Confinement: eBay se dépoussière pour briller en France

Et si le confinement était l’occasion de se lancer dans la vente à distance ? Alors que les Français n’ont jamais eu autant de temps pour écumer leur grenier à la recherche de pépites oubliées, eBay a justement ouvert le 17 mars, premier jour du confinement, son service  » Estimez vos trésors « , prévu de longue date. Le principe est simple : chacun peut soumettre les photos de ses œuvres d’art ou antiquités et recevoir, sous deux jours, l’analyse gratuite des experts de France Estimations. Dans la foulée, son détenteur peut poster une annonce sur eBay.

Parmi les premiers intéressés, le site peut compter sur l’animatrice Sophie Davant, dont il sponsorise l’émission Affaire conclue, sur France 2. Elle a été rapidement suivie par d’autres.  » Nous avons déjà reçu des dessins d’Uderzo, des estampes de Miró évaluées à 120 000 euros, et même un Basquiat valant entre 200 000 et 400 000 euros « , s’exclame Laurent Hache, directeur de France Estimations. Ce fidèle de la première heure apprécie depuis longtemps eBay,  » qui permet de trouver des choses très pointues « . A Noël, il y a encore déniché le cadeau de son beau-frère, fan du PSG : un fanion du club de football de son année de naissance, assorti d’un exemplaire de L’Equipe de la même date.

Art et pièces détachées

Plébiscitée par les collectionneurs, la plateforme créée en 1995 aux Etats-Unis a débarqué dans l’Hexagone cinq ans plus tard. Elle a connu son âge d’or au cœur des années 2000. Fin 2009, c’était même le site d’e-commerce le plus fréquenté en France, avec 13 millions de visiteurs uniques par mois, selon la Fevad. PriceMinister suivait, talonné par Amazon. Dix ans plus tard, Amazon, avec ses 34 millions d’internautes mensuels, a raflé la première place (lire p. 34), quand eBay a été rétrogradé au onzième rang. De là à l’enterrer ? Certainement pas.

A la tête de la filiale française depuis 2015, Céline Saada-Benaben s’échine à redorer le blason de la star déchue.  » Nous avons été trop discrets « , reconnaît cette diplômée de l’Essec, qui privilégie le marketing ciblé aux grosses campagnes télévisées. Il faut dire que, en se positionnant à la fois sur l’occasion et le neuf, les professionnels et les particuliers, eBay s’est retrouvé attaqué par de multiples concurrents spécialisés. Amazon ? Champion du service client. Cdiscount ? Défenseur du pouvoir d’achat. Aliexpress ? Expert du Made in China. Leboncoin ? Leader de l’occasion près de chez soi. Vinted ? Roi de la fripe. Et eBay dans tout ça ?  » Mon challenge, c’est de clarifier la marque « , concède Céline Saada-Benaben, qui rappelle toutefois :  » Tous les jours, 1,2 million de Français se rendent sur le site. « 

Epaulée par un comité exécutif 100 % féminin, elle a tout d’abord passé au crible les 86 millions d’annonces, afin d’identifier des catégories clés, comme les arts et antiquités ou les pièces détachées pour automobiles. Après le partenariat avec France Estimations, un autre suivra ainsi avec Feu vert. En mai, les acheteurs de pneus sur eBay pourront ajouter une option payante pour se les faire livrer et installer dans l’un des centres du groupe.

TPE et PME attirées

Poursuivant cette clarification, Céline Saada-Benaben a aussi fait évoluer le business model.  » A l’origine, eBay était sur le créneau du particulier à particulier, notamment via les enchères, rappelle Antoine Pottiez, président de Mondial Relay, partenaire depuis dix ans. Concurrencé par les marketplaces de seconde main, il s’est tourné vers les vendeurs professionnels.  » Le site en rassemble 24 000 en France, surtout des TPE et PME,  » un chiffre en croissance « , précise Sarah Tayeb, sa responsable des vendeurs. Présent dans 190 pays, eBay leur ouvre une fenêtre sur 183 millions d’acheteurs.  » Entre 30 et 40 % de notre activité est réalisée entre deux personnes qui ne se trouvent pas dans le même pays, pointe Céline Saada-Benaben, qui défend son modèle de place de marché à 100 %. Amazon vend aussi ses propres produits, mais nos intérêts sont uniquement alignés sur ceux des vendeurs : nous gagnons de l’argent s’ils en gagnent, moyennant une commission de 3 à 10 %.  » Poussant cette logique de partenariat, eBay a multiplié les services à destination des commerçants, comme la traduction gratuite d’une partie de leur inventaire avec la société Webinterpret. La taxe Gafa ? eBay ne l’a pas répercutée sur ses tarifs, à l’inverse d’Amazon. La crise du coronavirus ? L’américain a essayé d’en minimiser les conséquences sur les TPE et PME. Depuis le 30 mars, ses membres peuvent demander le report du paiement des frais de vente pour 30 jours. Les professionnels qui décident d’ouvrir un compte pour conserver leur activité se verront offrir douze mois de l’abonnement boutique en ligne basique, et ne paieront aucune commission sur les ventes pendant trois mois. Quant aux mauvais avis donnés en raison de retards de livraison, ils ne seront pas retenus.

Retard de croissance

A l’occasion de son quart de siècle, quel bilan peut dresser eBay ? L’exact opposé d’Amazon : « eBay a un problème de croissance, mais affiche une robustesse financière impressionnante, salue Olivier Macard, associé à EY. Le cash flow atteint 2,4 milliards de dollars pour des revenus de 10,8 milliards. » Et en France ? « L’année 2019 a été très bonne et nous sommes très rentables », souffle Céline Saada-Benaben, tenue au secret par sa maison mère cotée. Le panéliste Kantar évalue le volume d’affaires de sa filiale l’an dernier à 371 millions d’euros. Un chiffre en progression de 6 %, mais encore loin des 7,73 milliards d’Amazon.

Remue-ménage à tous les étages aux Etats-Unis
Pendant que Céline Saada-Benaben se bat en France, aux Etats-Unis, le nouveau PDG Jamie Iannone, venu de Walmart, doit livrer des batailles bien plus homériques. Son prédécesseur avait démissionné en septembre, après s’être opposé aux fonds activistes Elliott et Starboard, poussant eBay à se recentrer sur l’e-commerce. En novembre, le site a ainsi annoncé la cession de StubHub, sa plateforme de vente de billets de spectacles, pour 4 milliards de dollars, à Viagogo. Et c’est au tour de sa filiale de petites annonces, Classified, d’être sur la sellette. « eBay a cédé certaines de ses activités qui offraient des vecteurs de développement et compensaient la stagnation des ventes d’e-commerce, déplore Olivier Macard, associé à EY. Or, quand on est coté, il faut faire de la croissance. » Pourtant, en février, ICE, la maison mère du New York Stock Exchange, a jeté son dévolu sur l’e-commerçant et proposé 30 milliards de dollars pour s’offrir la plateforme, avant d’y renoncer. La cote d’eBay bouge encore.

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