Exposition et rétrospective Truffaut à la cinémathèque

François Truffaut

Décédé à l’âge de 52 ans le 21 octobre 1984, la Cinémathèque française consacre une grande exposition à François Truffaut du 08 octobre 2014 au 25 janvier 2015. Conçue à partir d’archives rares, la projection de son intégrale accompagnera cet évènement à ne pas manquer. L’occasion pour nous de revenir sur certains classiques et la diversité du grand cinéaste.

Les Quatre cents coups

Issu de la critique cinématographique (Les Cahiers du cinéma, Arts), Truffaut fonde sa propre société de production en 1957 (Les Films du Carosse, en hommage à Jean Renoir et « Le Carrosse d’or »), et s’essaye d’abord à la mise scène avec des courts-métrages. 2 ans plus tard, le jeune cinéaste signe « Les 400 coups ». Premier film donc, et opus dédié au personnage d’Antoine Doinel, écolier malicieux à l’absentéisme scolaire fréquent, Truffaut s’inspire de son propre parcours et s’impose déjà comme un réalisateur majeur dans le paysage français. Le public y découvre un jeune Jean-Pierre Léaud captivant, dont on suivra les aventures jusqu’à l’âge adulte à travers « L’Amour à 20 ans » (1962), « Baisers volés » (1968), « Domicile conjugal » (1970) et « L’Amour en fuite » (1979). Récompensé à travers le monde entier, Truffaut gagne le prix de la mise en scène au festival de Cannes en 1959, alors que l’année précédente, il s’était vu refusé son accréditation comme journaliste à cause de ses attaques contre cette manifestation. Sorti en juin, « Les 400 coups » passionnent 4,093 millions de spectateurs, imposant la nouvelle vague au box–office.

Tirez sur le pianiste

Pour son deuxième film, Truffaut s’intéresse à l’univers noir du romancier David Goodis avec « Tirez sur le pianiste ». Passionné par ce genre de littérature, auquel il reviendra tout au long de sa carrière, le cinéaste prend le contrepied de sa notoriété. Influencé par le cinéma américain, il y dépeint un pianiste timide de jazz, ancien concertiste brillant, qui cache un passé douloureux dû au suicide de son épouse. Mêlé à une affaire de meurtre, il part se réfugier en montagne. Le jeune réalisateur dirige ses acteurs à la perfection, donnant des rôles magnifiques à Charles Aznavour en antihéros (révélé peu avant dans « La Tête contre les murs » de George Franju), ainsi qu’à Marie Dubois, Nicole Berger et Michèle Mercier. Mal accueilli par la critique, le public est moins présent pour ce second rendez-vous en novembre 1960 (962 000 entrées). Heureusement, le film a depuis été réévalué, et est considéré aujourd’hui comme un classique.

Jules et Jim

En adaptant Henri-Pierre Roché, Truffaut met avant une relation amoureuse triangulaire dans « Jules et Jim ». Véritable hymne à l’amour sans jamais tomber dans une histoire scabreuse, le réalisateur donne assurément ici à Jeanne Moreau, l’un de ses plus beaux rôles, servi par le duo Jules/Oskar Werner-Jim/Henri Serre. Tourné en 2 mois avec une équipe réduite de 15 personnes, la liberté de la mise en scène de Truffaut est ici à son apogée. On en oublie certains enjeux que proposent le film (deux amis au début du 20ème siècle, l’un français, l’autre allemand, épris de la même femme et que la guerre ne séparera pas), tellement l’engrenage scénaristique, et le langage cinématographique (arrêts sur image, fermeture à l’iris) sont puissants. 1,567 millions de français applaudissent ce travail d’orfèvre en janvier 1962, malgré l’interdiction du film au moins de 18 ans. En seulement 3 films, Truffaut s’impose comme un grand cinéaste français, et qui en plus, s’exporte à l’étranger.

