Israël : accord gazier en Méditerranée orientale, impacts majeurs sur Chypre et Égypte … après le crash du vol MS804

Nouvel hasard de calendrier dans le secteur pétrolier et la géopolitique  ? Alors qu’il n’est pas irraisonnable de penser que le crash du vol MS804 d’EgyptAir pourrait être lié à des opérations triangulaires liées au secteur des hydrocarbures, avec pour formidable enjeu le pétrole de l’Arctique – très fortement convoité par la Russie – et le gaz de méditerranée orientale sur lequel Israël compte exercer sa suprématie via l’appui des Etats-Unis, le gouvernement israélien a annoncé dimanche avoir adopté une nouvelle version d’un important accord avec un consortium israélo-américain en vue d’exploiter de vastes réserves gazières en Méditerranée.

Rappelons en guise de préambule que depuis plusieurs années, la Méditerranée orientale est devenue une zone d’exploration gazière très active, notamment après la découverte d’importants gisements gaziers au large d’Israël et de Chypre, l’Egypte  et bien d’autres pays tels que la Syrie comptant bien ne pas être lésée dans la bataille.

L’accord conclu entre le gouvernement et le consortium dirigé par Noble Energy (USA) et Delek (Israël) est depuis des mois au coeur d’une controverse sur les conditions dans lesquelles doivent être exploitées les importantes réserves découvertes au large d’Israël. Au final, dans les faits, l’exploitation a commencé sans que l’accord soit finalisé. Israël tente ainsi de développer sa production de gaz à partir des champs de Tamar et de Leviathan, découverts en 2009 et 2010. Si l’exploitation de Tamar a débuté, tel n’est pas le cas du gisement de Leviathan, lequel dispose de réserves beaucoup plus importantes.

Les retards dans l’exploitation des champs israéliens pourraient toutefois désormais bénéficier au Caire qui compte également développer ses propres ressources, notamment le champs offshore de Zohr, découvert en août 2015 par la compagnie italienne Eni, et qui recèlerait l’équivalent des champs gaziers de Tamar et Leviathan réunis. Or, si l’Egypte concrétise ses nouvelles ambitions, il devrait s’en suivre un changement de paradigme majeur, le pays paraissant jusqu’à présent constituer le premier débouché du gaz israélien.

« Le gouvernement a adopté l’accord amendé sur le gaz naturel », a annoncé dimanche le bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahu dans un communiqué. Ajoutant que cette nouvelle version tenait compte des objections soulevées par la Cour suprême.

Le 27 mars dernier, la Cour suprême avait rejeté un projet d’accord en retoquant l’un des articles fondamentaux et les plus contestés, lequel contenait une clause protégeant le consortium en garantissant que la réglementation sur l’exploitation du gaz ne serait pas modifiée pendant dix ans. La Cour avait alors estimé que cette disposition limitait les prérogatives des prochains gouvernements.

Désormais, Noble Energy et Delek auraient renoncé à réclamer un engagement juridique du gouvernement à ne pas modifier la réglementation. En échange, le gouvernement aurait promis de ne pas procéder à d’autres modifications de l’accord et d’envisager de manière positive toute demande de compensation en cas de changement de la réglementation.

« Le plus important à présent est de ne plus tarder, d’aller de l’avant et d’acheminer le gaz qui représente d’énormes nouvelles ressources pour les Israéliens », a déclaré le Premier ministre.

M. Netanyahu, engagé personnellement dans la défense de l’accord, s’est heurté à un front constitué par son opposition et des organisations de défense des consommateurs dénonçant la création d’une situation de monopole.

– Accord pour l’achat des navires Mistral alors que l’Egypte est en pleine négociations gazières

En octobre 2015, l’entourage du Premier ministre Manuel Valls en visite au Caire avait indiqué que l’Egypte venait de signer avec le groupe français DCNS le contrat d’achat des deux navires de guerre Mistral. Après moult péripéties, la vente de ces derniers à la Russie avait été annulée par Paris, avec pour raison officielle invoquée : la crise ukrainienne.

Le 23 septembre dernier, le Président français, François Hollande avait annoncé qu’il s’était mis d’accord sur cette vente avec son homologue Abdel Fattah al-Sissi. L’entourage du ministre français de la Défense avait alors parlé d’un montant d’environ 950 millions d’euros pour l’achat de ces deux bâtiments de projection et de commandement (BPC).

Simple hasard ? Permettez moi d’en douter … alors que pétrole et gaz s’avèrent toujours être le nerf de la guerre dans ce bas monde … cette acquisition égyptienne intervenait alors que l’Egypte avait parallèlement été mise sur le devant de la scène gazière.

