La Grèce doit-elle quitter la zone euro ?

La menace du « Grexit » va-t-elle renaître de ses cendres ? Alors que la rumeur d’une sortie grecque de l’euro – répandue en 2012 – semblait s’être évanouie au fil des années et des plans d’austérité, Angela Merkel relance la polémique d’une phrase limpide et pleine de sous-entendus : « le Grexit n’est plus tabou ». Intox ou réalité ? 

Quelle que soit la sincérité du propos de la chancelière, tous les grands dirigeants européens retiennent leur souffle en attendant le dimanche 25 janvier, jour des élections législatives anticipées en République hellénique. A cette date, les Grecs se rendront en effet aux urnes pour élire le nouveau parti au pouvoir.

Les prévisions sont unanimes : la Grèce va probablement assister à la victoire du parti d’extrême-gauche Syriza dirigé par Aléxis Tsípras et actuellement en tête dans les sondages.

Or, ce parti issu de la coalition de mouvements communistes cherche à engager une véritable rupture avec les politiques menées jusqu’à présent et qui ont conduit, selon Aléxis Tsípras, le pays dans l’impasse.

Syriza revendique en effet la fin de l’austérité ainsi que la renégociation avec les créanciers de la dette publique grecque. Chose qu’Angela Merkel n’apprécie donc guère. 

L’échec de la politique d’austérité appelle à réagir

Depuis les premières mesures de rigueur imposées par le premier ministre socialiste de l’époque, Georges Papandréou, les plans d’austérité se sont succédé dans le pays. Tous les économistes interrogés jugent le bilan de ce régime draconien très mitigé. Le pays, en récession depuis 2008, a en effet mal supporté la rigueur imposée : le Produit Intérieur Brut (PIB) de la Grèce est passé de 294,2 milliards de dollars en 2010 à 241,7 milliards de dollars en 2014 (-17,8%), selon les chiffres de la Banque mondiale.

Certes, la Grèce affiche aujourd’hui un excédent budgétaire primaire (solde positif des finances de l’Etat hors intérêts de la dette, ndlr) grâce à l’assainissement budgétaire qu’elle a opéré. Néanmoins, la politique de hausse des impôts et de réduction des dépenses publiques ont eu un effet contreproductif sur l’économie et ont plongé le pays en récession. Or, en période de récession, le poids de la dette augmente mécaniquement : elle est passée par conséquent de 148% du PIB  en 2010 à 177,7% en 2014. Son niveau est devenu insoutenable.

Autrement dit, la situation actuelle d’endettement de la Grèce ne peut plus durer et un programme de sortie de crise doit être mis en place. Quels sont donc les scénarios possibles de sortie de crise de la Grèce ?

Céline Antonin (économiste à l’OFCE), Jésus Castillo (spécialiste de la Grèce à Natixis) ainsi que David Cayla (membre des Economistes Attérés) présentent les trois hypothèses envisageables.

1) Une sortie brutale de la zone euro

  • Arguments en faveur de la sortie

C’est la solution privilégiée par David Cayla, maître de conférences en économie à l’université d’Angers et et membre des Economistes Atterrés : « Je suis favorable à la sortie de la zone euro de la Grèce mais c’est une position personnelle, qui n’est pas représentative du groupe des Economistes Attérés ».

Cet économiste affirme qu’au-delà du problème de l’endettement, l’appartenance de la Grèce à la zone euro nuit à son développement économique. 

