Pro-renouvelables contre pro-nucléaires. Entre ces deux blocs, une troisième voie prônant le mix énergétique tente de percer en vue de 2022.
Il y a d’abord les conséquences de plus en plus visibles du dérèglement climatique. « La France se trouve au point de jonction d’un consensus scientifique et d’une expérience sociale, les Français ayant fait l’expérience au cours des derniers mois d’événements climatiques extrêmes à l’échelle locale », indique le président de la Fondation Jean-Jaurès, Gilles Finchelstein, qui a vu les Français hisser les préoccupations climatiques en troisième position du classement de l’enquête « Fractures françaises » en septembre 2021, 7 points devant l’immigration.
Fin des clivages traditionnels
Autre argument, le parc nucléaire français, qui produit 67 % de l’électricité française, est vieillissant et appelle de nouveaux investissements.
« Nous nous trouvons à un moment fatidique, indique Maud Bregeon, porte-parole d’En marche ! et ingénieure dans le secteur nucléaire. Des décisions doivent être prises pendant la présidentielle. »
Le paysage politique et médiatique français est devenu en quelques années un champ de bataille entre partisans de l’atome et défenseurs des renouvelables. L’explosion des clivages traditionnels et la fin du consensus mitterrando-gaullien sur le nucléaire ont fait du sujet énergétique un terrain miné, avec des positions antagonistes. D’un côté, les partisans d’un renforcement du parc nucléaire français comme Xavier Bertrand, qui souhaite lancer la construction de six nouveaux EPR. Un bloc extrêmement composite qui va des souverainistes de gauche comme Arnaud Montebourg et Fabien Roussel à la droite et l’extrême droite, avec Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen ou Eric Zemmour. Si les premiers sont ouverts aux énergies renouvelables, tout en accordant la priorité au nucléaire, les seconds se montrent nettement plus critiques à l’égard des « énergies vertes » et farouchement opposés aux éoliennes.
Plus homogène est le pôle des « renouvelables » : il gravite autour de deux figures de la gauche, Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) et Yannick Jadot (EELV), qui préconisent tous deux la sortie du nucléaire au profit des énergies renouvelables. Entre ces deux blocs qui se font face, les partisans d’une « troisième voie », comme Valérie Pécresse, ont plus de mal à exister.
Et la campagne présidentielle est un terrain mouvant, qui oblige à des ajustements. Longtemps partisan du développement des énergies renouvelables, Michel Barnier a recalibré son message pour s’ancrer davantage en faveur du nucléaire. Il fustige désormais l’éolien « qui détruit les paysages ». Anne Hidalgo a fait un pas en direction de l’atome, en conditionnant la sortie du nucléaire au développement « aussi rapide » que possible des énergies renouvelables. Et plusieurs figures écologistes, comme François de Rugy ou Pascal Canfin ont fait un début d’aggiornamento pro-nucléaire.
Macron « en même temps »
Sur les questions énergétiques, Emmanuel Macron reste très attaché au « en même temps ». Après avoir laissé fermer la centrale de Fessenheim, le président s’apprête à annoncer la construction de petits réacteurs nucléaires SMR dans le cadre de « France 2030 » (lire page 34). Dans ce plan d’investissement, il donne aussi la part belle aux renouvelables avec 2 milliards consacrés à l’éolien flottant et au photovoltaïque. « Il aura au fond deux grandes options, expose Julien Aubert, soit adopter une stratégie “de droite” en annonçant la construction de 6 nouveaux EPR pour couper l’herbe sous le pied de Bertrand, soit rester dans son petit truc écolo pour tenter de rallier Jadot. »
Car derrière les orientations énergétiques, les calculs politiques ne sont jamais bien loin. Si Xavier Bertrand a très tôt préempté le sujet, c’est qu’il a identifié une fragilité du chef de l’Etat. Et ses critiques virulentes des éoliennes ne sont pas gratuites :
« Elles sont devenues le symbole de ce qui est décidé à Paris et que l’on impose aux habitants des territoires ruraux sans les consulter, pointe un cadre de LR. Les éoliennes, c’est un peu le mec du XVIe arrondissement de Paris qui décide d’en implanter une dans votre jardin sans vous demander votre avis. Et cela rejoint quelque part l’image de mépris qui colle à la Macronie », à l’image de la limitation de vitesse à 80 km/h qui avait embrasé le pays en 2018.
Sensation de ce début de campagne, Eric Zemmour a lui tranché en faveur du 100 % nucléaire en actant le retournement de l’opinion intervenu au printemps 2021 (59 % des Français se déclarent désormais favorables à l’atome selon une étude Odoxa). Un positionnement stratégique qui a l’avantage de coller parfaitement à son récit. « Avec le nucléaire, il rejoue la nostalgie des années 1960 et du gaullisme, pointe Jean Garrigues, spécialiste de la Ve République. En un mot : le bon vieux temps. »
C’est un pavé dans la mare écologiste qu’a jeté Arnaud Montebourg en mars dernier sur le plateau de Reporterre. Invité à débattre du nucléaire avec le maire de Grenoble, Eric Piolle, le chantre du made in France a assuré que « dans les quatre scénarios du Giec pour lutter contre le réchauffement climatique, tous indiquent l’augmentation du nucléaire dans le mix énergétique ».
Une déclaration immédiatement contestée par les militants écologistes puis fact-checkée, mais qui s’avère… entièrement vraie. Dans son rapport publié en octobre 2018, le groupement d’experts établit quatre scénarios permettant de contenir l’augmentation de la température terrestre sous la barre des + 1,5 °C et jusqu’à + 2 °C d’ici à 2100. Tous nécessiteraient une hausse drastique de la production d’énergie nucléaire. Le plus optimiste, qui envisage une baisse (très hypothétique) de la demande énergétique mondiale d’ici à 2050, ne serait atteignable qu’en augmentant de 150 % les capacités nucléaires mondiales. En cas de maintien du rythme de développement actuel, il faudrait les augmenter de… 501 %.