Alors que les nouvelles ressources énergétiques off-shores de Méditerranée bouleversent depuis quelques mois la géopolitique et l’économie des régions concernées, Israël étant d’un poids non négligeable sur le nouvel échiquier énergétique – le géant pétrolier Eni avait annoncé début septembre qu’il était prêt à céder une part de l’immense gisement de gaz naturel qu’il a découvert au large de l’Egypte. Volonté affichée : financer le développement de ce champ sans sacrifier ses dividendes. Envisageant une cession d’une part importante au géant pétrolier français Total.

Pour rappel, Eni avait annoncé quelques temps auparavant la découverte d’un champ d’hydrocarbures, baptisé Zohr, lequel s’étend sur environ 100 km2 et pourrait contenir jusqu’à 850 milliards de mètres cubes de gaz.

Le montant des investissements initiaux pour lancer l’extraction de gaz s’élève à environ 3,5 milliards de dollars (3,1 milliards d’euros), a estimé quant à lui lundi Khaled Abdel Badie, qui dirige la compagnie publique égyptienne de gaz Egas (Egyptian Natural Gas Holding). Ajoutant que « lorsque le développement du gisement sera achevé, le montant total des investissements atteindra 7 milliards de dollars ».

L’annonce de la découverte faite par ENI, relayée immédiatement par le ministère égyptien du pétrole, semblait de prime abord une bonne nouvelle pour le régime al-Sissi, qui multiplie les appels du pied aux investisseurs internationaux. Claudio Descalzi, s’était rendu alors en personne au Caire pour présenter au président Sissi cette découverte, laquelle représente notamment à ses yeux “la possibilité de s’émanciper dans les décennies à venir d’une dépendance énergétique tellement contraignante qu’elle l’a obligé, à peine soixante-douze heures plus tôt , à signer à Moscou un accord difficile avec les Russes de Rosneft sur la fourniture de gaz liquide”.

Hasard de calendrier ? L’Egypte vient de faire une annonce dimanche à ce sujet, indiquant vouloir accroître sa production gazière via notamment l’exploitation de Zohr, nous allons y revenir prochainement.

– L’Egypte alors confrontée aux attaques de Daesh

A noter que ces nouvelles ressources voyaient le jour au moment même où l’Egypte était le théâtre d’une vague d’attentats perpétrés par la branche locale de l’Etat islamique (EI ou Daesh). Lequel pourrait être enclin de toucher le gouvernement égyptien en effrayant les investisseurs internationaux, le chaos pouvant toutefois profiter à certains. La menace terroriste affaiblissant le pays économiquement en diminuant sa manne touristique, le transformant ainsi en une proie facile pour des multi-nationales désireuses d’acquérir des licences à moindres frais ….
Certains analystes estimaient alors que la découverte de l’important potentiel du gisement de Zohr pourrait suffire à combler une partie du fossé énergétique de l’Egypte. Cette dernière devrait en toute probabilité tenter de couvrir ses besoins domestiques avant de planifier des exportations. Quoi qu’il en soit, les perspectives d’Israël d’exporter du gaz vers l’Egypte devraient s’en trouver grandement diminuées.

Reste, certes, que si l’on tient compte de la période minimale de quatre ans nécessaire au développement du projet, il faudra attendre environ 2020 avant que la production ne démarre sur le site de Shorouk.

– Octobre 2015 : quand Total annonçait une extension de son programme d’exploration au large de Chypre, en coopération avec l’Egypte

A la mi- octobre 2015, alors que nous soupçonnions quelque peu que l’accord entre la France et l’Egypte sur la vente des navires Mistral de DCNS pourrait avoir une forte odeur de gaz  …. les faits semblaient nous donner raison.

Le géant pétrolier français Total avait alors annoncé qu’il allait étendre un programme d’exploration de gaz naturel en off-shore à Chypre, et ce après que les précédentes opérations de recherche en hydrocarbures  se soient  soldées par des échecs. Une information communiquée par le ministre chypriote de l’Energie George Lakkotrypis, lors de sa visite en Égypte, dans le cadre d’entretiens tenus au Caire dans le domaine énergétique, Chypre et Egypte étant fortement liés sur ce dossier.

