Assurance-chômage: la dégressivité, une bonne idée?

Le tocsin vient d’être sonné contre l’allocation chômage. Et c’est en meute que le gouvernement chasse. Myriam El Khomri (Travail), Michel Sapin (Finances) et bien sûr Emmanuel Macron (Economie), le trublion social-libéral du gouvernement, tous ont ouvert ces derniers jours la porte à un durcissement des règles d’indemnisation du chômage. La petite musique entonnée par l’exécutif reprend l’air de François Hollande qui avait donné le tempo le 18 janvier dernier: « En France, la durée d’indemnisation est la plus longue d’Europe, mais la durée de formation des chômeurs est la plus courte. C’est ce qu’il faut changer », avait-il déclaré.

Une façon de mettre la pression sur les partenaires sociaux qui doivent renégocier la convention d’assurance chômage à partir du 20 février suite à l’annulation par le conseil d’Etat de celle conclue en 2014. Des pourparlers qui s’annoncent tendus entre le patronat et les syndicats de salariés tant l’enjeu cette fois est fort. Faute d’inversion de la courbe du chômage – il y a actuellement quelque 3,6 millions de personnes sans emploi et plus de 5 millions en prenant toutes les catégories – la dette de l’Unedic a doublé ces 5 dernières années et devrait tutoyer les 30 milliards d’euros à la fin 2016. 

Réduire la durée d’indemnisation

Cette offensive du gouvernement, qui vient encore briser un tabou de gauche, n’est pas anodine. Faute d’accord entre les partenaires sociaux d’ici au 1er juillet 2016, Manuel Valls pourrait se saisir du dossier pour instaurer par décret la dégressivité ou une réduction de la durée d’indemnisation. Une option qui met en colère les syndicats de salariés mais qui ravit le patronat, heureux de voir remis au goût du jour ses idées. Stanislas de Bentzmann, le président de CroissancePlus, veut justement ramener à douze mois (contre 24 actuellement) la durée d’indemnisation comme en Italie ou en Allemagne, sans toucher au taux de remplacement des salaires qui oscille entre 57 et 75%. « On pourrait toutefois rallonger la durée si le chômeurs s’engage dans une formation qualifiante », avance-t-il.

Moins extrême, la Cour des comptes propose de revenir sur « la règle du jour cotisé, un jour indemnisé » en ramenant le rapport à 0,9 (un jour cotisé, 0,9 jour indemnisé) pour une économie chiffrée à 4,1% des dépenses d’allocation de retour à l’emploi, soit environ 1,2 milliard par an. Autre piste lancée par les magistrats de la rue Cambon: relever à 55 ans contre 50 ans aujourd’hui, le déclenchement de la durée d’indemnisation de 36 mois spécifique aux seniors. « Fin 2012, 20% des allocataires indemnisés par l’assurance chômage avaient 50 ans ou plus. Leur indemnisation représentait 27% des dépenses de l’assurance chômage. Le surcoût lié à l’existence d’une indemnisation maximale de 3 ans pour ces salariés est de 1,085 milliard », affirmait en juin 2015 la Cour présidée par Didier Migaud. En appliquant cette mesure, l’Unédic ferait 450 millions d’euros d’économies par an.

La dégressivité : une mesure controversée

Mais ce qui met véritablement le feu aux poudres, c’est la dégressivité des indemnités. « On note une forte hausse des retours à l’emploi dans les semaines précédant la fin de l’indemnisation. Les chômeurs accélèrent leurs recherches, font plus d’efforts et deviennent moins exigeants », veut croire Stanislas de Bentzmann. « La dégressivité des allocations est une solution que nous souhaitons aborder », renchérissait pour sa part Pierre Gattaz, le président du Medef, en décembre dernier. Cette ritournelle du patronat peut paraître à certains égards séduisante sur le papier. Pourtant à l’épreuve des faits, cette thérapie de choc est moins efficiente qu’elle n’en a l’air. La gauche l’avait d’ailleurs mise en place en 1992 sous l’impulsion de la ministre du Travail de l’époque, une certaine Martine Aubry.

Ainsi, pendant 9 mois l’allocation était stable avant de diminuer tous les 4 mois de 17% pour atteindre un seuil minimal de 355 euros. Mais faute de résultats probants, cette mesure avait été abandonnée en 2001. « La dégressivité, telle qu’elle a été mise en œuvre de 1992 à 1996, aurait ralenti le retour à l’emploi », note même un rapport de l’Insee datant de 2001. Et la Cour des comptes d’enfoncer le clou: « Les études économiques tendent ainsi à montrer que la mise en œuvre d’une allocation dégressive engendre des économies, mais n’améliore pas globalement l’efficacité du système d’assurance chômage, qui dépend du niveau de contrainte que le marché du travail exerce sur la reprise d’activité des chômeurs. »

Effets pervers

Ce constat est partagé par un certain nombre d’économistes pourtant estampillés « libéraux ». C’est le cas de Bertrand Martinot pour qui « dans le contexte économique de la France, une telle mesure aurait pour effet de faire basculer dans la pauvreté des chômeurs de longue durée. » « Cette voie n’est pas la plus efficace si l’on se soucie du bien-être des salariés et des chômeurs, notamment de ceux qui ont de faibles marges de manœuvre dans leur capacité à retrouver un emploi », analysent les universitaires Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo dans un livre de 2004.

Idem du côté de Bruno Coquet, un économiste qui vient de publier un rapport pour l’Institut de l’Entreprise. « Il y aurait un effet pervers, les chômeurs les plus proches du marché du travail accepteraient des jobs non qualifiés, ce qui diminuerait encore les chances des plus éloignés de l’emploi de se réinsérer », montre-t-il dans son étude. Pour rappel, « plus de la moitié des personnes indemnisées n’ont pas le bac (…) A l’opposé, moins d’un allocataire sur huit dispose d’un niveau de diplôme bac + 3 ou plus », constate la Cour des comptes dans son rapport de juin 2015.

L’économiste, également chercheur à l’OFCE, plaide pour une uniformisation des régimes d’indemnisation. Dans son viseur: le régime spécial des employeurs du secteur public qui ont le choix d’affilier ou non leurs salariés à l’assurance chômage. Dans la même veine, il considère que les fonctionnaires devraient participer au financement de l’assurance chômage comme c’est le cas dans la plupart des pays européens. Pas sûr que le gouvernement et les syndicats osent s’attaquer à cela… Les fonctionnaires étant traditionnellement des électeurs votant à gauche et des membres puissants et actifs au sein des centrales syndicales.

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