Catalogne : crise au sein des séparatistes, à l’aube d’un référendum crucial mais interdit

Rififi en Catalogne. Trois membres de l’exécutif séparatiste de cette très riche région du nord-est de l‘Espagne viennent de quitter le gouvernement. Des départs qui interviennent à près de deux mois du référendum d’autodétermination interdit par la justice.

Le 9 juin dernier, le président du gouvernement de Catalogne, Carles Puigdemont, avait annoncé la tenue d’un référendum d’autodétermination unilatéral le 1er octobre prochain. Les indépendantistes faisant alors un pas supplémentaire vers la sécession de la région, laquelle s’affronte avec Madrid depuis 2012 dans le cadre d’une grave crise politique.

Annonçant le départ de la porte-parole du gouvernement Neus Monté, du ministre de l’Intérieur de la Catalogne Jordi Jané et du ministre de l’Education Meritxell Ruiz – lesquels sont des éléments moteurs dans l’organisation du scrutin – le président régional Carles Puigdemont a déclaré que ces derniers avaient « pris la décision de se mettre à l’écart ».

Cette annonce intervient alors qu’en début de mois Carles Puigdemont avait déjà annoncé le départ d’un autre membre du gouvernement régional, Jordi Baiget. Ce dernier avait exprimé des doutes quant à la viabilité du référendum interdit par Madrid.  « L’Etat a tant de force qu’il est probable que nous ne puissions pas organiser le référendum », avait-il alors déclaré dans un entretien publié par un quotidien indépendantiste.

Madrid n’a pas été avare de menaces ces derniers temps à l’encontre des fonctionnaires qui accepteraient de participer à l’organisation du scrutin, pointant également du doigt les entreprises qui fourniraient la logistique. Laissant entrevoir qu’ils pourraient faire l’objet de poursuites pénales, de retraits d’habilitations tout en étant condamnés à de coûteuses amendes.

Depuis plusieurs jours déjà, la presse de Madrid et Barcelone évoquaient une crise au sein du gouvernement catalan. Mettant en avant le fait que son vice-président Oriol Junqueras ait insisté sur la nécessité d’une prise de décisions collectives en vue du référendum, dans le but d’assurer l’union face à ces menaces judiciaires. Refusant ainsi d’assumer seul la responsabilité. Désormais, « les décisions se prendront de manière coresponsable et solidaire », avait alors annoncé Oriol Junqueras lors de la même conférence de presse. Carles Puigdemont s’était quant à lui entretenu à la suite avec chaque membre de l’exécutif.

Au delà de la politique, il s’agit également d’une historie de gros sous, comme on pouvait s’en douter.

Rappelons qu’en 1932, sous le Roi Alphonse XIII, la Généralité de Catalogne avait été déclarée autonome  avec le 1er statut d’autonomie.  Statut qui sera perdu lorsque la guerre civile éclate en 1936. Ce n’est qu’en 1978 avec la constitution espagnole que la Généralité de catalogne et son parlement sont rétablis, l’autonomie politique étant réinstaurée à travers un 2ème statut d’autonomie. En 2006, la demande d’un 3ème statut de l’autonomie qui, entre autre, reconnaît la « nation » catalane et accroît l’autonomie de la région au niveau de la justice et des finances est approuvée au parlement espagnol. Il est cependant annulé par le conseil constitutionnel en 2010 suite à un recours déposé par le parti Populaire (droite). Cette décision entraîne alors d’importantes manifestations réunissant 1 million de personnes à Barcelone, revendiquant le « droit à décider » des catalans.

En septembre 2012, plusieurs centaines de milliers de personnes défilent pacifiquement à Barcelone en faveur d’un référendum d’indépendance et du « pacte fiscal » demandé par le président catalan, Artur Mas. Voulant ainsi faire valoir la capacité de la Catalogne à gérer les impôts prélevés dans la région.

Le 25 novembre 2012, après le rejet du pacte fiscal par le chef du gouvernement Mariano Rajoy, des élections régionales anticipées sont convoquées par Artur Mas. Pour la première fois des élections se tiennent par rapport à la question indépendantiste. Si Convergence et Union, la formation d’Artur Mas, avait certes perdu des voix, elle n’en avait pas moins remporté l’élection avec pour nouvelle feuille de route la construction d’un Etat catalan souverain.

