Comment l’élection du nouveau patron de France Télévisions va se passer

En 2010, Nicolas Sarkozy avait ainsi sollicité avec insistance Nicolas de Tavernost, l’actuel Pdg de M6, pour la présidence de France Télévisions. En vain. Le secret a tenu jusqu’ici sans accrocs. La procédure confiée par François Hollande au CSA oblige les candidats à choisir : fonctionnaire ou suicidaire.

France Télévisions.pngLa course à la présidence de France Télévisions s’accélère, les candidats, venus de la sphère publique ou de la sphère privée, se multiplient. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) désignera entre le 22 avril et le 22 mai le futur président de France Télévisions. L’occasion de revenir sur le mode de nomination des patrons de l’audiovisuel public en France.

Une faille majeure

Laisser le CSA choisir les patrons de l’audiovisuel public est-il une si bonne ou une si mauvaise décision ? Nicolas Sarkozy avait choisi de les nommer lui-même, poussant le candidat François Hollande à faire de ce principe une de ses célèbres anaphores « Moi président ». Il a tenu promesse. François Hollande ne nomme plus les présidents des grands médias publics. Les sages du CSA ont désigné Mathieu Gallet à la tête de Radio France et Agnès Saal à la présidence de l’INA, sans susciter, du reste, jusqu’ici, de polémiques excessives. Mais la taille et l’importance dans le paysage médiatique de France Télévisions relance la question. Elle agite les dirigeants de chaînes, publiques et privées, les candidats futurs ou tentés de l’être, les observateurs et les politiques. Car la procédure actuelle cache une faille majeure.

Le CSA ne peut garantir aux candidats ni une issue favorable, ni le secret après discussions entre huit conseillers. Les patrons de médias privés, comme Christopher Baldelli (RTL), Rodolphe Belmer (Canal+) ou Denis Olivennes (Lagardère), cités à tort ou à raison parmi les candidats potentiels à la présidence de France Télévisions, ont ainsi beaucoup à perdre à se dévoiler. L’expérience d’Alexandre Bompard, candidat malheureux à la présidence de France Télévisions finalement écarté de son poste chez Lagardère, a servi de leçon.

nicolas-de-tavernost.jpgTavernost sollicité discrètement, procédure impossible aujourd’hui

Plusieurs dirigeants de chaînes privées le confient sous le sceau du secret : la procédure mise au point par Nicolas Sarkozy d’un recrutement direct avait au moins l’atout de la discrétion qui permet d’élargir l’éventail des candidatures au privé. En 2010, selon nos informations, avant la désignation de Rémy Pflimlin, Nicolas Sarkozy avait ainsi sollicité avec insistance Nicolas de Tavernost, l’actuel Pdg de M6, pour la présidence de France Télévisions. Le président de la République avait pour cela fait le siège des dirigeants du groupe Bertelsmann, actionnaires de M6. En vain. Le secret a tenu jusqu’ici sans accrocs. Le pouvoir a pu jouer les chasseurs de têtes, les candidats ont pu accepter ou refuser.

Rien de tel lorsque le choix est confié aux sages du CSA. L’ensemble des conseillers est aussitôt au courant, la prestation du candidat est enregistrée et diffusée sur le site de l’instance de régulation. « C’est comme si un chasseur de têtes filmait ses candidats et diffusait les films sur Internet, note un ex-candidat. Il n’aurait que des chômeurs et certains profils venus du public ». En resserrant à ce point l’éventail des candidats potentiels, cette procédure ne favorise évidemment pas l’intérêt de la maison France Télévisions et de ses 10 000 salariés. Elle ne favorise pas non plus les intérêts de l’actionnaire public.

Une instabilité managériale constante

A France Télévisions, l’Etat donne les moyens et les missions, contrôle l’exécution, paye éventuellement les conséquences d’une mauvaise gestion, mais n’a plus son mot à dire sur le choix du dirigeant. Or l’audiovisuel public, entreprise complexe et placée devant de lourds défis d’avenir, souffre d’un handicap lourd : une instabilité managériale constante, au sommet et dans les strates supérieures de la hiérarchie. Si bien qu’aucun des dirigeants de France Télévisions n’a jamais été renouvelé quand TF1 a connu deux présidents depuis sa privatisation en 1987 et M6 un seul depuis sa création la même année… Ce qui pose question. Soit les choix des patrons de France Télé ont été de mauvais choix et cela ne plaide pas en faveur du système actuel, soit de bons dirigeants n’ont pas été renouvelés ce qui constitue une erreur grave et coûteuse.

sarko.jpgQuelle est donc la solution idéale ? Car la nomination par l’exécutif des présidents de l’audiovisuel public a montré ses limites. Nicolas Sarkozy, en prenant personnellement à cœur et en main ces nominations, a donné l’image d’un politique investi, partisan et manipulateur, loin de la distance nécessaire à la sérénité. La désignation de Philippe Val, proche de Carla Bruni, à la tête de France Inter, a alimenté la polémique. Les patrons de Radio France et de France Télévisions désignés par Sarkozy, soit Jean-Luc Hees (Radio France) et Remy Pflimlin (France Télévisions), ont tous deux porté comme un boulet l’origine politique de leur nomination. Elle porte en germe d’infinis procès en légitimité et favorise les soupçons sur une matière ultra-sensible en France : les liens entre la politique et les médias. François Hollande a contourné l’obstacle en nommant à la présidence du CSA Olivier Schrameck, ancien directeur de cabinet de Lionel Jospin à Matignon.

Justifier la décision de remplacer le dirigeant de France Télé

Une responsabilité partagée – choix du politique parmi trois candidats désignés par le CSA, par exemple – associerait les deux parties. Surtout, comme tout actionnaire, l’Etat, le CSA (ou les deux) devraient justifier par des fautes, des erreurs ou des échecs de taille, leur décision de se séparer du dirigeant d’une entreprise de l’audiovisuel public, après avoir envisagé la permanence des équipes. Ceci, dans l’intérêt de l’entreprise, de ses salariés, des téléspectateurs et de l’Etat. Il est trop tard pour modifier la procédure qui démarre à France Télévisions. Mais il faudra un jour se pencher sur les effets néfastes de l’instabilité à la tête des télévisions d’Etat et sur la vulnérabilité de leurs dirigeants.


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