine d’Amiens). Objectif de P&G : convaincre les consommateurs de renoncer aux poudres ou liquides et opter pour les lessives en unidoses, un marché lancé par Ariel il y a treize ans. Ce segment représente déjà 14% du rayon et tire les ventes vers le haut. « Selon la logique de P&G, l’idée est d’augmenter le chiffre d’affaires par lavage », indique Loïc Tassel.

La marque proclame que cette innovation a nécessité plus de 100 chercheurs, huit ans de développement, 5.000 tests auprès des consommateurs, et fait l’objet de plus de 50 brevets. Reste à convertir le client, à qui il en coûte environ 50 centimes par lavage… contre 33 centimes pour la version liquide d’Ariel. La conversion est en cours. « D’ores et déjà, Ariel regagne des parts de marché en valeur », affirme Loïc Tassel. Et, malgré une conjoncture morose, « les grandes marques sortent renforcées », confirme Jacques Dupré. Elles regagnent même du terrain sur les marques de distributeurs, en recul l’an dernier dans les grandes surfaces. Une première, selon l’Institut de recherche interdisciplinaire (IRI). « Mais attention, souligne l’expert des marchés de la grande consommation. A produits strictement identiques, les prix ont baissé d’1,2% l’an dernier. » D’où la nécessité absolue d’innover pour valoriser sans cesse ses gammes comme Ariel 3en1, qui espère changer les habitudes de lavage des Français pour augmenter son chiffre d’affaires global. 


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