Héritage émotionnel : quel sort pour les souvenirs familiaux après un décès ?

Lorsqu’un être cher s’éteint, certains objets qui n’ont pas de valeur marchande revêtent une importance sentimentale profonde pour les proches. Cette dimension émotionnelle peut rendre la question de leur destinée après le décès particulièrement délicate. De plus, la loi leur réserve un statut spécifique, différent des autres biens.

En novembre 2020, Marine a reçu la nouvelle du décès de sa chère grand-mère, Denyse. L’une de ses premières pensées a été la promesse faite à Denyse il y a plusieurs années : celle de s’assurer que sa grand-mère repose en paix avec les lettres d’amour échangées entre elle et son grand-père avant leurs fiançailles. Ces souvenirs étaient chers à son cœur, et elle ne voulait pas qu’ils se dispersent ou finissent à la poubelle. Malgré que Marine savait que cette pratique était illégale, les employés des pompes funèbres ont fait preuve de compréhension et ont permis à cette promesse d’être respectée. Avant de placer les lettres contre le cœur de sa grand-mère, Marine a néanmoins accepté que sa mère et sa tante, ignorant totalement ce pacte entre la grand-mère et la petite-fille, prennent en photo les enveloppes qui renfermaient ces précieuses lettres. Seulement les enveloppes. « Ma grand-mère m’avait demandé de veiller à ce que personne ne les lise. »

Les lettres d’amour échangées entre parents, le casque militaire de l’arrière-grand-père, le portrait en pied de la grand-tante, les albums photo réalisés par maman, les livres préférés de papa… À la suite du décès d’un être cher, se pose la question du devenir et souvent du partage de ces objets qui incarnent la mémoire familiale. Cette étape peut s’avérer délicate : si tous les objets n’ont pas nécessairement la même valeur aux yeux des héritiers, le partage peut être facilité. Cependant, si le décès réveille des rancœurs et des tensions longtemps enfouies au sein de la fratrie, les souvenirs de famille peuvent devenir le point central d’une bataille juridique, au même titre que la maison ou les comptes bancaires.

La loi : Entre flou et clarté

« La loi ne définit pas clairement ce qu’est un souvenir familial », explique François Letellier, notaire à Clermont-Ferrand. « Cependant, il s’agit toujours de biens meubles ayant une grande valeur morale ou affective, témoignant de l’histoire familiale, indépendamment de leur valeur financière potentielle. » Cette notion varie donc d’une famille à l’autre, et il est difficile d’établir une liste exhaustive. Toutefois, certains biens sont clairement exclus de cette catégorie. « Les parts d’une société fondée par un ancêtre ne constituent pas des souvenirs familiaux, pas plus qu’un tableau de maître estimé à 6 millions d’euros représentant un arrière-grand-père inconnu, ou encore le château familial même s’il est en possession de la famille depuis cinq générations », tranche François Letellier. En revanche, des lettres, des photographies, des carnets de dessins, l’argenterie et la vaisselle du dimanche ornée de l’emblème familial, les médailles militaires, les diplômes ou encore les bijoux peuvent être considérés comme de tels souvenirs.

L’enjeu de la qualification

Ces biens ne sont pas soumis aux mêmes règles successorales que les autres éléments du patrimoine. En effet, ils sont considérés comme une propriété familiale et indivisible perpétuelle, appartenant en commun aux héritiers et ne pouvant être dispersée. Cela signifie concrètement qu’aucun héritier ne peut exiger leur partage sans le consentement de tous les autres.

Bien souvent, les familles parviennent à décider ensemble du destin de ces précieux souvenirs. Cependant, en cas de désaccord, le partage des souvenirs familiaux peut être bloqué légalement. C’est le cas pour Sylvie, 66 ans. Après le décès de sa mère il y a dix ans, cette Toulousaine pensait que le partage de quelques biens se ferait aisément entre elle et sa sœur. Lorsqu’il a fallu vider rapidement l’appartement de leur mère, Sylvie a autorisé sa sœur à emporter un carton de photos de famille, en se disant « On se partagera tout ça plus tard. » Cependant, dix ans après, Sylvie ne possède toujours aucune photo d’enfance à montrer à ses propres enfants. Les photos de famille sont devenues des otages dans le conflit opposant les deux sœurs, qui ne sont pas d’accord sur la manière de partager des terrains également revendiqués par des cousins. Tout l’héritage est bloqué, et les photos avec. Sylvie a tenté de faire appel à un médiateur pour obtenir des copies numériques, mais en vain. Elle n’a pas eu plus de succès en se tournant vers la justice. Pour l’instant, sa sœur détient toujours les photos de famille.

Prévenir les conflits

Pour éviter que les querelles s’ajoutent au deuil, il existe des solutions. Désigner un exécuteur testamentaire est l’option la plus simple. Celui-ci triera les souvenirs et les archives personnelles, et décidera de leur éventuelle destruction. Si le rédacteur du testament possède lui-même des souvenirs familiaux, il est supposé les transmettre et s’assurer qu’ils ne se dispersent pas. Cela peut devenir complexe après deux ou trois générations. Dans ce cas, si ces objets ou archives ont une valeur historique, ils peuvent être confiés à un musée ou aux archives départementales. Pour les personnalités célèbres et fortunées, la création d’une fondation demeure une option viable.

En ce qui concerne les photographies, souvent source de tensions lors du partage, il peut être utile d’en faire des copies. Cela est aisément réalisable avec un smartphone ou une tablette numérique. Des applications dédiées facilitent la numérisation, le stockage, le partage, voire la retouche et la duplication (Google Photo Scan, iScanner). Enfin, il ne faut pas oublier que des souvenirs familiaux trop chargés émotionnellement pour les enfants peuvent apporter de la joie aux petits-enfants.

La solution de l’exécuteur testamentaire

Si le défunt a désigné un exécuteur testamentaire, celui-ci sera en charge des papiers, des archives personnelles et de toute correspondance. Il triera, stockera et mettra ces éléments à disposition des héritiers. Il pourra également décider de détruire certains documents s’il estime que c’est nécessaire pour protéger la vie privée du défunt. Comme l’explique François Letellier, notaire et auteur d’une thèse sur le sujet, ce pouvoir non explicitement défini dans les textes s’applique même en présence d’héritiers réservataires, c’est-à-dire les enfants, ou en l’absence d’enfants, le conjoint survivant (rapport du 116e congrès des notaires). Dans ce cas, il est recommandé de spécifier cette mission dans le testament afin d’éviter toute contestation. Les enfants ou le conjoint pourraient ne pas apprécier de voir le destin de ce qu’ils considèrent comme des souvenirs familiaux dépendre d’une tierce personne. De plus, ils peuvent toujours faire appel à un juge pour contester la décision de détruire un document.

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