La recherche française se met (enfin) au renseignement

Une publication semestrielle baptisée “Études françaises de renseignement et de cyber” sera lancée en septembre et regroupera la plupart des chercheurs de la spécialité. L’objectif de ce projet initié par Floran Vadillo, enseignant à Sciences Po: permettre à la France de combler son retard par rapport aux autres pays.

C’était en quelque sorte le chaînon manquant de la recherche scientifique tricolore en matière de renseignement. Alors que les formations académiques sur le sujet ont connu un réel essor ces dernières années, la France ne disposait pas de revue inter-universitaire, transversale, contrairement aux pays anglo-saxons, les plus avancés dans le domaine – la prestigieuse revue britannique Intelligence and National Security étant l’une des références. Ce sera chose faite à compter de septembre prochain. Selon nos informations, une publication semestrielle baptisée “Études françaises de renseignement et de cyber”, verra le jour en septembre en langue française et anglaise, et rassemblera la plupart des chercheurs français de la spécialité.

“Notre objectif est d’offrir à la communauté scientifique française un débouché en termes de publications, indique Floran Vadillo, enseignant à Sciences Po, qui préside l’association finançant la revue. Les études sur le renseignement se sont développées ces dernières années en France mais notre pays accuse un retard important par rapport à de nombreux pays en termes d’audience et de structuration universitaire. Il est aussi aujourd’hui compliqué pour les chercheurs travaillant dans ce domaine d’obtenir des postes à responsabilité à l’université.” Il convient aussi de noter que depuis fin février, le pôle “Sécurité et défense” du Conseil national des arts et métiers (CNAM) que dirige le criminologue Alain Bauer, a lancé le premier numéro de sa “Revue de recherche sur le renseignement”.

“Études françaises de renseignement et de cyber” va rassembler au sein d’un conseil scientifique, 36 universitaires de premier plan. Il réunira des spécialistes français tels que Sébastien-Yves Laurent, Olivier Forcade, Bertrand Warusfel, Pauline Blistène, Guillaume Farde ou Walter Bruyère-Ostells et des experts étrangers comme l’historien allemand Wolfgang Krieger qui a travaillé sur les archives du BND (équivalent de la DGSE en Allemagne) ou son confrère britannique Peter Jackson.

La revue sera aussi dotée d’un comité des experts regroupant d’anciens maîtres-espions de la DGSI (Patrick Calvar ou Patrick Guyonneau), de la DGSE (Bernard Barbier, Jean-Pierre Palasset ou Didier Bolelli), de la DRM (Direction du renseignement militaire) comme Serge Cholley ou de Tracfin (Bruno Dalles). Elle se veut toutefois très autonome vis-à-vis des services français qui n’accompagnent pas le projet. Celui-ci, ne repose sur aucune subvention publique, et son financement est assuré par le mécénat privé, dont plusieurs groupes du CAC40.

Alors que les débouchés s’accroissent – les effectifs des services de renseignement français ont crû de 30% entre 2014 et 2021 pour atteindre 20.266 agents, et tirant profit de la série Le Bureau des légendes qui a redoré l’image des espions tricolores, les formations spécialisées se sont multipliées. Un Master spécialisé a ainsi vu le jour en 2021 à Sciences Po Aix et attire un nombre croissant d’étudiants. Un an plus tôt, un autre Master dédié à la géopolitique et au Geoint (Geospatial Intelligence), en partenariat avec la DRM, avait aussi été créé à Sorbonne université. Symbole de cette nouvelle donne : le succès que rencontre le séminaire dispensé à Sciences-Po Paris par Philippe Hayez, resté à la DGSE de 2000 à 2006. L’école parisienne fait d’ailleurs partie des principaux pourvoyeurs du boulevard Mortier.