Droit de la concurrence et agriculture : vers une exemption généralisée ?

Le 16 octobre 2017, le Comité Spécial Agriculture, au sein duquel sont représentés les Etats membres de l’Union européenne, a marqué son accord sur le projet de règlement dit OMNIBUS[1]. Qualifié de « véritable bond en avant » par le think tank Farm Europe[2], le futur règlement a vocation à simplifier la politique agricole commune (PAC) en envisageant une série d’améliorations dont certaines touchent à l’organisation commune des marchés.

En effet, le projet envisage une extension à tous les secteurs agricoles de certaines prérogatives réservées jusque-là à quelques organisations de producteurs afin de renforcer la position des agriculteurs dans la chaîne d’approvisionnement.

Mise en place en 2016 dans la filière sucrière, la possibilité d’accords volontaires pour le partage de la valeur serait ainsi étendue à tous les secteurs. Concrètement, selon la DG AGRI ces accords visent « à mieux relier les prix à la production aux prix en aval dans la chaîne alimentaire » et peuvent couvrir « à la fois les profits et les pertes potentiels en aval »[3].

Ainsi, les organisations de producteurs pourraient à court terme planifier la production, optimiser les coûts de production et mettre sur le marché et négocier des contrats de fourniture de produits agricoles pour le compte de leurs membres. De plus, les exploitants seraient en droit d’avoir des contrats écrits précisant à l’avance les prix et les volumes avec leurs acheteurs et leurs fournisseurs.

Autrement dit, à terme, les producteurs membres de telles organisations pourraient s’entendre sur le prix de vente de leur production et leurs volumes, sans voir leur comportement sanctionné au titre de la prohibition des ententes. De même, l’échange d’informations relatives à la nature et aux volumes de production, commercialisés ou stockés, échapperait à la prohibition des ententes prévue par les articles 101 du Traité (TFUE) et L. 420-1 du Code de commerce. Or, à ce jour, ces dérogations ne sont autorisées que pour les producteurs de lait, d’huile d’olive, de viande bovine et les grandes cultures.

Au plan national et dans le même esprit, le Président de la République, dans le cadre du premier chantier des Etats Généraux de l’Alimentation (EGA), s’est engagé à ce que les règles de concurrence soient adaptées pour généraliser la possibilité de recourir plus facilement aux regroupements, sous le contrôle de l’Autorité de la concurrence. Une réforme a été annoncée pour le premier semestre 2018 afin notamment de renforcer le pouvoir de négociation des agriculteurs dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire et garantir un fonctionnement équitable de la négociation[4].

Afin d’apporter la sécurité juridique nécessaire aux opérateurs, il serait prévu de permettre, tant au plan national qu’européen, la consultation préalable des autorités de concurrence par tout producteur, organisation de producteurs agréée sur les pratiques, accords et décisions qui seraient réalisés dans le cadre de la PAC.

Cette consultation des autorités de concurrence sera bienvenue dans la mesure où la Cour de justice de l’Union européenne vient de réaffirmer, au sujet de pratiques mises en œuvre en France dans le secteur des endives, qu’une concertation sur les prix et les quantités entre plusieurs organisations de producteurs agricoles et associations de telles organisations peut constituer une entente au sens du droit de la concurrence (CJUE, 14 novembre 2017, Président de l’Autorité de la concurrence / APVE e.a., aff. C-671/15).

Le principe d’interdiction est toutefois tempéré par la faculté laissée aux organisations de producteurs ou aux associations d’organisations de producteurs de concerter certaines pratiques de leurs membres si elles répondent de manière proportionnée aux objectifs que ces organisations ou associations poursuivent au titre de la PAC.

Un effort supplémentaire de clarification demeure nécessaire et le Gouvernement s’est engagé, par la voix du Président de la République, à éditer un guide pratique précisant, filière par filière, ce qui serait autorisé ou interdit par le droit de la concurrence[5].

[1] Conseil européen et Conseil de l’Union européenne, « Confirmation de l’accord sur les aspects agricoles du règlement Omnibus », 16 octobre 2017 (http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2017/10/16/agriculture-omnibus-confirmed/)
[2] Farm Europe, « Omnibus : un véritable bond en avant pour la politique agricole commune », 13 octobre 2017 (http://www.farm-europe.eu/fr/actualite-farm-europe/omnibus-un-veritable-bond-en-avant-pour-la-politique-agricole-commune/)
[3] Initiative to improve the Food Supply Chain, DG AGRI, 25 juillet 2017, Ref. Ares(2017)3735471
[4] Discours du Président de la République Emmanuel Macron au marché de Rungis, 11 octobre 2017
[5] Discours du Président de la République Emmanuel Macron au marché de Rungis, 11 octobre 2017

Lire aussi :
Concurrence – distribution : Lettre d’information septembre 2017
Etats généraux de l’alimentation : de nouvelles mesures encadrant les relations fournisseurs/distributeurs… dès les négociations commerciales 2018 ?

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