Fnac Darty : Comment Enrique Martinez fait subtilement bouger les lignes

Au dernier étage du siège de Fnac Darty, à Ivry-sur-Seine, Enrique Martinez, directeur général, nous accueille avec ce mélange de fierté et de chaleur caractéristiques de son Espagne natale. Il vient de présenter des résultats annuels  » très satisfaisants «  – prononcer  » satisféssan  » -, les premiers de son mandat initié en juillet, au petit goût de revanche.  » Quand je suis arrivé en France en 2012, j’entendais : Virgin est mort, bientôt, ce sera la Fnac, se souvient celui qui fut nommé cette année-là directeur général France et Europe du Nord. Aujourd’hui, nous sommes un groupe qui dégage 270 millions d’euros de résultat. «  Loin d’être exsangue, le distributeur s’est même refait une santé avec le rachat de Darty en 2016, qui a généré au total 130 millions de synergies.

« Je n’ai pas eu besoin de faire un show »

Alors que son concurrent Cdiscount (groupe Casino) a dévoilé le 20 février un chiffre d’affaires en hausse de 9,3 %, mais un résultat opérationnel dans le rouge, Fnac Darty privilégie la rentabilité sur la croissance, qui n’a atteint que 0,4 % à parc de magasins constant en 2017. « C’est mieux que le marché, plaide Enrique Martinez. Très peu d’acteurs Internet sont capables d’avoir un modèle solide, rentable, qui se développe avec de la croissance. Moi je trouve inquiétant de ne pas gagner d’argent ! » Lui mise sur la connexion du physique et du digital. Alors, même si Internet représente aujourd’hui 17 % des ventes de Fnac Darty, le groupe continue à ouvrir des magasins, 78 l’an dernier, portant le total à 728.

Depuis qu’il a succédé à Alexandre Bompard l’été dernier, Enrique Martinez apparaît comme l’homme de la continuité. « Cela fait vingt ans que je suis dans l’entreprise, je n’ai pas eu besoin d’expliquer qui j’étais le 18 juillet, ni de faire un road show ! », s’amuse le quadra. Son plan Confiance +, dévoilé en décembre, qui poursuit l’intégration de Fnac et Darty, et mise sur de nouveaux partenariats ? Les prémisses remontent à l’ère Bompard. Le rapprochement avec Carrefour pour certains achats en France, annoncé au même moment ? « Nous avions déjà entamé des discussions avant le départ d’Alexandre », confie Enrique Martinez. Son bureau ? Le même que celui de son prédécesseur. Les photos de Federer ont juste laissé la place à des portraits en noir et blanc et l’appel du 18 juin jadis affiché au mur à des figurines de superhéros disposées sur une table basse.

Valse de têtes

Mais entre l’ancien PDG issu de l’élite française, et le nouveau directeur général qui a grimpé les échelons de l’entreprise un à un, passant de l’Espagne au Portugal pour atterrir au siège en France, les styles diffèrent. Depuis quelques mois, derrière une apparente stabilité, les lignes vacillent. Au sein du comité exécutif, les têtes ont valsé.

Aux départs attendus de Laurent Glépin, directeur de la communication, et Matthieu Malige, directeur financier, fidèles de Bompard qu’ils ont rejoint à Carrefour, ont succédé ceux, plus surprenants et plus récents, de Florian Ingen-Housz, directeur de la stratégie et M & A, parti à Back Market, et d’Alexandre Viros, directeur marketing et e-commerce, à Oui SNCF. Pourquoi cette hémorragie ? « Vous ne pouvez pas avoir des gens de talent et ne pas accepter qu’ils puissent partir, rétorque Enrique Martinez. Aujourd’hui, nous avons un comex très engagé, équilibré, dont je suis très content. »

Rumeurs capitalistiques

Même branle-bas de combat chez les actionnaires. Cet été, la famille Pinault, présente au capital depuis 1994, a cédé ses 24,33 % au distributeur allemand Ceconomy. Alors que son groupe, Kering, se recentre sur le luxe, ce mouvement était attendu. En revanche, le rachat des 11 % du fonds Knight Vinke par la Société française d’assurances multirisques (SFAM), annoncé le 6 février, « a été une surprise, par sa rapidité, son ampleur et le prix payé, reconnaît Enrique Martinez, allusion aux 112 euros par action déboursés, contre un cours d’environ 90 euros la semaine précédente. Mais nous sommes très contents de la relation commerciale que nous avons avec eux depuis 2015. » Depuis cette date, SFAM propose aux clients de Fnac Darty des assurances sur les téléphones et les produits électroniques. Mais l’entreprise vient d’être épinglée par l’UFC-Que Choisir pour des démarchages insistants et des souscriptions forcées. « Ce sont des cas isolés, assure le patron, mais nous les regardons attentivement car chaque client est important. »

Les mauvaises langues soufflent que si le cours de Fnac Darty a encore grimpé ces derniers mois, c’est que le marché spécule sur son rachat à terme par Ceconomy, SFAM, voire Carrefour. « C’est vrai que les rumeurs ont fait beaucoup parler, mais nous avançons, malgré les aléas des marchés, balaie d’un revers de main Enrique Martinez, qui pourrait prendre lui-même l’initiative d’une acquisition. Nous ne nous interdisons pas dans le futur d’être acteur d’une opération de croissance externe. Cela fait dix-huit mois que le groupe n’en a pas mené. » Voilà qui marquerait l’entrée de Fnac Darty dans une nouvelle ère.

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