Comment gouverne…l’instinctif président du Medef

Il est 5h40 au terminal 3 de l’aéroport de Roissy. Fringant, Pierre Gattaz serre énergiquement les mains de la centaine de patrons qu’il emmène au Maroc, ce 10 mars. Piqué au vif de voir la France détrônée par l’Espagne en tant que premier partenaire commercial du royaume chérifien, le président du Medef part « chasser en meute » Au lendemain de la grande manifestation contre la loi El-Khomri, il peste contre « cette France très à gauche, qui ne comprend rien à la mondialisation ». Devant un public de patrons convaincus, Gattaz déplore la vision négative de la France à l’étranger, même en Chine, « où les dirigeants politiques trouvent évident d’aimer les entreprises ». Dès potron-minet, il sort ses expressions très crues: « Si vous me trouvez un patron qui n’a pas peur d’embaucher en CDI, je le mets dans le formol … »

« Un côté dirigeant de PME »

Avec sa gouaille et son tempérament de combattant, Pierre Gattaz a réussi à s’imposer à la tête du Medef. « Il a la niaque, il est apprécié du terrain », affirme Jacques Creyssel, qui dirige la Fédération du commerce et de la distribution. « C’est quelqu’un de fiable qui cherche à comprendre comment les choses fonctionnent. Il défend bien les revendications des chefs d’entreprise », poursuit Pierre Pringuet, président de l’Afep, le lobby des groupes du CAC 40. Par rapport à Laurence Parisot, l’ancienne présidente davantage portée sur les sujets sociétaux, lui mouille sa chemise pour défendre l’entreprise. Il en a fait sa « mission », quitte à aller au clash, comme en 2013, lorsque le Medef a adressé un carton jaune au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, pour dénoncer sa politique fiscale. Le patron des patrons gère le Medef comme son entreprise héritée de son père, Radiall, qu’il a sauvée de la faillite au début des années 2000: au forceps et à l’instinct. Peu importent les manières, seul le résultat compte. Son style cash et sa spontanéité sont appréciés. « Il est accessible. Il dit bonjour à tout le monde. C’est son côté dirigeant de PME, proche de ses employés », commente Frédéric Motte, vice-président du Medef.

Pédagogue et provocateur

Homme de terrain, il ne veut pas se laisser enfermer dans son bureau du VIIe arrondissement de Paris, avec vue sur la tour Eiffel. « Il a déjà fait le tour de France plusieurs fois et se rend un jour par semaine en province », explique Jean-François Clédel, président du Medef Aquitaine. Dans la même veine, « il a donné une nouvelle impulsion aux actions du Medef à l’international. Et, tous les mois, il visite un pays étranger », avance Bernard Spitz, président de la Fédération française des sociétés d’assurances. Lors de ses déplacements, Gattaz vante l’innovation française en montrant un composant électronique, fabriqué par sa société. « Il est très bon pour faire de la pédagogie sur l’économie », poursuit Frédéric Motte. Provocateur, il a proposé aux leaders syndicaux de les emmener dans la Silicon Valley ou à Shanghai pour leur montrer la mondialisation. Sans succès…

Le problème, c’est que le Medef n’est pas une entreprise, mais une institution difficile à piloter. « Il a un point faible: ce n’est pas un grand stratège. Manœuvrer la technostructure du Medef pour faire émerger des consensus n’est pas son fort. Du coup, certains sujets ne sont pas clairement tranchés », regrette un ponte du syndicat patronal. Résultat: des couacs, comme celui de la négociation sur la représentativité patronale, qui a failli durablement affaiblir le Medef au sein des organismes paritaires.

Illustration de son manque de flair politique : mi-2015, contre l’avis de la plupart des membres du comité statutaire, il a instauré le mandat unique avec interdiction de se représenter. « Il a commis une faute politique en l’annonçant bien trop tôt dans son mandat. Son leadership est aujourd’hui émoussé et il se retrouve muselé par les grandes fédérations qui lui mènent la vie dure », explique un homme d’influence du Medef. Une décision pourtant soutenue par Raymond Soubie, ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy: « Voilà un homme qui tient parole et n’a pas renié son engagement de campagne. C’est assez rare pour être souligné ».

Pierre Gattaz balaie les critiques: « Si vous passez votre temps à faire de la politique politicienne, vous êtes constamment en train d’allumer des contre-feux ». En réponse à ceux qui lui reprochent son manque de vision, il a publié un livre prospectif, La France de tous les possibles, vantant les atouts de l’Hexagone. Objectif: peser sur la présidentielle en prenant de la hauteur. Pour ne plus apparaître comme le simple porte-parole des plaintes patronales.

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