George Lakkotrypis s’était alors  entretenu sur le sujet avec le Premier Ministre égyptien Sherif Ismail et le Ministre égyptien du pétrole Tarek El-Molla. L’objectif de la rencontre : «examiner les moyens de renforcer davantage la coopération entre Chypre et l’Egypte sur les questions des hydrocarbures » selon les termes mêmes d’une annonce officielle. Tout de même … Difficile de croire alors qu’il ne s’agissait que d’un hasard de calendrier …

– Quand  Total se retirait de Chypre en janvier 2015 –

Tout semblait vouloir se percuter en janvier 2015. Après l’attentat perpétré dans les locaux de Charlie Hebdo, les mouvements anti-France à travers le monde, lesquels pourraient bien impacter des géants français comme Areva au Niger, c’était au tour de Total de s’éloigner d’une manne qui s’annonçait pourtant prometteuse.

Alors que les ressources en hydrocarbures situées au large de Chypre et d’Israël pourraient être un des enjeux de tout premier ordre dans la guerre du pétrole et du gaz à laquelle se livrent actuellement les grandes puissances le géant énergétique français Total semblait alors contraint d’abandonner ses travaux de prospection de gaz et de pétrole au large de Chypre.

C’est en effet ce qu’avait alors annoncé le ministre chypriote de l’Energie, George Lakkotrypis. Raisons invoquées : le groupe français n’aurait pas trouvé de cible importante pour entreprendre des forages d’essai. Tout de même surprenant avouez-le, à moins que la France ait perdu quelques pions dans une sombre bataille …. Bataille dont les protagonistes n’appartiennent pas à des nations les plus paisibles ces temps derniers, telles que Israël, Liban, Turquie , Chypre, Égypte et Etats-Unis …

« Total n’a pas trouvé de structure ou cible géologique pour poursuivre ses obligations », avait précisé quant à lui le ministre à la radio publique chypriote. Ajoutant qu’une décision définitive serait prise dans les jours prochains, en raison d’obligations contractuelles. Réagissant à ces propos, Total a confirmé avoir « récemment achevé les sondages géologiques, géochimiques et géophysiques des blocs 10 et 11, sans avoir pu identifier de cibles de forage potentielles. » Ajoutant que le groupe français était actuellement en discussion avec les autorités locales sur un potentiel programme de travaux d’exploration additionnels dans la zone.

Selon le ministre chypriote de l’Energie, la décision de Total et avant tout liée à une volonté de « réduire ses pertes », motivée par des considérations de viabilité commerciale et « non par les tentatives d’Ankara d’empêcher l’exploration d’hydrocarbures au large de l’île » dont une partie est occupée par la Turquie. Etrange qu’il faille le préciser …

Précisons à cet égard que la Turquie pose comme préambule à l’exploitation de gisements d’hydrocarbures par le gouvernement chypriote-grec de la République de Chypre la signature d’un accord de paix, le but ultime étant que les Chypriotes et les Turcs bénéficient eux aussi de la manne pétrolière et gazière.

En octobre 2014, la Turquie avait affrété un bateau en vue de sonder les fonds marins dans la zone économique exclusive (ZEE) de la République de Chypre, à proximité d’un secteur où Nicosie a autorisé le consortium italo-coréen Eni-Kogas  à mener des explorations. En guise de réaction, Nicosie avait suspendu les négociations de paix, relancées huit mois plus tôt sous l’égide de l’ONU.

– Accord entre Chypre et Israël pour des recherches en Méditerranée orientale

Rappelons qu’en  décembre 2010 un accord a été signé entre Israël et Chypre en vue de faciliter et de poursuivre les recherches off-shore d’hydrocarbures – de part et d’autre – dans la partie orientale de la Méditerranée … de gigantesques réserves de gaz ayant été alors découvertes dans la zone. Selon les contrôles de la commission gouvernementale israélienne mise en place pour gérer un fonds d’exploitation des ventes, les recettes prévues des gisements « Léviathan », « Tamar » et « Dalit » se monteraient à 100 voire à 130 milliards de dollars jusqu’en 2040.
Le groupe américain Noble Energy, alors principal opérateur du site indiquait alors pour sa part que  les réserves du gisement offshore de gaz naturel au large d’Israël baptisé Léviathan  étaient estimées à 450 milliards de m3.
« Cette découverte fait potentiellement d’Israël un pays exportateur de gaz naturel », avait alors souligné David Stover, haut dirigeant de Noble Energy, société basé à Houston, Texas. Confirmant ainsi les propos du le ministre israélien des Infrastructures nationales Uzi Landau. Lequel avait affirmé qu’ Israël pourrait devenir un exportateur de gaz … vers l’Europe … au grand dam de la Russie.  « Nous sommes d’ailleurs prêts à collaborer à un tel projet avec des investisseurs étrangers, mais aussi avec la Grèce  et Chypre« , avait-t-il même précisé.

