Ce que prévoit le tant attendu brevet unitaire européen

C’était les 24 et 25 juin derniers au siège de l’Office européen des brevets à Munich. Emmanuel Macron, ministre français de l’Economie, annonçait en personne le montant des redevances demandées aux entreprises qui souscriront au tant attendu « brevet unitaire européen ». Guillaume Henry, avocat à la Cour de Paris, docteur en droit et spécialiste en droit de la propriété intellectuelle, répond aux questions de Challenges sur les raisons de ce succès annoncé.

En quoi le « brevet unitaire européen » constitue-t-il une petite révolution ?

Le brevet est un titre territorial, traditionnellement encadré par des frontières nationales. Le « brevet européen », introduit par la convention de Munich en 1973 et encore utilisé aujourd’hui, simplifie considérablement les procédures administratives en permettant aux entreprises de ne déposer qu’un seul et même dossier pour plusieurs demandes au sein de différents pays membres.

Mais, après sa délivrance, il présente la limite d' »éclater » en portions nationales, indépendantes les unes des autres. Cela pose deux problèmes majeurs aux industriels. D’une part, ils doivent payer des annuités d’entretien dans chaque pays désigné et, d’autre part, chaque brevet étant indépendant, il en résulte une multiplication des procédures judiciaires en cas de contrefaçon. 

Les projets actuels se proposent donc d’aller plus loin. Le brevet européen à effet unitaire permettra aux déposants d’obtenir, après la procédure classique unifiée devant l’office européen, la délivrance d’un brevet unique qui couvrira automatiquement tous les pays parties au système du brevet unitaire (25 pays actuellement). Par ailleurs, une « Juridiction Unifiée des Brevets » (JUB), siégeant à Paris, sera compétente pour trancher en une seule fois en cas de litige. Il n’y aura plus de contrariétés de jugement entre les différentes juridictions nationales comme cela arrive parfois aujourd’hui. 

Quel en sera le coût pour les entreprises ?

Les taxes de maintien en vigueur ont été fixées à environ 5.000 euros, ce qui correspond au cumul des taxes jusque là perçues par les quatre principaux offices – l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas – mais pour 25 Etats. Une telle protection coûterait avec le système actuel environ 30.000 euros… Le brevet à effet unitaire est donc 6 fois moins cher que le brevet européen, même si en pratique les entreprises entretiennent rarement leurs brevets dans 25 pays.  

Existe-t-il des freins à l’adoption de ce nouveau brevet par les entreprises ?

Au départ, les entreprises ne souhaiteront probablement pas faire appel à ce système pour leurs brevets les plus importants. Il représente en effet une véritable prise risque puisqu’en cas d’annulation du brevet par la juridiction unifiée, la nullité s’applique immédiatement à l’ensemble des 25 pays. A l’inverse, le système actuel de brevets permet de limiter les conséquences d’une nullité au seul territoire national où s’est tenu le procès.

L’Italie et l’Espagne n’ont pas souhaité prendre part à cet accord… Comment expliquez- vous ce refus ?

Je pense que ce refus est essentiellement lié à des raisons politiques et linguistiques; les brevets unitaires ne pouvant être déposés qu’en anglais, français et allemand. L’Espagne a d’ailleurs déposé trois recours en annulation, tous refusés.

Quand peut-on espérer une mise en application ?

Probablement mi-2016 ou 2017. Sa mise en application nécessite la ratification d’un traité international. Il faut donc attendre qu’au moins treize Etats dont les trois plus grands, à savoir la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, l’aient ratifié. A ce jour, ce n’est le cas que de sept Etats, dont la France. 

Challenges.fr en temps réel : Economie