Carrefour: Alexandre Bompard met la Pologne et Taïwan en vente

Il n’est pire eau que l’eau qui dort. Alors que tous les yeux sont rivés sur Casino, engagé dans une politique intense de cession d’actifs pour se désendetter, c’est en réalité chez Carrefour que les courants profonds sont les plus tumultueux. Son PDG Alexandre Bompard est en train de mettre en vente ses filiales en Pologne et à Taïwan dans la plus grande discrétion, selon les informations de Challenges. Cette réflexion est en cours depuis plusieurs mois. 

La nouvelle a de quoi surprendre. Lorsque l’énarque a quitté la Chine en 2019, il n’avait pas évoqué la perspective d’autres cessions. Au contraire. Depuis, le groupe a mis coup sur coup la main sur une chaîne de 224 supermarchés premium à Taïwan, Wellcome, et sur le distributeur brésilien Grupo Big, qui compte 387 points de vente. 

Le traumatisme Couche-Tard

Mais l’échec de l’opération Couche-Tard en début d’année a eu l’effet d’une déflagration. Au siège de Massy dans l’Essonne, cette opportunité manquée demeure un traumatisme. Le groupe français avait été approché par le distributeur canadien dans le cadre d’une proposition de rachat. Fuites dans la presse, intervention impromptue du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, sur France 5, opposition du gouvernement au nom de la souveraineté alimentaire… En quelques jours, Carrefour

a perdu un acheteur prêt à débourser 20 euros par action quand elle en valait 17. Après cette débandade, Alexandre Bompard a mandaté la banque d’affaires J.P.Morgan pour évaluer les opportunités du groupe dans ses différents territoires. 

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Bilan des courses: la banque préconise de recentrer le groupe sur ses actifs les plus performants, avec Taïwan comme première cible dans le viseur du PDG. Cette petite antenne (261 magasins) fait figure d’anomalie car elle est la dernière carte asiatique de son portefeuille. Au niveau stratégique, la conserver n’a plus beaucoup de sens. Dans le même temps, Alexandre Bompard a de bonnes chances de réussir à la revendre: la division a été redressée dans les années 2015 par le manager Rami Baitiéh, célébré en interne pour sa méthode 5-5-5 d’amélioration de la satisfaction client, et aujourd’hui à la tête de Carrefour France. Pour preuve, le chiffre d’affaires de 2,1 milliards a augmenté de 7% en 2020. Et le récent rachat du petit bijou local Wellcome a renforcé la filiale.

Deuxième cible, la Pologne. Le distributeur y opère 690 magasins de proximité, 160 supermarchés et 90 hypermarchés. Or, ces grandes surfaces ont pâti de la crise sanitaire et vu leur trafic diminuer. Avec 1,8 milliard d’euros de chiffre d’affaires, ce pays ne pèse que 2,5% de l’activité totale de Carrefour. Dans un document interne que Challenges a consulté, Carrefour se targue d’être le septième distributeur du pays avec 4,7% de part de marché. C’est un peu moins qu’Auchan, qui en a 5,6%. Le distributeur avance que la structure du marché polonais, fragmenté, est propice à la consolidation.

Deux projets: Chopin et Louvre

Le cabinet KPMG a été mandaté pour auditer les filiales polonaise et taïwanaise. Ces dossiers portent les noms subtils de travail “projet Chopin” et “projet Louvre”. Les data rooms sont en cours d’être constituées. L’objectif est d’avoir cédé ces deux pays d’ici la fin de l’année, avant la présentation des résultats annuels.

Quant à l’Italie et l’Argentine, deux pays structurellement problématiques, Carrefour aimerait s’en défaire mais ne se fait pas d’illusions. Trouver des acquéreurs à court terme est une gageure. En Argentine, l’inflation galopante a obéré le pouvoir d’achat de la population et la consommation. En Italie, la diversité du territoire rend l’implantation ardue pour les gros distributeurs étrangers intégrés. Carrefour y connaît des difficultés depuis des années. Auchan a jeté l’éponge en 2019 en cédant sa filiale à la coopérative italienne Conad. 

Contacté par Challenges, Carrefour a répondu: « Dans le cadre de la préparation de son futur plan stratégique, Carrefour a initié une réflexion sur la taille critique de ses filiales internationales et d’éventuels mouvements de consolidation, d’alliance ou de cession. Ce travail de réflexion stratégique vient de commencer et nous démentons toute décision de vente d’actifs. »

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A terme, ce recentrage est une façon de bien habiller la mariée. Alexandre Bompard a un objectif dont il ne démord pas: remonter le cours de l’action pour, éventuellement, revendre Carrefour au meilleur prix. Voilà qui offrirait une porte de sortie à ses actionnaires majoritaires, le groupe Arnault (actionnaire de Challenges), et la famille Moulin (Galeries Lafayette). Et, si le Canadien a été éconduit une première fois, selon Clément Genelot, analyste à Bryan Garnier, “le deal avec Couche Tard est loin d’être mort”. Le gouvernement a opposé une fin de non-recevoir à ce rapprochement avant les élections présidentielles de 2022. A ce moment-là, Alexandre Bompard espère bien mettre à son bilan la cession de la Pologne et de Taïwan. 

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