La peur des vaccins, un phénomène très ancien

« Tout prouve que les Anglais sont plus philosophes et plus hardis que nous. Il faut bien du temps pour qu’une certaine raison et un certain courage d’esprit franchissent le Pas-de-Calais ». En 1734, dans sa neuvième lettre aux Anglais, Voltaire fustige la réticence des Français à s’inoculer la variole pour s’en protéger, opposant à la couardise française le courage et la raison des Anglais. Quelques décennies plus tard, en 1811, pour vaincre ces réticences de la population, notamment exprimées par les maires des petites communes, l’empereur Napoléon 1er faisait publiquement vacciner son fils (l’Aiglon) contre la variole – un terme qui n’existait pas encore.  La peur des vaccins est donc une histoire aussi ancienne que la vaccination.

La « revolta de vaccina » à Rio de Janeiro en 1904

N’en déplaise à Voltaire, elle n’a pas été seulement le fait des Français et elle s’est propagée de l’autre côté de la Manche : en 1885, de violentes émeutes éclatèrent à Leicester en Angleterre pour protester contre une campagne de vaccination obligatoire contre la variole. « Le même phénomène – auquel les historiens brésiliens ont donné nom de La revolta da vaccina – fut observé à Rio de Janeiro en 1904″, rapporte le sociologue Jocelyn Raude, maître de conférence à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP).

« La défiance vaccinale a toujours existé. On pouvait voir en Une du Figaro une caricature de Pasteur courant derrière des bambins, avec le titre : ‘Cet homme inocule la rage à nos enfants’, rappelle Christian Perronne, professeur en infectiologie, qui fut pendant quinze ans président du Comité technique des vaccinations au sein du Conseil de la santé publique. « Dans l’imaginaire collectif, le vaccin n’est pas vécu comme un médicament normal, analyse-t-il. On inocule le mal pour soigner le mal ».

Dans les années 1950, les polémiques autour des vaccins semblèrent toutefois s’éteindre face à l’efficacité des politiques vaccinales : la baisse visible des maladies infectieuses favorise l’adhésion des populations et tient en échec les discours critiques contre la vaccination.  

En 2009, l’opinion publique bascule avec H1N1

Mais à partir de la fin des années 2000, un basculement s’opère : les gens se mettent à redouter non plus la maladie elle-même mais le vaccin. Cantonnée jusqu’alors à des groupuscules, les thèses antivaccinales se répandent et font douter une partie importante de la population. Une enquête réalisée tous les cinq ans par l’Institut National et d’Education à la Santé illustre bien cette montée de la défiance : en 2000, moins de 10% des Français se déclaraient « plutôt » ou « tout à fait défavorable » à la vaccination en général. Dix ans plus tard, ils étaient 40% à exprimer cette hostilité. Un phénomène typiquement français : l’hésitation vaccinale est quatre fois plus forte en France que dans les autres pays de l’OCDE.

Pour expliquer cette large diffusion des thèses antivaccins, plusieurs phénomènes se sont conjugués. D’abord, les ratés de la désastreuse campagne de vaccination contre la grippe H1N1 en 2009 ont semé le doute dans l’opinion publique. Cet épisode – qui entraîne de nombreuses polémiques sur le coût, l’opportunité et l’efficacité d’une vaccination de masse, constitue « une rupture historique par rapport aux décennies précédentes », estime Jocelyn Raude.

Une peur nourrie par la défiance vis-à-vis des laboratoires

Par la suite, la défiance est alimentée par une profonde suspicion vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique, nourrie par une succession impressionnante de crises sanitaires, du Médiator à la Dépakine. Enfin, les réseaux sociaux donnent une large résonance à des théories cantonnées auparavant à des groupuscules ultraminoritaires. Les éditeurs exploitent le phénomène : sur les 10 livres les plus vendus consacrés à la vaccination, 9 ouvrages sont signés d’antivaccins. A cela s’ajoute l’inertie des pouvoirs publics qui a laissé le phénomène prendre de l’ampleur sans réagir.

A cet égard, la décision courageuse d’Agnès Buzyn tranche et constitue un geste politique fort. « Je pense que le fait d’étendre l’obligation à 11 vaccins va frapper les esprits. Une partie des hésitants va se dire que ces vaccins sont importants », estime le professeur Alain Fischer, ex président de la Concertation citoyenne sur la vaccination lancée en 2016 par Marisol Touraine. La peur, elle, ne devrait cependant pas disparaître.

Challenges en temps réel : Entreprise