Au néolithique, les classes moyennes n’existaient probablement pas

Après l’OCDE, c’était au tour du FMI en juin dernier de publier des chiffres alarmants sur la sinistre relation entre inégalités et croissance. Une augmentation de 1% du capital des 20% des plus aisés entraînerait une chute du PIB à moyen terme de 0,8 point. Mais, au juste, d’où viennent ces écarts de richesse ? Jean-Sébastien Vaquer, directeur de recherche au CNRS, nous replonge au néolithique, une période comprise entre 9.000 ans et 3.300 avant J.-C., lorsque nos ancêtres inventeurs de l’agriculture et de l’élevage ouvrirent la boîte de Pandore…

Challenges.fr : Quels étaient les principaux signes de richesse au Néolithique ?

Jean-Sébastien Vaquer : Au début du néolithique, on retrouve surtout des objets construits à partir de coquillages et d’éléments en pierre. Les objets en métal – comme l’or ou le cuivre – ainsi que les pièces en pierre imitant des formes d’objets en cuivre sont eux beaucoup plus fréquents vers la fin de la période. Les matériaux rares ou venant de loin étaient également considérés comme de puissants signes de richesse. C’est par exemple le cas de l’obsidienne, roche volcanique des îles italiennes. Dans cette région de la mer  tyrrhénienne, où elle était utilisée couramment par les populations locales pour fabriquer des outils domestiques, c’était un matériau du quotidien. Mais aux pieds des Alpes ou dans le Toulousain, à plus de 1500 km de son lieu d’extraction, cette roche était considérée comme exotique et donc très précieuse.

Il y avait donc de fortes différences régionales dans les symboles de richesse…

Oui, des différences considérables ! La région la plus riche au néolithique était la Bretagne. On y retrouve de nombreux alignements de menhirs et de dolmen, en particulier dans le golfe du Morbihan, ainsi qu’une forte concentration de matériaux précieux. Pourquoi cette région ? Les hypothèses des archéologues diffèrent. Pour certains, le Morbihan tirait sa puissance de son rôle de centre religieux important. D’autres pensent que cette richesse résultait du sel dont la région abondait. On peut supposer que les groupes disposant de ressources salées importantes devaient vendre ce bien, provoquant un accroissement des écarts hiérarchiques plus fort que dans les zones pauvres en sel.

Quel rôle ont joué les échanges commerciaux dans la répartition de ces biens ?

Au néolithique, les groupes sont plus ou moins stabilisés sur des territoires. En cela, par rapport aux périodes antérieures, ils doivent faire face à des problèmes d’approvisionnement en matériaux. Il existait par ailleurs à l’époque deux Europe : l’une, orientale, très riche en métal, avec beaucoup d’objets en or et en cuivre, et l’autre, occidentale, dotée de substantielles ressources en roche verte.

Les contacts entre ces zones très en avance sur le plan technique et les autres ont généré des imitations très intéressantes. On avait par exemple l’habitude dans les Balkans de marquer le statut des gens par des « haches de bataille », sortes de tomahawk, retrouvées dans les sépultures. Très peu de ces objets ont pu circuler vers l’est ou vers le nord car ils étaient considérés comme précieux. Mais certains individus de ces régions qui les avaient vu ont entrepris de fabriquer les même… en pierre. En imitant leur forme. Cela montre qu’il y avait des transferts de symboles mais pas de transferts techniques. Pour que la métallurgie passe de l’Europe de l’est à l’Europe de l’ouest il a fallu presque 2.000 ans, alors que seulement 1.800 km séparent les deux régions !

Selon quels schémas hiérarchiques étaient organisées ces sociétés ?

L’étude de la gradation des systèmes funéraires permet aux archéologues d’en savoir plus sur le statut qu’occupait le défunt au sein de la société. Au néolithique, lorsqu’on enterre quelqu’un, on lui creuse une tombe et on lui donne une position normalisée – en général la position fœtale. Quand vous retrouvez des corps ou des restes humains directement jetés dans une fosse, sans aucun respect, il s’agit certainement de personnes de basse condition, voir des esclaves, ou des ennemis tués lors d’un massacre.

