Comment la Tour Eiffel se prépare à l'après-Covid

« >Deux ans après avoir connu une crise au sein de sa gouvernance, la SETE – Société d’Exploitation de la Tour Eiffel – s’est dotée le 11 septembre dernier d’un nouveau président. A 38 ans, Jean-François Martins, diplômé en Management de l’Economie Sociale et Solidaire à l’Université de Marne La Vallée, fut l’ancien adjoint à la Maire de Paris en charge du Tourisme, du Sport et des Jeux Olympiques et Paralympiques à Paris en 2024. « A ce poste, je suivais déjà beaucoup le sujet Tour Eiffel, donc il était légitime que je poursuive cet engagement en en prenant plus directement la présidence », confie-t-il à Challenges. Mais alors que la Tour Eiffel dont 80% de ses revenus sont issus de la billetterie a vu sa fréquentation fondre en 2020, avec 1,8 million de visiteurs contre 6,2 millions en 2019, son nouveau président commente les différents chantiers qu’il compte mener pour revitaliser le monument. En revanche, Jean-François Martins a refusé de réagir à l’annonce faite par Jean Castex le 10 décembre de reporter à trois semaines l’ouverture des établissements accueillant du public.

Challenges. Avez-vous pu estimer les pertes des deux confinements liés à la pandémie pour la Tour Eiffel?

Jean-François Martins, président de la SETE. Nous avons établi un premier bilan. C’est une perte très immédiate de revenus. Il faut mesurer que 80% des revenus de la Tour Eiffel sont issus de la billetterie. Précisément, nous avons perdu près de 75% de nos visiteurs cette année, avec 1,8 million de visiteurs en 2020 contre 6,2 millions en 2019, et 77% du chiffre d’affaires de la Tour Eiffel. C’est à dire plus de 70 millions d’euros, alors que le budget de fonctionnement de la SETE est de 99 millions d’euros. Il faut savoir que la Tour Eiffel n’a pas bénéficié d’enveloppe dans le cadre du plan de relance. Alors même que nous avons sollicité les ministres du Tourisme et de la Culture pour que l’Etat nous vienne en aide. Nous avons en revanche bénéficié d’un PGE, mais nous n’avons malheureusement pas eu le droit aux exonérations du secteur touristique parce que nous dépassons les 250 salariés. Mais nous ne désespérons pas de convaincre l’Etat de nous aider à affronter ce qui est une situation que nous n’avons jamais connu. C’est à dire à la fin de l’année un résultat d’exploitation négatif de 74 millions d’euros. Ce qui sera évidemment vertigineux.

Pouvez-vous nous rappeler le mode de fonctionnement de la SETE?

La SETE est une société publique locale, dont 99% du capital est détenu par la ville de Paris et 1% à la métropole du Grand Paris. Elle est titulaire d’une délégation de service public, donc elle gère au titre de la ville ce monument dont elle assure l’entretien patrimonial, la modernisation, l’exploitation quotidienne et l’accueil du public. La SETE compte plus de 350 collaborateurs, aussi bien des métiers techniques comme des techniciens, des électriciens, des mécaniciens que des agents d’accueil, des ingénieurs ou des caissiers. C’est une société qui fait 100 millions de chiffre d’affaires dans les bonnes années.

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Une ouverture du capital de la SETE est-elle sur la table au vu des pertes abyssales enregistrées en 2020?

Ouvrir le capital de la SETE est une question qui se pose d’abord à l’actionnaire majoritaire, qui seul à la capacité de décider s’il faut ouvrir ou pas son capital. Mais de ce que je sais, ce n’est pas l’intention de la ville de Paris. Nous aurons effectivement besoin de recapitaliser la SETE après cette année de perte vertigineuse record. Mais cette recapitalisation se fera par l’actionnaire en place, c’est à dire la Ville de Paris. Et nous sommes très reconnaissants à Anne Hidalgo qui nous a dit dès le premier jour qu’elle ne manquerait pas à son devoir et à sa responsabilité vis-à-vis de la Tour Eiffel et qu’elle soutiendrait le monument dans ce moment dur que nous traversons, comme tout établissement touristique. Il y a 5 ans, la SETE était une société d’économie mixte dans laquelle il y avait des actionnaires privés dont LVMH. Nous avons décidé de la repasser en société publique et il n’est pas question de changer son statut.

