Homéopathie: Boiron face au couperet du déremboursement

« Nous sommes déterminés à ne rien lâcher ! » Devant la presse ce vendredi 28 juin, Valérie Lorentz-Poinsot, directrice générale de Boiron, ne cache pas sa « stupéfaction » teintée de colère. Après de longues semaines d’attente inquiète -et sans grand espoir- des pro-granules, le couperet est tombé : la Haute autorité de santé (HAS) vient de publier un avis définitif défavorable au maintien du remboursement de l’homéopathie par l’Assurance maladie. Vingt-quatre affections ou symptômes ont été examinés dans le cadre de cette toute première évaluation scientifique de l’homéopathie. « Nous avons conclu qu’il n’y avait pas de preuve d’efficacité supérieure de l’homéopathie par rapport à un effet placebo », a expliqué le Professeur Christian Thuilliez, président de la commission de transparence de la HAS, qui avait été saisie par Agnès Buzyn en août 2018.

Aux côtés du Dr Charles Bentz, chef de file des médecins homéopathes de France, Joël Siccardi, représentant des patients et de Patrick Blin, l’un des trois experts mandatés par les laboratoires homéopathiques (Boiron, Weleda et Lehning) pour défendre leur cause, Valérie Lorentz-Poinsot acte cette première défaite. Mais assure que la bataille n’est pas finie. « Cet avis n’est que consultatif », tacle-t-elle. Les pro-homéopathie, qui appellent le gouvernement à maintenir le taux de remboursement de l’homéopathie à 30%, demandent aujourd’hui un « moratoire » pour conduire de nouvelles évaluations de l’efficacité de ces produits à partir des données nationales de santé de l’Assurance maladie, entre autres. « Nous voulons qu’un débat parlementaire et un débat public soient engagés », insiste la directrice générale de Boiron.  

La décision est désormais entre les mains d’Agnès Buzyn qui, accaparée par la gestion de crise de la canicule, a estimé que le dossier pouvait attendre encore quelques jours, voire quelques semaines.

Malmené en Bourse

Un répit bienvenu pour Boiron, dont la part de marché dans l’homéopathie en France est supérieure à 75%, selon les analystes. « Les mots me manquent pour décrire à quel point nous avons été malmenés depuis plus d’un an », lâche Valérie Lorentz-Poinsot. En tête, elle dénonce les fuites des avis provisoires puis définitif de la HAS dans la presse. « C’est d’autant plus grave pour Boiron que nous sommes une entreprise cotée et que nous avons dû suspendre à deux reprise le cours de Bourse. » Il faut dire que le titre du groupe est chahuté depuis l’été dernier. D’un dernier pic à 73,50 euros mi-juillet, il n’a cessé de déraper depuis le mois d’août et la saisine de la HAS. Hier, jeudi 27 juin, l’action a clôturé à 36,85 euros.

L’entreprise familiale lyonnaise, qui s’est lancée dès 1932 dans l’aventure de l’homéopathie, joue gros dans ce combat engagé à l’origine par 124 médecins signature d’une tribune au vitriol « contre la fake médecine » publiée par Le Figaro en mars 2018. À 358,5 millions d’euros en 2018, le chiffre d’affaires de Boiron en France pèse pour 60% de son activité globale (604,2 millions d’euros). Et les médicaments remboursables sont le gagne-pain principal de Boiron dans l’Hexagone, puisqu’ils représentent 70% du chiffre d’affaires tricolore. « Un déremboursement total pourrait réduire l’appétit des consommateurs pour ces médicaments », selon Christophe Pouchoy, cogérant du fonds Trecento Santé. « Même si les boîtes de comprimés ou les tubes de granules homéopathiques ne coûtent pas cher, passer d’un taux de 30% à rien paraît beaucoup du point de vue du pouvoir d’achat. »