On retrouve ensuite des sites funéraires « conventionnels », avec des offrandes et du mobilier plus ou moins précieux, témoignant davantage d’une différence de sexe que d’un écart de richesse. Les femmes sont ainsi plutôt enterrées avec des poteries et des parures et les hommes avec des flèches ou des haches. Ces sépultures sont les plus fréquentes à l’époque et se différencient relativement peu les unes des autres.

Existent enfin quelques rares tombeaux très riches. Ils se distinguent par la quantité d’objets présents ainsi que les provenances très lointaines et diverses de certains d’entre eux. On peut citer le cas de tombes très riches exhumées en Catalogne renfermant de l’obsidienne de Sardaigne, du corail de la Méditerranée centrale, des haches polies en jade venant des Alpes, des haches polies en fibrolite d’Andalousie et des parures locales en turquoise.

On peut penser que les sociétés de l’époque étaient marquées par de fortes différences de richesse, avec un nombre très restreint d’individus possédant des biens d’une valeur considérable. A l’inverse, le commun des mortels partageait un niveau de vie relativement homogène. Les classes moyennes n’existaient probablement pas au néolithique !

Les sociétés humaines ont-elles toujours été hiérarchiques ?

Hiérarchiques, certainement ! Même les sociétés animales le sont. En revanche, les signes de cette hiérarchisation ont probablement changé au cours de l’évolution des sociétés humaines. Au néolithique, par rapport aux périodes antérieures, de grands progrès ont été réalisés grâce à l’apparition de l’agriculture et de l’élevage. Cela a permis de produire des aliments en grande quantité et de pouvoir les garder sous forme de stocks, afin de les consommer avec un usage différé, en prévision des crises notamment. Elevaient-ils un nombre de bêtes strictement limité à leurs besoins ou davantage ? Il se pourrait que la naissance de la richesse réside ici, dans cette faculté à produire plus que nécessaire.

Cependant, les inégalités ne sont pas durables au néolithique – et en particulier non transmissibles héréditairement – car la propriété des terres n’existe pas. L’économie est certes stabilisée mais l’agriculture sur brulis est encore de rigueur, impliquant sans cesse d’aller à la conquête de nouvelles terres à bruler puis cultiver. Les champs stables, avec amendements et assolements, n’apparaîtront que plus tard, engendrant la naissance des royautés, aristocraties et sociétés de classe…

Comment est-on passé de la richesse matérielle aux symboles de richesse ?

Tous ces objets précieux servaient au positionnement social des individus par rapport aux autres. Ils entraient rarement dans des transactions marchandes. L’anthropologue Alain Testart parle de « ploutocratie primitive » ou de « sociétés à manipulation de biens ostentatoires ». Il s’appuie sur ses observations des sociétés papoues d’Irian Jaya, vivant d’une agriculture à base d’igname, de tubercules, d’élevage de porcs, mais où la terre n’appartient à personne. La possession d’objets luxueux y marque le statut social. Ces objets sacrés appartiennent au patrimoine familial et ne sont exposés qu’au moment de recevoir des invités. On peut penser qu’il en était de même au néolithique

Qu’ont ces signes de richesse à nous apprendre sur les valeurs des sociétés qui les arboraient ?

A travers ces éléments ont retrouve toute une symbolique et un affichage social. Et ce dernier change au cours du néolithique. Alors qu’au début, les parures et les emblèmes de pouvoir sont plus fréquents, la fin de la période est marquée par la multiplication des armes : haches de bataille, poignards, pointes  de flèches… L’âge du cuivre voit naître des sociétés guerrières avec une affirmation de la violence et du pouvoir par la force.

L’exposition « Signes de Richesse, Inégalités au Néolithique » est ouverte jusqu’au 15 novembre 2015 au Musée national de la Préhistoire des Eyzies-de-Tayac.