Jean-François Martins (© Ville de Paris)

Comment la Tour Eiffel pourra-t-elle retrouver son niveau de visitorat?

D’abord, il s’agira de réouvrir en faisant appliquer le protocole sanitaire. Et petit à petit, en espérant une vaccination généralisée, à la fin de cette crise sanitaire, de refaire venir à la Tour Eiffel d’abord les Parisiens et les Franciliens et à terme évidemment les touristes du monde entier. Ce que nous avons appris entre les deux confinements, c’est qu’il fallait se redonner les moyens de convaincre les Parisiens et les Franciliens de revenir à la Tour qu’ils avaient un peu quitté, voire boudé. C’est un sujet sur lequel nous avons progressé, de la question stricte du marketing et de la billetterie, jusqu’à la programmation commerciale des animations. Pour le reste, nous serons évidemment fondamentalement dépendants de l’évolution du marché touristique mondial post-covid que personne ne peut prédire. Nous sommes très dépendants du nombre de visiteurs à Paris, c’est assez mécanique, d’où un travail étroit mené avec l’Office du tourisme et des congrès de Paris. En 2015, la Tour Eiffel a atteint près de 7 millions de visiteurs et elle ne retrouvera sans doute pas ce niveau avant 2024. 

Que comptez-vous faire pour faire venir les Franciliens à la Tour Eiffel?

Nous avons déjà créé des tarifications pour les familles, des gratuités et des demi-tarifs pour les Franciliens, ainsi qu’un parcours enfant. Pour le premier trimestre 2021, nous prévoyons des opérations à destination de la clientèle régionale. Il existe une différence entre le Francilien et le reste du monde, alors que du point de vue de la Tour Eiffel, un habitant du Gers et un habitant d’Amérique du sud ont quasiment le même comportement de visite. Si quelqu’un qui n’habite pas la région parisienne vient visiter Paris, il aura le réflexe d’aller à la Tour Eiffel. La question, c’est que ceux qui habitent à Paris ou en Ile-de-France ont perdu ce réflexe. Il s’agit de les faire venir d’abord une fois et de les faire revenir avec un programme d’animations au premier étage, de la programmation culturelle et en boutiques pour en faire un lieu qui n’est jamais le même d’une saison à l’autre et incite à la revisite. 

Quels sont les chantiers que vous allez mener pour revitaliser le site après la pandémie? 

Il y a d’abord un chantier d’entretien du patrimoine et de modernisation de la Tour Eiffel, notamment en vue des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Nous nous sommes fixés cet agenda, car c’est le moment où nous allons recevoir le monde entier à Paris. Donc nous voulons le faire dans les meilleures conditions possibles. Dans ce cadre, nous allons procéder à la rénovation complète de l’ascenseur nord de la Tour Eiffel. Lequel est un chantier absolument exceptionnel et singulier. En effet, aucun ascenseur au monde ne ressemble à celui de la Tour Eiffel. A certains égards, la fréquentation de la Tour ressemble à celle d’une gare ou un aéroport, dans lequel il y a trois ascenseurs. Donc si vous enlevez un ascenseur, vous enlevez un tiers de la capacité d’ascension, donc un tiers de capacité maximale de visiteurs de la Tour, qui ne pourra retourner à plein régime qu’en 2024. Nous ne retrouverons nos très hauts niveaux de fréquentation qu’à partir de cette période. Actuellement, nous menons une campagne de peinture qui se fait tous les sept ans, qui permet d’abord de protéger la structure métallique et ensuite de redonner son éclat esthétique. Et plus globalement, nous menons un projet de modernisation que nous appelons « le projet du grand site Tour Eiffel » qui va du Trocadéro à l’Ecole militaire (désormais évalué à 107 millions d’euros, selon Le Monde, NDLR) qui va alléger le parvis, réoffrir une perspective monumentale du Trocadéro à l’Ecole militaire et revégétaliser une partie des abords. C’est notre projet long terme que nous allons continuer sur cette période de fermeture, voire même que nous allons tenter d’accélérer en profitant du fait qu’il y ait moins de visiteurs pour faire plus de travaux.

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