Le 27 septembre 2015, les nationalistes de Convergence démocratique de Catalogne (CDC) et les indépendantistes de la Gauche républicaine catalane (ERC), ainsi que des membres d’associations indépendantistes forment une liste commune, Junts Pel Sí (« Ensemble pour le oui »), lors de nouvelles élections anticipées par le gouvernement catalan. La liste remporte 39,6 % des voix et 62 députés.
Le 9 janvier 2016, grâce au soutien du mouvement séparatiste, europhobe et anticapitaliste Candidature d’unité populaire (CUP) – lequel a totalisé 8 % des voix et obtenu 10 sièges de députés – les indépendantistes obtiennent une majorité parlementaire leur permettant de lancer une nouvelle feuille de route visant à déclarer l’indépendance dans les dix-huit mois. La CUP aura obtenu en échange le retrait d’Artur Mas. Carles Puigdemont est alors élu nouveau président de la Catalogne.
Le 13 mars 2017 , Artur Mas est condamné à deux ans d’interdiction d’exercer toute fonction publique élective et à une amende de 36 500 euros pour avoir organisé, le 9 novembre 2014, la « consultation populaire » sur l’indépendance de la région, malgré l’interdiction prononcée, cinq jours plus tôt, par la Cour constitutionnelle.
L’ancienne vice-présidente du gouvernement catalan, Joana Ortega, et l’ancienne ministre régionale de l’éducation, Irene Rigau, ont également été condamnées à six mois d’inéligibilité, en tant que « collaboratrices nécessaires ». Al la suite, le vice-président Francesc Homs est condamné à un an et un mois d’inéligibilité.

Il est vrai que Madrid joue gros ! La Catalogne constitue en effet un moteur de l’économie espagnole, la région possédant des activités diversifiés autour de l’industrie automobile, pharmaceutique ou touristique. Ainsi, la Catalogne assure notamment 44% de la production bio-pharmaceutique espagnole, et  25% des produits chimique de laboratoire espagnoles.

La région constitue également une ouverture sur l’Europe et sur le monde puisqu’elle compte 35% des sociétés exportatrice du pays, c’est une des régions les plus exportatrices d’Espagne, accueillant 25%  des IDE (investissement direct à l’étranger) du territoire espagnol.

Le secteur touristique est aussi très développé. La région compte 22.2% des infrastructures de tourisme espagnole, et a accueilli, en 2016, 18 millions de touristes, soit 24% du nombre total de touristes qui se sont rendus en Espagne cette année la (75 millions).

Forte de ces atouts, la Catalogne est ainsi la région la plus riche d’Espagne. Elle représente 20% du PIB espagnol, 222.6 milliard d’euros en 2014, soit un PIB supérieur a celui de l’Irlande, la Grèce ou encore le Portugal en valeur absolue. Le poids démographique de la catalogne en Espagne est quant à lui loin d’être négligeable. La population vivant en Catalogne représente 16% de la population espagnole.

Néanmoins, selon les experts, malgré le dynamisme économique de la région, l’indépendance de la Catalogne aurait des conséquences importantes pour la Catalogne elle-même, l’Espagne et même l’Europe.

La région pourrait devoir affronter de sérieuse difficultés financières si elle obtient son indépendante dans les délais qu’elle souhaite. Figure en tout premier lieu l’épineux dossier des retraites,   un des arguments majeurs avancé par les anti-indépendantistes. La Catalogne ne pourrait pas assurer entièrement les versements des pensions de retraites sans l’aide de la Sécurité sociale espagnole, ce qui entraînerait alors une baisse de 6.7% à 16.9% de leurs montants.

Parallèlement, l’indépendance de la Catalogne entraînerait automatiquement la sortie de la région de l’Union européenne. Si les indépendantistes sont pro européens, et devraient donc se montrer rapidement candidats à a une entrée dans l’Union,  tous les membres doivent accepter les candidatures. L’Espagne pourrait alors y opposer son veto. Une sortie de la Catalogne de l’Espagne et de l’Union européenne pose également la question du maintien de l’euro dans la région. La région pourrait alors créer une nouvelle monnaie, liée de prêt ou de loin ou continuer à utiliser la monnaie européenne, avec ou sans le consentement de la Zone Euro (comme le fait Monaco, le Monténégro ou le Vatican), plaçant alors la Catalogne sous tutelle de la troïka.

L’indépendance pourrait avoir des conséquences négatives même pour l’économie catalane. La région se retrouvant alors dans la situation de devoir emprunter sur les marchés sans le soutien de l’Espagne et sans le bénéfice d’appartenir à l’Union européenne. De plus, la région ne pourra alors plus prétendre au financement de l’Union européenne. Il s’agirait alors d’une lourde perte, Madrid bénéficiant grandement de ces aides. Une sortie de la Catalogne pourrait également conduire à une baisse des investissements étrangers sur le territoire catalan. En 2012, Volkswagen-Audi Espagne avait ainsi déclaré que le groupe déménagerait à Madrid en cas d’indépendance.

La Catalogne étant la région la plus riche du pays, sa sortie de l’Espagne ferait courir un important risque de faillite pour Madrid. De plus, l’Espagne refusant de négocier avec la Catalogne, la région menace de ne pas prendre en charge une partie de la dette. A noter enfin que la Catalogne constitue une région non négligeable de l’Europe. Son PIB représentait 1.47% du PIB de l’Union européenne en 2015. Si l’indépendance de la Catalogne mettrait en péril la stabilité économique de l’Espagne, une ruine de la  5ème économie d’Europe pourrait mettre en cause la stabilité économique de la zone entière.

Sources : AFP, Le Monde, Courrier international, Les Echos, Géopolis, La Tribune

Elisabeth Studer – 14 juillet 2017 – www.leblogfinance.com

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