(Répétition sans changement d’une dépêche transmise vendredi)
par Patrick Vignal
PARIS, 10 mai (Reuters) – Janet Yellen a dû s’y reprendre à deux fois pour ne pas briser l’équilibre précaire des marchés financiers, toujours soutenus par la perspective d’une reprise économique vigoureuse mais rendus nerveux par la crainte d’une surchauffe synonyme de resserrement monétaire.
Celle qui fut présidente de la Réserve fédérale avant de devenir secrétaire au Trésor et n’ignore donc rien de la nécessité de tenir un discours prudent a d’abord semé le trouble en déclarant mardi qu’une légère hausse des taux d’intérêt pourrait être nécessaire.
La réaction des marchés a été immédiate avec un repli des valeurs technologiques, dont les valorisations tendues sont extrêmement sensibles aux taux, et une remontée des rendements des emprunts d’Etat américains à 10 ans, que les investisseurs surveillent comme le lait sur le feu depuis plusieurs mois.
Janet Yellen est donc remontée au front pour dire que l’inflation ne représentait pas une menace pour l’économie américaine et qu’elle ne préconisait ni ne recommandait une hausse des taux, étant plus que quiconque attachée à l’indépendance de la Réserve fédérale.
Le calme est revenu mais l’épisode illustre bien la vulnérabilité des marchés d’actions, qui évoluent à des niveaux records, portés à la fois par des indicateurs économiques tonitruants, les progrès dans les campagnes de vaccination et des résultats d’entreprises largement à la hauteur d’attentes pourtant élevées.
“Une reprise dynamique devrait perdurer sur les prochains trimestres, surtout si la consommation retrouve sa place au côté de l’investissement, piliers d’une croissance solide”, prévoit Alain Guélennoc, directeur général de Federal Finance Gestion.
“La crainte que la vigueur de la reprise contraigne les grandes banques centrales à resserrer prématurément leur politique monétaire n’a pas disparu pour autant et freine les investisseurs, malgré les belles performances déjà acquises”, ajoute-t-il toutefois.
“La question majeure réside désormais dans la capacité de l’économie à supporter ce choc de la demande et donc de surchauffe, à l’image des tensions sur les prix des matières premières, sans générer une augmentation durable des prix au-delà d’un simple phénomène provisoire.”
POWELL “SEUL SUR SCÈNE”
Tout le problème est en effet de savoir si le retour de l’inflation, alimenté en outre par les plans de relance budgétaire massifs mis en place un peu partout, et en particulier aux Etats-Unis, sera transitoire, comme le pense la Fed, ou au contraire durable.
“Les marchés nous paraissent sous-estimer les pressions potentielles à moyen terme sur les prix”, lit-on dans une note du BlackRock Investment Institute (BII).
L’inflation aux Etats-Unis devrait bientôt dépasser l’objectif de la Fed (2% sur un an) mais des incertitudes demeurent quant à la persistance de ce dépassement, écrivent les stratèges du numéro un mondial de la gestion d’actifs.
La Fed a déjà fait savoir qu’elle autoriserait l’inflation à dépasser temporairement sa cible, autrement dit qu’elle tolérerait un certain niveau de surchauffe de l’économie afin d’aider notamment le marché de l’emploi à retrouver ses niveaux dans la crise sanitaire.
Si les prix s’emballaient durablement, elle pourrait toutefois devoir changer de discours. Toute l’attention se porte donc sur le président de la banque centrale américaine, fait valoir Frédéric Rollin, conseiller en stratégie chez Pictet Asset Management.
“Jerome Powell est désormais seul sur scène”, dit-il avant de prévoir une amorce de balisage d’un resserrement monétaire à un horizon relativement proche, peut-être dès le mois de juin.
UNE ÉXUBÉRANCE RATIONNELLE ?
Cette normalisation n’entraînerait pas nécessairement une baisse des taux d’intérêt mais prendrait plutôt la forme d’un retrait progressif (“tapering”) du soutien apporté par la Fed aux marchés par ses rachats d’actifs, selon lui.
En attendant, les indices boursiers poursuivent leur ascension, à un rythme certes moins spectaculaire mais néanmoins suffisant pour permettre au Dow Jones d’enrichir sa collection de records de clôture.
Les marchés sont-ils animés par une euphorie aveugle, ce qu’Alan Greenspan, alors président de la Fed, avait qualifié d'”exubérance irrationnelle” dans un discours prononcé en 1996 et demeuré célèbre ?
Non, tranchent les stratèges de NN Investment Partners, qui parlent au contraire dans une note d’une “exubérance rationnelle” portée par la normalisation économique grâce aux progrès de la vaccination et à des politiques monétaires et budgétaires toujours favorables.
Le contexte reste donc, selon eux, propice aux actions, avec une préférence à accorder aux actifs cycliques, traditionnellement en première ligne dans une phase de rebond.
D’autres sont plus mesurés, notamment Frédéric Rollin, chez Pictet AM, qui fait valoir que la plupart des bonnes nouvelles sont déjà intégrées dans les cours et qui pense que les indicateurs économiques pourraient bientôt marquer le pas.
“Ça ne nous met pas vendeur actions mais on se dit que c’est probablement le moment de prendre des bénéfices”, dit-il. (édité par Blandine Hénault)