JP Morgan et sa « baleine de Londres » sur le grill du Sénat américain

Mensonges aux enquêteurs et contre-vérités assénées au public et aux investisseurs. Telles sont quelques-unes des accusations contenues dans un rapport très à charge contre la banque JP Morgan et son bureau londonien d’investissements rendu public jeudi 14 mars par une commission d’enquête du Sénat américain.

Ce document de plus 300 pages tente de faire la lumière sur les dysfonctionnements à l’intérieur de la première banque d’investissement américaine qui ont mené à l’annonce, à l’été 2012, d’une perte de trading de près de 6 milliards de dollars (4,6 milliards d’euros). Une énorme ardoise essentiellement due aux paris boursiers effectués depuis ses bureaux de Londres qui étaient pourtant censés faire fructifier le surplus de la banque dans des investissements peu risqués.

C’est au sein de ce Chief Investment Office (CIO – principal bureau des investissements) européen que sévissait un trader français, Bruno Iksil, dont l’activité est au cœur de la perte record de JP Morgan. Il a été successivement surnommé la “baleine de Londres” à cause du poids considérable de ses investissements et “Voldemort” – l’ennemi juré de l’apprenti magicien Harry Potter inventé par l’écrivain britannique J.K. Rowling – car il était “celui-dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom” sur la place boursière de Londres.

« Voldemort » ou bouc émissaire ?

Plutôt discret”, d’après le quotidien économique américain Wall Street Journal [article payant], ce père de famille et ancien de la banque française Natixis travaillait pour JP Morgan depuis 2005 avant d’être licencié en juillet 2012. Il aurait engagé jusqu’à 100 milliards de dollars en bourse affirmait en avril 2012 la chaîne économique américaine Bloomberg. À l’instar de ses compatriotes Jérôme Kerviel (Société Générale) et Fabrice Tourré (Goldman Sachs), l’hommr a rapidement incarné la dérive de la finance spéculative. À tort ?

Décrit comme accro aux CDC (Credit Default Swap) – ces contrats qui permettent de se prémunir mais aussi de parier sur la faillite d’entreprises – Bruno Iksil se serait retrouvé entraîné à partir de début 2012 dans une spirale de pertes qu’il n’a pas su maîtriser. Une image de loup solitaire à la Kerviel que l’enquête menée par la commission du Sénat américain bat largement en brèche.

C’est, en effet, le portrait d’un homme bien plus responsable et conscient des risques qui ressort de l’analyse des 90 000 documents et des entretiens de plus de 50 employés de JP Morgan. Après avoir gagné 100 millions de dollars fin 2011 en misant sur la faillite d’American Airlines, Bruno Iksil s’est rapidement rendu compte que ses nouveaux paris allaient droit dans le mur financier.

La « baleine de Londres » aurait alors tenté d’avertir à plusieurs reprises sa hiérarchie, d’après la transcription des conversations électroniques que les enquêteurs ont pu consulter. Dès mars 2012, il qualifie ses positions boursières prises pour le compte du CIO de JP Morgan “de plus en plus monstrueuses”. Le 23 mars, Bruno Eskil informe l’un de ces collègues que les pertes du jour s’élèvent à 300 millions ou 500 millions de dollars selon la manière de la comptabiliser. “C’est sans espoir, nous allons nous faire étriller, on ne perd pas 500 millions de dollars en une journée sans conséquence”, écrit-il. Le même jour, la banque américaine n’annonce, cependant, qu’une perte de 12 millions de dollars, rappelle l’agence de presse Reuters.

Pressions

D’autres messages et témoignages indiquent que Bruno Iskil avait préconisé assez tôt d’arrêter les frais et d’encaisser les pertes avant qu’elles ne deviennent trop importantes. Les enquêteurs américains concluent que des pressions ont été exercées sur le CIO pour qu’il continue ses transactions afin de tenter d’inverser la tendance.

Selon le rapport du Sénat, les documents consultés ne laissent que peu de place au doute : la hiérarchie de Bruno Iksil devait être au courant de l’ampleur du désastre en préparation. Les enquêteurs se demandent même comment Jamie Dimon, le PDG de JP Morgan, pouvait ignorer ce qui se passait à Londres. Pourtant, ce dernier assurait encore en avril aux investisseurs que les rumeurs autour des pertes de trading n’étaient qu’une “tempête dans un verre d’eau”.

Les conclusions de l’enquête américaine mettent donc fortement la pression sur les épaules des dirigeants de JP Morgan. Elles devraient largement nourrir les auditions des responsables de la banque américaine qui doivent se dérouler vendredi 15 mars. Parmi les personnalités qui vont être mises sur le grill, vendredi, Ina Drew est particulièrement attendue. C’est elle qui supervisait les activités du CIO pendant que Bruno Iksil était en poste. Elle n’a pas dit un mot en public depuis qu’elle a démissionné de JP Morgan en mai 2012.


Tag Finance