Fahrenheit 451

En 1966, Truffaut porte à l’écran « Fahrenheit 451 », un projet qu’il tente de monter depuis quelques années. Adapté d’après le roman de Ray Bradbury, le film est le premier (et dernier) qu’il tourne en langue anglaise, mais est aussi son plus gros budget (1,5 million de dollars) et sa première tentative en couleurs. Cet amoureux de la littérature nous montre un univers ou la lecture y est interdite. Le héros du film fait partie d’une brigade de pompiers qui doit traquer les personnes possédant des livres afin de les bruler. Tournant dans une langue qu’il maîtrise mal, Truffaut a du mal à mener à terme un film bien compliqué. Oskar Werner, l’acteur principal avec lequel le cinéaste a déjà tourné « Jules et Jim », entre en perpétuel conflit avec le réalisateur. Julie Christie (l’héroïne du « Dr Jivago ») est, quant à elle, au bord de la dépression. A sa sortie, le film rapporte seulement 1 million de dollars aux Etats-Unis et au Canada, et 770 000 fauteuils en France. Semi-échec donc pour un film à redécouvrir pour les amateurs de Science-Fiction, tandis que les cinéphiles dégusteront la musique signée Bernard Herrmann (plus connu pour ses travaux avec Hitchcock), la lumière de Nicolas Roeg, et la mise en scène de Truffaut.

La Sirène du Mississipi

Fidèle à ses lectures, Truffaut adapte à nouveau William Irish pour « La Sirène du Mississipi », après « La Mariée était en noir » (1967). On y verra une femme, répondant à une annonce matrimoniale, qui s’approprie la place d’une autre. Le demandeur va s’apercevoir qu’il est en train de tomber amoureux d’une usurpatrice. Le couple Catherine Deneuve-Jean- Paul Belmondo fait ici merveille. Cette rencontre au sommet est assurément une des plus belles réussites de son auteur. Mais cette superbe passion amoureuse sera boudée par le public. Sur un budget estimé à 1,6 million de dollars, le film ne rapporte que 1,3 million de dollars de recettes sur le globe, attirant tout de même 1,221 million de spectateurs français en juin 1969

Une Belle comme moi

Durant les années 70, Truffaut repasse à des budgets plus serrés, devient acteur dans ses propres films (« L’Enfant sauvage » et ses 1,458 million de spectateurs), retourne aux aventures de Doinel (« Domicile conjugal » et ses 1,006 million d’entrées). Le succès est souvent au rendez-vous malgré l’échec de « Deux anglaises et le continent » (404 500 fauteuils). Pour « Une Belle fille comme moi », le cinéaste revient au film noir avec l’histoire de ce jeune sociologue, préparant une thèse sur la criminalité féminine. Persuadé de l’innocence de Camille, soupçonné de meurtres, il lave la belle jeune femme de tous soupçons. Malheureusement à peine sortie, celle-ci assassine son mari et fait endosser le crime à son sauveur. Un personnage en or pour Bernadette Laffont, et le plaisir de retrouver André Dussolier ici bien naïf, et des seconds rôles toujours parfaits (Claude Brasseur, Charles Denner, Guy Marchand). 685 000 français suivront de près cette femme fatale (personnage récurrent chez Truffaut) en septembre 1972.

La Nuit américaine

Avec « La nuit américaine », Truffaut prend pour sujet le tournage d’un film. De la scripte, à l’ingénieur du son, en passant par l’assistant-réalisateur et aux comédiens, toute l’équipe de prise de vue est mise en scène, jouée par des acteurs ou interprétée par les véritables techniciens du film. Mise en abîme du réalisateur face à la conception d’un nouveau projet, Truffaut y tient lui-même le rôle du metteur en scène, chef d’équipe en proie au doute. Cette déclaration d’amour au cinéma est une nouvelle consécration du réalisateur à l’échelon mondial. Sorti dans une quarantaine de pays, cette « Nuit américaine » (c’est ainsi qu’on appelle le procédé qui consiste à utiliser des filtres devant la caméra afin de tourner des scènes de nuit en plein jour) récolte de multiples récompenses dont l’Oscar du meilleur film étranger en 1974, et totalise plus de 838 000 entrées en mai 1973.

L'Argent de poche

En 1976, le cinéaste revient sur l’enfance, un de ses thèmes de prédilection, avec « L’Argent de poche ». On y suit les dernières semaines scolaires d’une bande d’écoliers, tous excités à l’approche des colonies de vacances, et qui donnent beaucoup de mal aux instituteurs. Un film choral, sans stars, ponctué par des enfants qui fréquentent les salles de cinéma, et s’intéressent aux filles. Une approche risquée mais dont la fraîcheur va toucher un vaste public. En effet, « L’Argent de poche » attire 1,810 million de Français au mois de mars. Pari réussi.

