Carrefour, Auchan: pourquoi les distributeurs français quittent la Chine

Qu’il semble loin, le temps où les distributeurs français partaient, la fleur au fusil, planter des drapeaux conquérants aux quatre coins du globe. En quelques années, l’heure est passée des grandes manoeuvres internationales au repli. Et hasard ou coïncidence, c’est au moment où la pandémie renforce la notion de frontières et cloue les avions au sol qu’un acteur vient d’annoncer qu’il raye un nouveau pays de sa carte. Ce lundi 19 octobre, Edgard Bonte, président d’Auchan Retail, a officialisé le départ du distributeur de Chine, et annoncé qu’Alibaba, qui était déjà actionnaire majoritaire de sa filiale chinoise, SunArt, en devient l’unique propriétaire. Cet événement inattendu survient un peu plus d’un an après la cession, déjà, des activités d’Auchan en Italie et au Vietnam. Et un plus d’un an, aussi, après que son grand concurrent Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, décide, lui aussi, de quitter le gigantesque pays asiatique. Le 2 octobre, c’est l’Américain Wal-Mart qui se félicitait d’avoir enfin trouvé un repreneur pour sa chaîne de supermarchés britannique, Asda. « Tous les grands retailers dans le monde se recentrent sur leur métier historique », pointe Clément Genelot, analyste à Bryan Garnier. « Et ce n’est pas terminé. » 

Concentrer les ressources sur la France

En France, quitter la Chine à seize mois d’intervalle a découlé d’un raisonnement similaire pour Alexandre Bompard et Edgard Bonte. D’un côté, sur leur territoire national, les deux patrons de distributeurs intégrés voient leurs dizaines et dizaines de gros hypermarchés subir chaque jour un peu plus la compétition féroce des concurrents, l’indépendant Leclerc et le discounter Lidl en tête. Pour s’en sortir, pas le choix. Il faut faire tourner la planche à billets pour investir des millions dans la baisse des prix, la modernisation des magasins, le digital… De l’autre côté, à 8.000 kilomètres à l’est, l’empire du Milieu n’offre plus la ruée vers l’or d’antan. « En Chine, les distributeurs occidentaux s’en sont sortis tant qu’ils étaient les premiers, qu’ils apportaient une innovation », note Olivier Macard, associé à EY. « Ils se sont fait complètement surprendre par l’arrivée de mastodontes sortis de nulle part, les géants Alibaba, Tencent et JD.Com. C’est aussi un pays très compliqué du point de vue de la gouvernance, opérationnel, réglementaire. Et dans ce vaste territoire, quand on pèse 10 fois moins que les leaders du e-commerce, on n’est rien. » Nicolas Champ, analyste à Barclays, confirme: « C’est un marché de toute façon difficile pour les Occidentaux. Il s’est durci depuis la montée en puissance des acteurs internet qui mettent la pression sur les prix. »

« Le problème d’Auchan est de vouloir de l’argent frais et vite »

Alors Carrefour et Auchan en Chine, bonnet blanc et blanc bonnet? Loin de là. Car derrière ce tableau similaire, les situations divergent du tout au tout. Pour Carrefour, quitter la Chine, qui plombait ses comptes, a sans aucun doute apporté un soulagement. A l’inverse, SunArt, la filiale chinoise d’Auchan contribuait fortement aux bénéfices du groupe et compensait les difficultés en France. Elle offrait ainsi un poste d’observation rentable sur le premier marché mondial, en pointe sur le commerce de demain. « Carrefour avait envie de se séparer d’un foyer de pertes car l’actif en l’état ne pouvait pas être redressé », confirme Clément Genelot. « L’actif d’Auchan, lui, n’est pas du tout dans la même situation. Un partenariat solide avait été noué avec Alibaba et l’activité allait bien. Le problème d’Auchan est de vouloir de l’argent frais et vite. Ils ont monétisé le seul actif qui pouvait l’être. Pourquoi? Premièrement, car la restructuration de l’entreprise a un coût. Deuxièmement, ils ont en tête qu’ils faut être plus proactifs et flexibles pour saisir les opportunités qui se présenteront en Europe. Le dossier Bio c’Bon, qui était sur la table depuis longtemps, a sans doute été un électrochoc. Auchan est en retard dans le bio. Et troisièmement, l’ambiance chez les Mulliez, propriétaires d’Auchan, doit être délétère. Ils ont fait une croix sur leurs dividendes pendant deux ans. Ils se préparent sans doute à s’en reverser dès l’an prochain. »

Nicolas Champ confirme: « Auchan était parmi les premiers distributeurs à être entré en Chine, il y était leader de la distribution alimentaire. Je ne suis pas sûr que le signal envoyé par cette opération soit très positif. » Contacté par Challenges, un porte-parole d’Auchan assure d’ailleurs qu’il y a seulement 3 ans, quand Alibaba est entré au capital de SunArt, l’idée n’était absolument pas de vendre ensuite. Mais trois ans plus tard, la situation du distributeur nordiste s’est dégradée. Les Mulliez ont fait sauter la tête de l’ancien dirigeant, Wilhelm Hubner. Son successeur Edgard Bonte a redressé les comptes. Vendu certaines filiales. Annoncé la suppression de près de 1.500 postes en France début septembre. Et voilà qu’il vend les 484 hypermarchés de SunArt, pour un chiffre d’affaires d’une douzaine de milliards d’euros, à Alibaba.

Ce qu’Auchan peut faire des 3 milliards

En échange, le chèque empoché est colossal, de 3 milliards d’euros. C’est plus que les 2 milliards d’économies annoncées par Alexandre Bompard en cinq ans, et qu’il réinjecte au fil de l’eau dans des baisses de prix, dans le digital et dans des acquisitions stratégiques. C’est à comparer, aussi, au plan de cession d’actifs que mène Jean-Charles Naouri, PDG de Casino, pour désendetter son entreprise: 4,5 milliards d’euros en plusieurs années. Avec 3 milliards d’euros, Edgard Bonte, en pleine exécution de son plan de transformation, a les moyens de racheter de beaux actifs. Bio c’Bon dont le sort se décide actuellement, se négocie entre 2,5 et 60 millions d’euros. Alors, à quoi servira ce pactole? A se désendetter, tout d’abord, annonce l’entreprise dans son communiqué. La dette atteignait en effet 5,2 milliards d’euros en janvier. A « saisir toute opportunité pertinente sur ses marchés », ensuite. A rénover les hypermarchés, sans doute aussi. Enfin, à « se développer dans de nouveaux pays ». Mais gageons que ce sera plutôt en Europe ou en Afrique qu’en Asie.

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