Comment la digitalisation transforme le modèle managérial des entreprises

Appelée « digitalisation », « robotisation », ou encore « plateformisation », cette profonde transformation impose à l’entreprise de faire évoluer rapidement son organisation et ses modes de travail, ce qui se traduit aujourd’hui par quatre tendances: l’introduction de la distance physique entre collaborateurs (télétravail), l’immersion du salarié dans un environnement « technologisé » (usage de smartphones, d’apps, etc.), l’individualisation des collaborateurs salariés, et la plateformisation de la force de production couplée de la robotisation des activités et des processus. Nous nous retrouvons donc face à un décalage entre, d’un côté, la recherche d’agilité croissante de l’entreprise et, de l’autre, une force de production encore très spécialisée sur une expertise/métier qui reste figée sur un certain modèle de compétences techniques, comportementales et managériales. Ce paradoxe apparent entre l’objectif d’entreprise et la nature même du capital humain impose aux entreprises de relever deux grands défis: le défi de l’emploi et le défi managérial et social.

Le grand défi de l’emploi ne pourra être relevé qu’en s’appuyant sur un nouveau modèle de compétences dont les piliers fondateurs sont la technologie, la créativité et l’expertise sectorielle. Alors qu’il est difficile d’affirmer scientifiquement si les emplois d’aujourd’hui seront ceux de demain, il est évident que les tâches répétitives et récurrentes sont vouées à disparaître, remplacées au moins partiellement par la technologie. Les emplois de demain seront plutôt des emplois qualifiés, voire très qualifiés, dont l’ADN sera technologique: l’emploi de Direction – un visionnaire pour définir une stratégie ; l’emploi d’Analyse – un interprète d’information décisionnaire ou ajusteur de décision ; et l’emploi d’Opération – un imaginatif ou un technologue. Il est urgent dans ce contexte que le monde de l’Education et les pouvoirs publics, de concert avec l’entreprise, investissent dans une politique ambitieuse de formation aux nouvelles technologies. N’ayons pas peur de faire des choix de vie en société: laissons la maîtrise des métiers du service aux Hommes qui ont (encore) des qualités comportementales supérieures aux machines!

Développement d’une organisation « désorganisée »

Le défi managérial et social, en revanche, porte sur la capacité des entreprises à recréer le lien entre les individus qui la composent et ainsi favoriser l’engagement. Alors que les collaborateurs sont attendus dans une posture entrepreneuriale au sein même de l’entreprise ou via la plateformisation du capital humain, nous assistons au développement d’une organisation « désorganisée » de par la multiplication des électrons auto-responsables et une certaine déresponsabilisation du Management. Ces changements dissolvent le lien social existant entre les collaborateurs, avec le management et l’entreprise, positionnant ainsi les risques psychosociaux au cœur des préoccupations et des responsabilités du Management.

Pour lutter contre cette dissolution, le modèle social et managérial de demain doit réaffirmer les fondamentaux du management basés sur la juste compréhension de la nature humaine et sur une bonne dose d’empathie. Le dialogue social doit être replacé au cœur des préoccupations des Directions et des actionnaires, et au centre des actions du Management. La fonction RH aura ainsi un rôle clé à jouer en tant que garant du dialogue social ; de fait, elle doit assumer et achever sa transformation organisationnelle et culturelle pour devenir une véritable Fonction de Relations humaines et de Transformation. N’ayons pas peur de faire des choix de vie en société: laissons sa chance au collectif et intégrons les partenaires sociaux au modèle en tant que créateurs de valeur managériale au profit de l’entreprise. Cette dernière dispose d’un atout incroyable: elle a à sa disposition un relai d’interlocuteurs internes, en forte proximité avec les salariés et animé déjà par des instances spécifiques (CE, CSCHT, DP, DUP…). Posons donc le débat: les partenaires sociaux pourraient jouer un rôle responsabilisant et actif dans certaines actions de management. Mais ce nouveau rôle n’est possible qu’à condition que nous engagions une transformation culturelle où l’entreprise déléguerait, en partie, certains actes managériaux pour donner naissance à une chaîne de valeur sociale: de la décision business de la Direction au soutien managérial des partenaires sociaux.

Le nouveau modèle social et managérial s’appuie sur une meilleure répartition des savoirs complémentaires: la recherche de l’agilité et de la création de valeur économique par les acteurs concentrés sur leur cœur de Métier ; et le maintien de l’engagement, le développement du capital humain et la gestion du lien social par la Fonction RH et les partenaires sociaux.

La chaîne de valeur sociale n’est-elle pas finalement le catalyseur de la chaîne de valeur économique?

Par Nicolas Arnal-Bertrand, Médiateur et Consultant RH et Dialogue Social chez PwC et Laurent Grandguillaume, ancien député membre de la Commission des Finances

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