–  Une usine de liquéfaction pour le moins stratégique

Mais si Charles Ellinas, PDG de la Compagnie nationale d’hydrocarbures chypriote,  affirme  que la situation économique de Chypre « n’affecte pas le développement » du champ gazier, les sources d’approvisionnement de l’usine de liquéfaction qui serait construite à terme  sur le territoire chypriote pourraient bien changer la donne. Constituant même un enjeu de taille dans la bataille que mènent actuellement majors pétrolières russes, européennes et américaines pour  tenter de rafler un maximum de licences d’explorations dans les gisements off-shores fort prometteurs situés au large de Chypre.

Car, si jusqu’à présent Nicosie tablait  sur l’apport des ressources de gaz  israéliennes pour rentabiliser la construction de cette usine, Israël pourrait changer son fusil d’épaule. L’Etat hébreu envisagerait ainsi  de construire  sa propre usine de liquéfaction, voire de faire transiter son gaz  via pipeline  à travers la Turquie.

Qui dit absence des apports gaziers d’Israël pour alimenter l’usine, signifie pour Chypre une forte dépendance à de nouvelles confirmations de réserves d’hydrocarbures dans la zone en vue d’espérer rentabiliser l’investissement. Or, l’Etat chypriote a un besoin urgent de ressources financières …

Alors que le territoire turc représentait d’ores et déjà  un point  de transit énergétique important pour le pétrole de la Caspienne et d’Irak,  Ankara a récemment consolidé sa position grâce à des accords pétroliers avec le Gouvernement Régional du Kurdistan. Au final, la Turquie représente ainsi un élément fondamental pour Israël en vue de déterminer la route la plus rentable pour exporter son gaz.

Une situation certes complexe qui  donne donc à la Turquie  une position on ne peut plus stratégique entre Chypre et Israël.  Pouvant pousser quelques puissances hégémoniques à vouloir influer sur sa politique en déstabilisant le pays …

– Quand la Turquie s’opposait à Chypre sur l‘épineux dossier du gaz de Leviathan

Rappelons à toutes fins utiles qu’en septembre 2010, le Premier ministre turc déclarait à Al Jazzera, que la Turquie ne laisserait pas Israël jouir seule du gaz exploité dans les eaux chypriotes. Ce dernier jugeant « provocatrice » l’exploration au voisinage du gisement très prometteur de Léviathan.
Parallèlement le Premier ministre Recep Erdogan menaçait d’envoyer sa flotte au voisinage du site aux frontières controversées, annonçant qu’il pourrait fournir une escorte navale à ses propres bâtiments d’exploration en Méditerranée chargés d’effectuer des forages sur des gisements d’hydrocarbures au large de la côte nord de Chypre.
Quelques jours auparavant, lors d’une conférence de presse, le Premier ministre turc avait réitéré l’opposition de son pays aux zones économiques exclusives fixées en 2010 dans le cadre d’un accord entre Chypre et Israël.
«Nous avons des approches différentes en matière de zones économiques exclusives dans la région telles qu’elles ont été annoncées. Sur ce point, et s’agissant de l’armée, nous surveillerons cette région avec l’aide d’avions, de frégates et de vedettes lance-torpilles» avait-il prévenu.
Le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, réagissait ainsi aux propos du président chypriote Demetris Christofias, lequel venait d’annoncer que les forages débuteraient prochainement au large des côtes sud-est de Chypre.
Le gouvernement chypriote grec, seul à ce jour à être reconnu par la communauté internationale, avait alors débuté des travaux d’exploration sur le fabuleux gisement de Leviathan, situé au large de Chypre, avec la compagnie – américaine – Noble Energy, et ce, dans le cadre d’un accord avec Israël. Rappelons à cet égard que la partie turque, située dans le nord de l’île est uniquement reconnue par Ankara.

La Turquie avait également exhorté le gouvernement chypriote grec à cesser immédiatement ses explorations de gaz et prévenu que ses propres navires d’exploration en Méditerranée pourraient être accompagnés d’escortes militaires.

» La compagnie pétrolière turque TPAO va se déployer dans les eaux au nord de Chypre en raison d’un accord entre Ankara et la partie pro-turque de Chypre sur le tracé des frontières maritimes » avait parallèlement déclaré le ministre turc de l’Energie, Taner Yildiz.

Au final, Ankara demandait alors aux responsables chypriotes de favoriser la collaboration de la Turquie, dans les projets énergétiques de Chypre.

Elisabeth Studer – 23 mai 2016 – www.leblogfinance.com

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