Autoroutes: comment Terra Nova veut faire baisser le prix des péages

Mais que fait le gouvernement ? Après avoir laissé sa ministre de l’Ecologie Ségolène Royal dire quelques énormités pour tenter de récupérer le pactole des sociétés d’autoroutes, le pouvoir exécutif se fait aujourd’hui beaucoup plus timoré. Le ministre de l’Economie Emmanuel Macron a bien affirmé, dimanche soir sur M6, dans l’émission Capital : « Concrètement, année après année, nous allons verrouiller et maintenir la pression pour baisser la rentabilité des sociétés d’autoroutes. Nous ferons baisser les tarifs là où c’est possible ». Mais, concrètement, pour reprendre son terme, on ne sait toujours pas comment il compte s’y prendre ! Tout juste a-t-il annoncé la création d’une autorité de contrôle des autoroutes qui pourrait venir élargir les missions de l’ARAF, celle dédiée au transport ferroviaire. Mais pour ce qui est de recouvrer quelque argent… point de détails. Un dirigeant d’une société d’autoroute ricane : « Ils se contenteront de ce machin de régulation, pour faire taire les détracteurs, et on passera à autre chose ». 

Une quatrième étude alimente la réflexion

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été alimenté. En un an et demi, le gouvernement a reçu une prose nourrie incriminant les concessionnaires du bitume. La Cour des Comptes dénonçait dès juillet 2013 les relations « déséquilibrées » entre l’Etat et les sociétés d’autoroutes sur 128 pages. L’Autorité de la Concurrence, en septembre 2014, les accusait encore, sur 154 pages, d’empocher sans justification « une rente exceptionnelle » de 24%, déclenchant la folle série d’annonces de Ségolène Royal tour à tour démenties par le ministre de l’Economie et le Premier ministre. Ce sont désormais les économistes qui s’en mêlent, pour donner des idées, réalisables, à nos gouvernants qui en manquent semble-t-il. Le cabinet Microeconomix a tiré le premier, le 16 octobre, en calculant le coût complet d’une résiliation anticipée de ces contrats de concessions juteux (pour en savoir plus). D’après ces experts, le calcul ne serait pas si mauvais que cela, même s’il n’est pas politiquement correct aujourd’hui d’alourdir la dette de l’Etat – 39 milliards d’euros tout de même.

C’est aujourd’hui au tour du think tank Terra Nova d’ajouter sa pierre à l’édifice. Dans son étude à paraître mercredi 12 novembre, que Challenges a pu se procurer en avant-première, l’économiste Romain Perez reprend les conclusions de ses prédécesseurs. Et avance une nouvelle piste : « la mise en place d’une fiscalité exceptionnelle sur les maisons mères des sociétés d’autoroutes ». D’après les calculs de son groupe d’universitaires, une baisse moyenne des péages de l’ordre de 50% pourrait être envisagée ! De quoi améliorer le pouvoir d’achat des citoyens automobilistes. Mieux, une telle mesure aurait aussi un impact sur la compétitivité de la France allégeant sensiblement le coût du transport routier. Pour appuyer sa thèse, l’économiste rappelle que cette démarche de fiscalité particulière existe déjà : « C’est le cas depuis 2012 avec la contribution exceptionnelle due par certains établissements de crédit ».  

Une proposition subtile

Toute la subtilité de cette proposition réside dans le choix de taxer les sociétés mères et non directement les sociétés d’autoroutes, car leurs contrats stipulent clairement : toute fiscalité portant atteinte à l’équilibre générale de la concession sera entièrement compensée (par la hausse des tarifs de péage). Reste à savoir comment définir le périmètre concerné. Les trois grands concessionnaires en France n’ont pas tous le même profil : si Eiffage et Vinci, actionnaires respectivement de APRR et ASF, sont des entreprises de BTP, Abertis qui exploite Sanef, ne l’est pas ! Un avocat spécialiste en la matière soupire : »Je leur souhaite bon courage pour passer le Conseil constitutionnel ». 

En ouvrant la boîte de Pandore des profits des sociétés d’autoroutes, le gouvernement s’offre surtout un véritable casse-tête. Et Emmanuel Macron, pour avoir été banquier d’affaires, en sait quelque chose. S’il doit regretter la privatisation décidée en 2006 par le gouvernement Villepin, il sait aussi qu’une concession de ce type s’amortit sur trente ans (et non huit). Que les 15 milliards d’euros de dividendes reversés aux investisseurs privés depuis lors ne font que commencer. Car, à l’époque, Vinci, Eiffage et Abertis ne se sont pas contentés d’un chèque de 15 milliards pour remporter le marché des péages. Elles ont aussi repris 19 milliards de dette publique. Et, depuis, elles ont encore investi 18 milliards d’euros de plus dans le bitume. Macron le sait : l’argent se rémunère (en dividendes, taux d’intérêt, taux de rendement interne). Simplement, la rémunération eut été bien moindre s’il était resté public. Et l’augmentation des péages aussi.

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