« L’euro n’est pas adapté à un pays périphérique de l’Europe comme la Grèce. D’un point de vue purement géographique, la Grèce est isolée et ses partenaires commerciaux directs que sont ces voisins n’ont pas la monnaie unique, ce qui complique les échanges. Dans une perspective plus économique maintenant, la Grèce est également périphérique dans le sens où son économie pèse de manière infime dans la zone euro (2,3% du PIB de la zone euro en 2013). Ainsi, le pays ne peut se satisfaire d’une monnaie comme l’euro, indexée sur les performances de l’Allemagne. L’euro fort déstabilise les grands équilibres macro-économiques du pays. La Grèce souffre de cette monnaie forte, que ce soit dans le secteur du tourisme ou dans l’industrie. La Grèce a en effet besoin de plus de flexibilité et de pouvoir dévaluer pour redevenir compétitive et concurrencer l’industrie turque par exemple. »

David Cayla s’appuie sur l’exemple de l’Argentine pour crédibiliser son propos:

« Dans le cadre du ‘currency board’, l’Argentine avait décidé en 1991 de fixer une parité fixe par rapport au dollar. L’abandon du pays de ce régime et le retour au système de changes flottants après la crise asiatique de 1998 a certes entraîné un certain chaos économique et social dans le pays à court terme. Mais l’Argentine a tout de même retrouvé sa souveraineté monétaire ainsi que des marges de manœuvre dans le cadre de sa politique économique. Et sur le long terme, l’abandon de la parité fixe a été bénéfique : pour preuve, entre 2003 et 2007, le pays affichait une croissance autour de 8% par an. A l’instar de l’Argentine, la Grèce devrait s’émanciper de l’euro. »

  • Arguments contre la sortie 

La sortie de l’euro a néanmoins beaucoup de détracteurs.

Céline Antonin, économiste au département analyse et prévision de l’OFCE, anticipe les conséquences néfastes qu’une telle décision pourrait avoir sur la Grèce : « Cette sortie créerait tout d’abord un précédent et pourrait mettre en péril la solidité globale de la zone euro. En effet, si la Grèce sort de l’euro, l’Italie (endettement équivalent à 133% du PIB, croissance négative depuis 2011) pourrait lui emboîter le pas, ce qui serait plus problématique pour la zone (17% du PIB de la zone). »

Mais surtout, cette sortie ne résoudrait en rien l’endettement grec selon l’économiste : 

« Après la sortie de la zone, une nouvelle monnaie serait créée et dévaluée par rapport à l’euro, ce qui entraînerait une explosion de la dette publique et privée grecque actuellement libellée en euros. La Grèce serait contrainte de se déclarer en défaut de paiement (unilatéral ou partiel), ce qui la priverait de l’accès aux marchés financiers durablement  du fait d’une perte de confiance des créanciers. Et de nombreuses entreprises – financières ou non – seraient contraintes de déposer le bilan ».

Par ailleurs, Céline Antonin explique que cette sortie de l’euro porterait un coup fatal à l’épargne et l’inflation dans le pays : « A part si un contrôle des changes est mis en place, la fuite des capitaux placés en Grèce serait inévitable. De plus, l’émission d’une nouvelle monnaie grecque dévaluée entraînerait une baisse du pouvoir d’achat des entreprises et des consommateurs ainsi qu’une inflation incontrôlée (si ce n’est pas une hyperinflation) dû au renchérissement des importations. Les ménages se retrouveraient étranglés par ce phénomène. »

Bien que la sortie brutale de la zone euro paraisse irrationnel, l’économiste de l’OFCE envisage tout de même la possibilité d’une sortie davantage négociée.

2) Sortie négociée de la zone euro

« On peut envisager un scénario de sortie plus graduelle de la zone, reconnaît Cécile Antonin. Si la Grèce et le reste de la zone parvenaient à s’accorder sur une parité fixe entre l’euro et la nouvelle drachme grecque et sur une restructuration partielle de la dette, les faillites seraient moins nombreuses, la fuite des capitaux plus limitée et l’accès aux marchés financiers partiellement préservé. Ainsi, les sources de financements externes ne disparaîtraient pas totalement et l’Etat grec aurait plus de marge de manœuvre quant à la gestion de son budget.  

