Face au terrorisme, les entreprises recrutent des stars de la sûreté

Coïncidence du calendrier: le jour des attentats dans la salle de concert Manchester Arena, le groupe Unibail Rodamco, propriétaire de centres de congrès et d’exposition comme le Forum des Halles ou les Quatre-temps à la Défense, annonçait la nomination du directeur général de la Direction du Renseignement Militaire (DRM) du Ministère de la Défense, Christophe Gomart, au poste de directeur sûreté du groupe. 

Face à la menace terroriste, de nombreuses entreprises ont fait le choix de nommer à la tête de leur direction sûreté un haut fonctionnaire, qui dispose d’un fort prestige au sein de l’administration. Le général Gomart n’est pas la seule grande figure de l’Etat à rejoindre les sirènes du privé. Jean-Louis Fiamenghi, préfet, ancien directeur du raid et membre du commando qui a tué Jacques Mesrine, a lui aussi été recruté il y a trois ans en tant que directeur sûreté du groupe Veolia. De même, Denis Favier, ancien directeur général de la gendarmerie nationale et ayant commandé le GIGN, a rejoint l’été dernier le groupe Total en tant que directeur sûreté, alors que le poste était habituellement pourvu par un collaborateur interne.

Le recrutement d’anciens hauts fonctionnaires de l’Etat au poste de responsables de la sûreté – personne qui gère à la fois la protection des personnes dans l’entreprise et l’ensemble de ses actifs, à savoir le patrimoine matériel et informationnel – n’est pas une tendance nouvelle. Pour mémoire, René-Georges Querry, ancien chef adjoint de l’unité de coordination de la lutte anti-terroriste, avait rejoint le groupe Accor au début des années 2000. Mais le recrutement de  » super stars  » de l’administration tend à s’accélérer depuis les événements récents qui ont touché la France, la Belgique et le Royaume-Uni.

Une fonction de réassurance

La reconnaissance de la fonction sûreté au sein des organisations privées a-t-elle évolué avec ces nominations? Née au début des années 1980-90 avec l’internationalisation des groupes français, la fonction a mis du temps à être reconnue et admise au sein des entreprises. Vue pendant longtemps comme une fonction  » basse  » dans l’entreprise, tantôt comme le chef des gardiens tantôt comme l’agent de renseignement de la direction générale, elle est progressivement devenue une fonction  » haute  » dans un contexte où la menace à l’encontre des entreprises françaises s’intensifiait. Prises d’otage de collaborateurs à l’étranger, menaces terroristes, vols d’informations stratégiques, crises en tout genre, le directeur sûreté est apparu comme une fonction de réassurance, un rempart face à l’anxiété qui gagnait la hiérarchie. Autrement dit, comme l’écrit Frédéric Ocqueteau,  » tout se passerait alors comme si une instance providentielle charismatique rassurante allait pouvoir magiquement conjurer l’incertitude liée à la perte de rationalité face aux environnements complexes, dangereux et immaîtrisables[1] « .

Cette croyance a pour conséquence de faire de la direction sûreté une fonction particulière, voire atypique au sein de l’entreprise. En effet, si ces profils ont une bonne connaissance du terrain militaire, ils maîtrisent souvent mal les codes de l’entreprise et peuvent donc se trouver déstabiliser au sein d’une organisation. Le combat est d’une autre nature et il peut s’avérer plus délicat. Aussi, ces profils sont-ils le mieux adaptés pour assurer la protection des entreprises? Cela va dépendre largement de la capacité de ces hauts fonctionnaires à s’adapter à la logique et à la culture de l’entreprise, mais aussi de la capacité de ces dernières à les accompagner dans leur nouvel environnement. Par ailleurs, les chefs d’entreprise doivent avoir aussi conscience que d’autres profils existent: des spécialistes de la prévention situationnelle, issus du monde de l’entreprise, qui ont normalisé la fonction sûreté. Il ne s’agit pas ici de déterminer quel est le meilleur profil possible mais de souligner la multitude de talents pour assumer cette fonction aujourd’hui. La solution publique n’est donc pas nécessairement toujours LA solution.

Par Olivier Hassid, Directeur PwC, ancien directeur général du Club des Directeurs de Sûreté des Entreprises (C.D.S.E)


[1] Frederic Ocqueteau, Enquête : Profils et trajectoires des directeurs sûreté, Sécurité & Stratégie, numéro 5, mars 2011.

Challenges en temps réel : Entreprise