Cette piste de l’achat groupé pour casser les prix des mutuelles

C’est un peu le « Groupon » des mutuelles. Après s’être attaqués aux tarifs du gaz, de l’électricité, ou d’Internet, l’association Familles de France et le comparateur Selectra viennent de lancer la première opération d’achat groupé national d’assurance santé. Leur objectif: casser les prix des complémentaires santé, dont les hausses tarifaires sont épinglées chaque année. « Parmi leurs dépenses courantes, les ménages estiment qu’ils ont potentiellement des économies à faire sur leur assurance santé, et sont preneurs d’un accompagnement pour faire le tri dans la jungle d’offres qui existe sur ce marché », constate Clotilde Nison, responsable du pôle assurance de Selectra.

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Selon la Drees, la dépense moyenne de santé était de 3.037 euros par habitant en France en 2018. « Ces dépenses sont généralement contraintes, impossibles à reporter et difficiles à réduire. » Le coût de la santé pour les ménages est réparti en trois postes principaux, rappelle Selectra: les frais de santé, la prime d’assurance (700 euros en moyenne, en hausse de 50% depuis 2006, selon l’UFC Que Choisir) et le reste à charge (214 euros en moyenne en 2018, selon la Drees). « Nous souhaitons améliorer le remboursement des soins en obtenant des offres d’assurance santé au meilleur prix, sans sacrifier la qualité des garanties », promet Clotilde Nison. Comment? Grâce à la force du nombre. Depuis le lancement de l’opération le 8 juin, 8.000 personnes se sont pré-inscrites en ligne et l’objectif est d’en séduire 50.000 d’ici au 31 juillet. De quoi faire pression sur les assureurs pour leur arracher, dans le cadre d’un appel d’offres cet été, des rabais significatifs sur les cotisations, « de l’ordre de 10% ».

Un « leurre »

« Plus le nombre de pré-inscrits sera élevé, plus il sera facile de négocier une offre d’assurance santé à prix de groupe », s’enthousiasme Familles de France dans un communiqué, en précisant que tous les profils peuvent participer: retraités, travailleurs indépendants, salariés, étudiants, etc. Or, c’est sur cette promesse d’économies pour tous que le dispositif qui risque précisément de capoter. Pour Olivier Moustacakis, cofondateur de comparateur Assurland.com, il s’agirait même d’un « leurre ». « Le principe même de l’assurance est de faire des groupes de populations et de proposer des tarifs et des garanties en fonction de critères propres à chacun de ces groupes », pointe-t-il. Les prix des mutuelles font le grand écart selon l’âge de l’assuré, sa situation professionnelle, familiale et même son département de résidence. « Si le groupe de pré-inscrits à partir duquel sera mené l’appel d’offres auprès des assureurs compte une majorité de seniors, les profils qui payent les cotisations les plus élevées, l’offre finale risque d’être trop chère pour les jeunes. »

De là à dire que l’achat groupé pourrait être un flop total? « Les assureurs peuvent toujours être intéressés par ce vivier de nouveaux clients, même si ceux-ci sont uniquement intéressés par les réductions de prix », concède Olivier Moustacakis. Reste que la tendance, dans le monde des mutuelles, est plutôt à trouver des leviers de différenciation et, surtout, de nouvelles recettes. « Avec la réforme du reste à charge zéro, les mutuelles doivent proposer un socle commun de garanties. Elles sont donc plutôt en train de réfléchir à de nouvelles options ou des propositions de services, comme la télémédecine, les médecines douces, qui sont monétisables. » En outre, l’offensive consumériste est menée dans un contexte post-covid plus tendu que jamais pour les assureurs.

Contexte post-covid tendu

Les remboursements des dépenses de santé ont fortement reculé (-70% pendant le confinement, selon le courtier Gerep) durant la crise sanitaire, alors que les Français ont renoncé à se soigner, que les cabinets médicaux étaient fermés. Mais le déconfinement amène son lot de menaces difficiles à évaluer pour le secteur. « Dans le cas des pathologies de longue durée, les patients qui n’ont pas consulté pendant plusieurs mois risquent de voir leur état s’aggraver. Les cabinets font aussi état d’une recrudescence de troubles psychologiques post-confinement », souligne Olivier Moustacakis. Tout cela aura un coût.

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Mi-juin, surtout, le gouvernement a demandé aux complémentaires santé de contribuer aux coûts de la crise sanitaire, relançant le bras de fer entre l’Etat et les assureurs, initié pendant la crise des gilets jaunes, puis lors du déploiement du « RAC zéro ». « Le discours est classique: les pouvoirs publics menacent les assureurs d’une taxe supplémentaire s’ils ne font pas des efforts financiers. » En réponse, la Fédération française de l’Assurance rappelle, dès que l’occasion se présente, que le secteur a mis sur la table 3,2 milliards d’euros pour financer des mesures de soutien exceptionnelles. Le géant mutualiste Vyv, présidé par Thierry Beaudet, également à la tête de la Mutualité française (FNMF), s’est dit prêt à participer à hauteur de 100 millions d’euros.

Covid-19: les factures hospitalières folles des patients sans mutuelle

La crise du coronavirus a aussi mis en lumière les inégalités des Français face au reste à charge dans leurs dépenses de santé. Certains malades sans mutuelle -ou proches de patients décédés et non assurés- se voient réclamer des factures de plusieurs milliers d’euros à la suite d’un passage à l’hôpital. Dans les cas les plus graves, les patients ont pu rester plusieurs jours, voire plusieurs semaines en réanimation. A plus de 3.000 euros par jour, souligne La Croix. Un cauchemar pour ces familles qui rappelle aussi que « l’hôpital n’est pas gratuit pour tout le monde », de l’aveu un brin cynique de Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, cité par le JDD. « Aujourd’hui, 95% de la population française est couverte par une complémentaire santé. Cette situation concerne donc les 5% qui n’ont pas de mutuelle pour prendre en charge le ticket modérateur [la part de 20% des frais hospitaliers qui n’est pas remboursée par la Sécu et reste à la charge du patient, NDLR] », relativise le cofondateur d’Assurland.com. Soit tout de même plus de 3 millions de personnes.

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