Enfin, Céline Antonin explique que « les importations seraient certes renchéries, mais les entreprises auraient plus de ressources financières pour substituer des produits fabriqués en interne aux biens importés. »

« Mais tout ceci reste très fictif et le maintien dans la zone euro me paraît tout de même la solution de bon sens. Entre deux maux, mieux vaut choisir le moindre » conclut-elle. 

3) Rééchelonnement ou allègement de la dette 

Jésus Castillo, économiste spécialiste de la Grèce à Natixis considère la sortie grecque de la zone euro – avec comme corollaire le défaut unilatéral de la dette – irrationnelle.

Pour autant, « il y a vraisemblablement un consensus parmi les économistes affirme Jésus Castillo. Les efforts répétés de désendettement de la Grèce hypothèquent la croissance depuis longtemps et maintient le pays dans un état de pauvreté intenable (NDLR : 44% de la population vivait sous le seuil de pauvreté en janvier 2014, et la croissance certes positive de 0,4% prévue en 2014 dans la loi des finances grecques sera insuffisante pour rembourser à la fois les intérêts et investir) ».

Selon l’économiste, le gouvernement serait dirigé par Alexis Tsipras (qu’il y ait coalition ou non) et une discussion avec les partenaires européens pour obtenir une renégociation de la dette devrait par conséquent s’engager.

A ce propos, la Grèce n’est certes pas en position de force, mais elle a des arguments à faire valoir pour peser dans la négociation selon l’économiste de Natixis : « la Grèce est non seulement parvenue à dégager un excédent primaire, mais également à afficher une croissance positive en 2014. Par ailleurs, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, a appelé les Européens à envisager un allégement de la dette grecque dans une interview au Handelsblatt« .

Un allègement de la dette grecque, les investisseurs privés en ont déjà connu un : sur 205 milliards d’euros d’obligations du Trésor grecques, les détenteurs privés ont accepté la perte de 107 milliards d’euros, soit 52% de leurs actifs.

Pour Jésus Castillo, un nouvel allégement de la dette constitue la meilleure solution : « Un rééchelonnement de la dette (baisse des taux d’intérêts et rallongement de la durée du contrat ) ne ferait que reporter les échéances dans le temps et n’arrangerait en rien le niveau d’endettement actuel de la Grèce. En revanche, un allégement de la dette réduirait concrètement l’ardoise grecque et aurait le mérite de limiter l’incertitude, dans le sens où les créanciers auraient connaissance de leurs pertes. Cela vaut mieux qu’un défaut inattendu. »

L’enjeu serait par conséquent de décider quels investisseurs accepteraient à nouveau de renoncer à une partie de leurs dettes. Actuellement, 75% de la dette publique grecque est prise en charge par des institutions publiques et internationales. En réalité, la Grèce est endettée à hauteur de 227 milliards d’euros auprès de ces organisations : 142 milliards d’euros auprès du FESF, 32 milliards auprès du FMI et 53 milliards dans le cadre de prêts bilatéraux avec les Etats membres de la zone.

Jésus Castillo tranche : « Le FMI étant un créancier privilégié, il est difficile de ne pas respecter ses engagements.  Si on efface la dette du FESF, cela crée un précédent pour des Etats membres endettés comme le Portugal ou l’Irlande. La solution la plus acceptable serait donc d’agir sur les prêts bilatéraux. Certes, cela creuserait le déficit budgétaire des pays créanciers (la France verrait son endettement public augmenter de 3 points de PIB environ si le défaut de la Grèce sur ses prêts bilatéraux  est total, ndlr) mais cela sous-entendrait l’accord du Parlement de chaque pays. Mais cela semble être le levier de renégociation le plus actionnable. »

Dans tous les cas, quel que soit le vainqueur des législatives de ce dimanche 25 janvier, la nécessaire réduction de la gigantesque dette grecque se posera dans les prochains mois. Et conditionnera l’avenir de la Grèce dans la zone euro. 

Arnaud Caldichoury 


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