La renaissance d’un Pomerol en famille(s)

Le ban et l’arrière ban du négoce du vin de Bordeaux a fait le déplacement à Pomerol, près de Libourne et Saint-Émilion, ce jeudi 3 septembre. Le parking des livraisons du château de Beauregard, fraîchement re-gravillonné, est rempli de limousines de marques allemandes (BMW, Porsche et Mercedes). Le nombre et le luxe des véhicules garés quasiment dans les vignes prêtes à être vendangées, témoigne à la fois de la bonne santé du vignoble et de l’intérêt que suscite cet événement. Dans la toute nouvelle salle de réception de cette propriété méconnue de 18 hectares qui jouxte des crus très prestigieux (Petrus, La Dominique, Cheval Blanc), les grandes tables sont dressées pour un banquet comme on n’en a plus vu ici depuis plusieurs décennies.

« Nous accueillons aujourd’hui tous les plus grands négociants de la place pour leur montrer les importants travaux que nous avons fait réaliser dans cette propriété et pour qu’ils constatent le renouveau qui est en train de s’y opérer déjà », explique le maître des lieux, Augustin Belloy qui dirige désormais les activités viticoles de la famille Moulin, plus connue pour être à la tête du groupe Galeries Lafayette. Cette propriété a été rachetée avec trois autres au groupe BPCE (ex-Caisses d’épargne) il y a à peine plus d’un an par les Moulin et leurs amis de 30 ans, Daniel et Florence Cathiard, propriétaires du Grand Cru Classé château Smith-Haut Lafitte.

Une transformation faite au pas de course

Les Cathiard, également connus pour leur hôtel « Les Sources de Caudalie » et la marque de cosmétiques éponyme, aujourd’hui dirigés par leurs enfants, sont le meilleur exemple de réussite commerciale dans le vignoble de la région. Comme leurs nouveaux associés, ils venaient eux-aussi du monde de la distribution (magasins Go Sport), avant de se lancer dans le vin dans les années 90. « Nous sommes minoritaires au capital mais très présents opérationnellement pour participer à la relance de ce vin », indique Daniel Cathiard.

Les deux familles sont discrètes sur le montant de l’investissement mais la seule rénovation de l’outil industriel et de la splendide chartreuse bicentenaire s’élève à plusieurs millions d’euros. La transformation a été faite au pas de course : création d’un nouveau chai à barriques et d’un nouveau cuvier contenant 22 immenses cuves en ciment permettant une vinification sur mesure de chaque parcelle du domaine. En parallèle, les nouveaux propriétaires ont créé sept chambres dans la demeure et trois salles de réception, afin de pouvoir répondre aux demandes de plus en plus nombreuses d’hébergement dans les vignes bordelaises.

« Nous souhaitions investir dans le vin, confie Philippe Houzé, le patron du groupe Galeries Lafayette. Et quand nous avons parlé de cette affaire aux Cathiard, ils nous ont dit « on ne laisse pas passer un Pomerol ! » Ce château était quelque peu endormi, l’ancien actionnaire avait limité les investissements au strict minimum ». »Je n’en achetais plus une caisse depuis des années, mais dorénavant la donne est radicalement différente, explique un gros négociant. Les noms des Galeries Lafayette et des Cathiard suffisent à me convaincre, ca va bien se vendre. J’en prendrai cette année le plus possible ! »

La Bordeauxthèque comme vitrine

Déjà Florence Cathiard, spécialiste de la communication a redessiné l’étiquette des bouteilles en mettant en valeur la croix rouge, emblème des chevaliers hospitaliers de Jérusalem, premiers exploitants de ce vignoble. Il ne s’agit pas de refaire ici les Caudalies mais, d’y insufler l’esprit de conquête qui a si bien réussi sur l’autre rive de la Garonne. La même démarche restera à faire ensuite, avec le château Bastor-La Montagne, propriété de Sauternes également rachetée à la BPCE par les entrepreneurs. Hélas, les vins blancs liquoreux ne sont plus à la mode.

« Ils nous a fallu racheter les quatre châteaux ensemble, mais nous ne modernisons pas en Sauternes pour le moment », reconnait Daniel Cathiard. Il s’efforce de lancer avec son épouse et l’aide de la famille Moulin, le cocktail So Sauternes (mélange de Perrier et de vin blanc sucré servi avec des glaçons et une tranche de citron vert), un concurrent du spritz italien. Pas sûr que cela permette de relancer les ventes. Mais celles de Beauregard qui pourrait figurer en bonne place à la Bordeauxthèque, le magnifique magasin de vins de luxe des Galeries Lafayette à Paris, devraient largement compenser la méforme des autres vins. 

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