La gare du Nord, future ZAD parisienne?

Deux semaines après la signature du permis de construire de la Gare du Nord par le préfet d’Ile-de-France, Michel Cadot, les travaux ont commencé lundi 20 juillet, sans attendre les deux mois légaux de délai de recours. Certes, il ne s’agit pas encore de faire venir des camions et des marteaux piqueurs mais de finir d’installer la Maison du projet pour les riverains et les voyageurs. Ou encore de distribuer des tracts avec le numéro de portable du référent de ce chantier de 124.000 m2. « Sauf arrêt par référé suspension, tout devrait être terminé pour les Jeux Olympiques de 2024″, estime-t-on au sein de la société d’économie mixte en charge du projet.

La mairie va attaquer le permis de construire

Or, la mairie de Paris n’exclut pas un recours devant les tribunaux. « Nous compter aller en contentieux », affirme Alexandra Cordebard, la maire du Xème arrondissement où est située la gare. Le cabinet d’avocats Gide Loyrette Nouel est chargé d’instruire le dossier. Il y a deux ans pourtant, lors de la présentation du projet lauréat, l’élue avait tweeté: « La Gare du Nord se prépare pour sa métamorphose. Elle sera plus accueillante, plus verte, plus sûre, et mieux intégrée à son quartier. » Pour expliquer ce revirement, elle indique que les partenaires se sont très mal comportés en faisant semblant d’écouter les inquiétudes et qu’il faut revoir entièrement la copie. Son principal reproche: le nombre élevé de commerces qui transformerait ce lieu de transit en centre commercial. Cela fait en effet partie de l’équation financière de ce projet dont le coût final pourrait bien approcher 1 milliard d’euros, selon une des parties prenantes.

La fosse septique de l’Europe pour les Anglais

« Je suis catastrophé par la décision du gouvernement d’accorder le permis de construire, déplorait quant à lui Jean-Louis Missika, ex-maire adjoint chargé de l’urbanisme, sur le site du Figaro le 8 juillet. C’est une grave faute politique (…) Ce projet de la famille Mulliez et du groupe Auchan finira aux poubelles de l’histoire. » Un propos qui résonne avec l’élément déclencheur de ce projet: en 2014, Andy Street, le patron du groupe de distribution anglais John Lewis avait qualifié la Gare du Nord de « fosse septique de l’Europe » dans un retentissant article du quotidien The Times. Mais Jean-Louis Missika préférait le spectaculaire projet de l’architecte britannique Steven Holl. « Il aurait fallu arrêter le trafic du RER pendant trois mois pour poser les structures d’appui, se remémore un membre du jury. Et si la maire de Paris a choisi initialement celui de Ceetrus, c’est parce qu’on lui a vendu que c’était le plus grand, capable de rivaliser avec Londres. »

Un jardin sur le toit ou une zone à défendre?

Ce même 8 juillet, le premier adjoint d’Anne Hidalgo, Emmanuel Grégoire, désormais en charge de l’urbanisme, s’est joint à l’opération de démolition lors d’une conférence de presse. « Avec le projet de rénovation actuel de la Gare du Nord, le gouvernement vient de s’inventer un Notre-Dame-des-Landes en plein Paris. Je lui souhaite beaucoup de courage sur le plan politique et juridique », a-t-il expliqué. Un scud contre Macron ou une balle dans le pied? Car la suggestion d’installer une ZAD (zone à défendre) dans la première gare d’Europe, avec 700.000 voyageurs quotidiens, est aussi risquée pour l’édile. « Précisément, si l’autre projet finaliste, celui d’Altarea, n’a pas gagné, se souvient un proche du dossier, c’est parce qu’il y avait un jardin public sur le toit avec un risque que ça dégénère en deal et prostitution. »

Un tremplin pour Hidalgo à la présidentielle

Pour l’instant, personne ne s’est enchainé dans la gare, mais de telles opérations ne sont pas à exclure. Car cette bataille autour d’un lieu aussi emblématique permet à Anne Hidalgo d’établir un rapport de force avec Emmanuel Macron. Un marqueur utile si la maire de Paris décide de se présenter à l’élection présidentielle. C’est en tout le décryptage très politique que certains font de ce dossier. « Anne Hidalgo, qui a été élue avec une courte majorité, doit donner des gages aux Verts. Le moment venu, elle pourrait rassembler la gauche et les écologistes, comme celle qui a su battre La République en marche », analyse un bon connaisseur du dossier. D’ailleurs, ‘Paris en commun’, la plateforme de soutien à Anne Hidalgo lors des municipales, va devenir « une structure politique pérenne », selon son président Jean-Louis Missika qui ne cache pas ses ambitions pour 2022. Enfin, ce chantier permet aussi à la maire de Paris d’établir un rapport de force avec la région Ile-de-France et sa présidente Valérie Pécresse. Ou encore le Premier ministre, Jean Castex, qui a été délégué interministériel aux Jeux Olympiques et fervent soutien du projet.

Un parking pour 3.000 vélos l’année des JO de 2024

Car tous ont en ligne de mire le grand rendez-vous de 2024 dont la Gare du Nord constituera le hub central. « Le projet a reçu un avis favorable de l’architecte des bâtiments de France et des monuments historiques sans réserve », rappelle régulièrement la société d’économie mixte qui en a la gestion. Une annulation du permis coûterait des centaines de millions d’euros d’indemnités à la SNCF, déjà très mal en point. Et s’il est encore possible d’ajouter quelques places de parking à vélo – il y en aura 3.000 – et de réduire légèrement les surfaces commerciales, il n’est plus envisageable de revoir les plans au risque de présenter un triste visage quand les sportifs du monde entier convergeront vers Paris. Et d’être à nouveau la risée des médias anglo-saxons.

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