En cas de déremboursement, Boiron anticipe une chute de 50% de ses volumes de ventes et de son chiffre d’affaires la première année, puis à nouveau de 50% l’année suivante. Ce qui pourrait se traduire par la perte de 1.000 emplois, sur les 2.600 que compte le groupe en France. Avec les effectifs de Weleda et Lehning, ce chiffre monterait à 1.300 postes. « Par ricochet, l’impact sur les sous-traitants serait colossal, car nous travaillons avec 2.743 fournisseurs aujourd’hui ! » alerte Valérie Lorentz-Poinsot, qui a été reçue à Bercy mercredi et a déjà rencontré la ministre du Travail Muriel Pénicaud. C’est désormais sur le terrain économique et social que les pro-homéopathie comptent déplacer le combat, faute d’avoir convaincu de l’intérêt de leurs produits pour la santé publique. « La décision sera politique et je reste confiante. Nous pensons que le gouvernement va entendre nos arguments. »

Options stratégiques

« Les consommateurs ne vont pas se détourner totalement de ces produits qui, s’ils sont au final jugés inefficaces, ne sont pas pour autant jugés dangereux. L’impact sera très progressif », temporise Christophe Pouchoy. Il n’empêche que si ses produits n’étaient plus remboursés, Boiron devra revoir sa copie pour s’affranchir de sa relative dépendance de l’homéopathie, d’une part, et du marché français, de l’autre. Selon l’analyste, le groupe a largement de quoi rebondir. « Le laboratoire est présent dans de nombreux marchés où les produits homéopathiques ne sont pas pris en charge par les organismes publics, donc il connaît cette situation.« 

En interne, des discussions autour d’une « réorganisation » ont bien eu lieu ces derniers mois entre la direction et les représentants du personnel, mais rien n’a été « officialisé », selon les syndicats. « Il faudra certainement réduire la voilure », se résigne Vincent Mounier, délégué FO. « S’il y a un déremboursement, tous les sites du groupe [qui compte 35 implantations en France, NDLR] seront impactés car chacun a une activité spécifique. » Pour Alain Cohard, de la CFE-CGC, « Boiron va sans doute élargir le périmètre de son activité, en accentuant son développement à l’international, où il est déjà présent ». A travers 21 filiales, le laboratoire est installé dans près de 50 pays. Ces trois marchés les plus importants en chiffre d’affaires sont les Etats-Unis, l’Italie et la Russie. Selon Le Figaro, Boiron réfléchirait à ouvrir en Inde sa première usine à l’étranger. Ce serait un choc pour les salariés du groupe qui a toujours fait le choix de maintenir sa production en France.

Des efforts en interne

Côté produits, Boiron a aussi des marges de manœuvre, pointent les analystes. « Le groupe peut s’appuyer sur ses médicaments dits de « spécialités » [distribués sous une marque pour traiter une affectation particulière, NDLR] », selon Christophe Pouchoy. Sédatif PC, Camilia, Stodal, Arnigel, Homéoplasmine ou Oscillococcinum : ces médicaments OTC, adaptés à l’automédication, représentent un tiers du chiffre d’affaires de Boiron en France. « Jusqu’ici la stratégie du groupe s’est concentrée sur l’homéopathie uniquement. Il y a une ouverture aujourd’hui sur un élargissement de la gamme, par exemple dans la parapharmacie ou la cosmétique, ou des conditionnements (crèmes, huiles essentielles, etc). Ce sont des pistes de travail dont on entend parler ça et là », rapporte le délégué syndical Alain Cohard.

En attendant la décision du gouvernement, l’incertitude a déjà quelques répercussions sur le quotidien des salariés de Boiron. « C’est certain qu’en ce moment, nous regardons à deux fois avant d’engager des dépenses. Nous faisons des efforts sur nos déplacements, et cela nous paraît naturel dans ce contexte », raconte Vincent Mounier. « Côté embauches, il y a peut-être bien quelques CDD dont le renouvellement n’a pas été fait au final. Mais nous avons encore des besoins dans nos sites de production, donc là où il y a des besoins de main d’œuvre, les embauches sont maintenues. »

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