Effondrement des cours du brut: l’industrie pétrolière vacille

Malgré les tweets précipités de Donald Trump, claironnant le 2 avril qu’un accord de limitation de la production était proche entre Russes et Saoudiens, ce qui a fait s’envoler les prix de plus de 30% en 48 heures, les marchés continuent d’évoluer à des niveaux historiquement bas. Le Brent (référence européenne) qui avait touché le fond la semaine dernière en tombant à 20 dollars, un record depuis 2002, s’affichait ce lundi 6 avril à 15 heures à 33 dollars, en baisse de 3% par rapport à la veille, après l’annonce du report d’une réunion entre l’Opep et la Russie. Toutefois, une réunion des ministres de l’Energie du G20 va se tenir prochainement afin de tenter de trouver une solution à la chute des cours a indiqué lundi après-midi l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Ce krach pétrolier, qui s’est traduit par une chute de 50% des cours depuis le 31 décembre dernier, tient en premier lieu à la pandémie de coronavirus. En mettant l’économie mondiale à l’arrêt, celle-ci a provoqué une diminution sans précédent de la demande de pétrole qui devrait reculer de 20 à 30% au deuxième trimestre. Un reflux qui doit aussi beaucoup à la guerre à trois que se livrent l’Arabie saoudite, la Russie et la États-Unis. En décidant le 7 mars, au lendemain du refus de Moscou de limiter à nouveau la production, d’accroître sensiblement ses exportations d’or noir, le royaume saoudien a joué le rôle de boutefeu. Un passage en force qui visait à la fois à punir Moscou et à mater le pétrole de schiste américain, dont l’explosion a permis aux États-Unis de devenir en 2017 le premier producteur mondial devant la Russie et l’Arabie saoudite.

Les « oilmen » américains dans le dur

Premières victimes de cette impitoyable guerre des prix : les producteurs de pétrole de schiste aux Etats-Unis. Moins rentables que leurs rivaux, les « oilmen » américains ne parviennent plus à faire des bénéfices avec un baril aussi bas et voient leur endettement s’envoler. Selon UBS, ils vont aussi réduire leurs dépenses de 40% dans les semaines à venir. « Les conséquences vont être terribles, prévient Benjamin Louvet, gérant matières premières chez OFI Asset Management. Les pétroliers américains ont des assurances qui ne couvrent que 43% de leur production pour 2020. Et en plus le pétrole de schiste se vend aujourd’hui 4,5 dollars de moins que le WTI » [la référence américaine, NDLR]. Symbole de ces difficultés : le grand pétrolier du Dakota, Whiting Petroleum, a annoncé rentrer en processus de faillite en raison du « sévère retournement du marché ». L’action, qui cotait 150 dollars en 2015, se traite désormais à… 0,37 dollar après avoir plongé de 91% au cours des trois derniers mois.

Autre illustration : le baril américain de Wyoming Asphalt Sour, un pétrole dense utilisé principalement pour produire du bitume, est « tombé à un prix négatif » au cours du mois de mars. « Cela veut dire que les producteurs font cadeau de leur pétrole car ils n’ont aucun endroit pour le stocker », poursuit Benjamin Louvet. Les réserves mondiales de brut étant déjà aux trois quarts pleines, l’hypothèse d’une saturation totale des capacités de stockage n’est pas à exclure. « Sans réduction importante de la production, d’ici un mois les stocks mondiaux seront pleins et les compagnies devront vendre à perte », ajoute-t-on chez Trafigura Group, le deuxième plus grand négociant indépendant de pétrole.

900 postes supprimés chez Vallourec

Ce coup de semonce frappe aussi de plein fouet les principales majors de la planète (ExxonMobil, BP, Total, Equinor…). Selon le Financial Times, elles se sont même constituées un véritable trésor de guerre en levant, depuis mi-mars, 32 milliards de dollars sur le marché obligataire pour faire face à l’effondrement des cours. Pour UBS, les plus grandes compagnies pétrolières mondiales vont également investir 20 % de moins que prévu en 2020. Le russe Lukoil ou le saoudien Aramco réduiront eux la voilure de 25 %, prédit la banque suisse. Quant à certains grands projets comme ceux en haute mer de Total, dans le Golfe du Mexique et au Nigeria, UBS prévoient qu’ils seront retardés.

Encore plus rude pourrait être le choc pour le secteur parapétrolier. D’après le cabinet Rystad Energy, c’est au total plus de un million d’emplois qui devraient être amenés à disparaître en 2020. Des prévisions très sombres qui se sont confirmées le 6 avril avec l’annonce par Vallourec de la suppression de 900 postes en Amérique du Nord, soit plus du tiers de ses effectifs dans la région. Autre géant français des services pétroliers affecté par la crise, Schlumberger, qui a perdu depuis janvier 60% de sa valeur en Bourse, a aussi annoncé qu’il allait tailler dans ses effectifs. Le marseillais Bourbon, qui assure des services en mer pour le secteur et vient d’être repris par ses créanciers à la barre du tribunal, est également dans une situation très difficile.

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