Rencontres du 3ème type

Truffaut aime occasionnellement s’offrir des (belles) parenthèses durant sa carrière. En 1962, il partait pour Los Angeles afin d’interviewer Alfred Hitchcok durant plusieurs jours. L’œuvre du maître du suspense est disséqué, analysé au détail près par un confrère. « Le cinéma selon Hitchcock » fait date à sa sortie, et est considéré comme l’un des meilleurs ouvrages sur le réalisateur, mais aussi, et à juste titre, comme un livre phare sur le cinéma. En 1976, tout juste après la sortie de « L’Argent de poche », Truffaut retourne à Hollywood, mais pour faire l’acteur cette fois-ci avec « Rencontres du troisième type ». Steven Spielberg vient de lui proposer le rôle de Claude Lacombe, savant français à la tête d’une commission s’efforçant d’établir le contact avec une forme d’intelligence extraterrestre. Truffaut comédien y est tout simplement formidable, avec son accent à couper au couteau et un entrain fédérateur. Du coup, il se retrouve dans un des plus grands succès des années 70. Budgété à 19,4 millions de dollars, le film rapporte 303,7 millions de dollars de recettes mondiales, passionnant 3,115 millions de français en février 1978. Un beau coup de chapeau de Spielberg à l’un des cinéastes qu’il admire.

La Chambre verte

Toujours passionné de littérature, Truffaut adapte plusieurs nouvelles d’Henry James afin d’écrire le script de « La Chambre Verte ». Le personnage principal, Julien, devenu veuf, s’occupe d’un enfant sourd-muet, et se recueille dans une chambre entièrement vouée au souvenir de sa femme. Truffaut, ici également dans le rôle principal, donne un bien beau film qui à travers la mort d’un amour puissant, montre aussi l’attention de Julien pour les vivants. Outre une Nathalie Baye étonnante, la mise en scène de Truffaut et ses intentions sont magnifiées par la lumière du fidèle Néstor Almendros (« L’Enfant sauvage », « L’Histoire d’Adèle H. »). Le film au sujet douloureux n’est pas épargné par une critique austère, et aura bien du mal à être apprécié par les Français (153.523 spectateurs à sa sortie en 1978). Dommage !

Le Dernier métro

Né entre les deux guerres, Truffaut s’intéresse à la France sous l’occupation avec « Le Dernier métro ». On y voit, Marion Steiner qui, en 1942, reprend la direction d’un théâtre que son mari juif allemand Lucas a abandonné. Un ami doit assurer la mise en scène d’une nouvelle pièce, tandis qu’un nouveau venu dans la troupe, bientôt épris de Marion, en tient le premier rôle. Son mari, caché dans la cave en surveille la mise en scène. Le réalisateur signe une comédie dramatique ambitieuse, au scénario proposant de multiples rebondissements, et une réalisation qui met en avant l’illusion et le faux-semblant. Truffaut admire ses acteurs, dénonce la critique artistique de l’époque (avec le personnage joué par Jean-Louis Richard, critique théâtral du journal collabo « Je suis partout »), et donne un film imparable. Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, et Jean Poiret sont salués par 3,384 millions de français en septembre 1980. Le film sera également largement récompensé avec 10 Césars en 1981, et récolte plus de 3 millions de dollars de recettes aux Etats-Unis.

Vivement dimanche

Pour son dernier film, Truffaut revient au polar. Tiré d’un roman de Charles Williams (auteur de Fantasia chez les ploucs), « Vivement dimanche » montre un mari, soupçonné des meurtres de sa femme et de son amant, qui décide de prendre la fuite. Sa secrétaire décide alors de mener l’enquête. Le metteur en scène reprend les codes des années 50, chère à sa cinéphilie, accentuant son vouloir en tournant le film en noir et blanc. Si certains y ont vus un hommage à Alfred Hitchcock, c’est surtout une comédie noire et légère, au scénario finement ciselé avec Suzanne Schiffman, accompagné d’un découpage précis montrant tout l’amour que porte Truffaut au genre. Superbement interprété par Fanny Ardant et Jean-Louis Trintignant (Truffaut regrette de ne pas l’avoir employé auparavant), ce chant du cygne régale 1,169 million de spectateurs durant l’été 1983. Le 21 octobre 1984, Truffaut décède des suites d’une tumeur cérébrale, laissant une œuvre inoubliable.


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